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La France est-elle encore une démocratie ?

On allait voir ce qu’on allait voir. À la veille du G20 réuni à Saint-Pétersbourg, les bulletins de désinformation émis par les professionnels de la météorologie politique concordaient. Ébranlé par la détermination occidentale, isolé, affaibli, le responsable de la non-puissance invitante opérait une spectaculaire volte-face. Vladimir Poutine lâchait son protégé syrien et se disait prêt à participer à la « punition » de Bachar el-Assad si on lui fournissait les « preuves » que n’allaient pas tarder à apporter les experts de l’ONU. De leur côté, le président français et son partenaire américain allaient travailler au corps leurs alliés égarés et rassembler, comme au bon vieux temps des calomnies et de la guerre contre l’Irak, une grande coalition contre le maître de Damas. Bref, les bobards volaient en escadrilles…

On a vu ce qu’on a vu. Non seulement Poutine n’a pas cédé un pouce de terrain, mais il a confirmé son soutien diplomatique et matériel au gouvernement syrien, réaffirmé sa conviction que c’était la rébellion qui avait recouru aux gaz, et maintenu son opposition à ce qu’il qualifie d’agression. La Russie, décidément isolée, n’a guère été approuvée que par quelques pays insignifiants, tels que la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, présents à la conférence, auxquels on peut notamment ajouter, parmi les absents du sommet, l’Iran, l’Algérie, l’Égypte… De leur côté, il est vrai, Barack Obama et son collaborateur français regroupaient onze signatures sur un texte qui, tout en condamnant formellement la Syrie, exclut toute participation à l’opération prévue et annoncée avec tambours et trompettes par Paris et d’une voix moins assurée par Washington.

François Hollande, pour sa part, sort de cet épisode encore plus Gros-Jean comme devant. Contraint d’attendre le toujours hypothétique feu vert du Congrès américain, le président français déclare également s’en remettre d’avance aux conclusions d’un rapport dont on sait déjà que, confirmât-il la réalité de l’emploi des gaz, il n’en désignera pas pour autant le ou les coupables. Avec l’obstination habituelle aux velléitaires qui reviennent d’autant moins aisément sur une décision qu’il leur est moins habituel d’en prendre, le chef de nos armées tient de plus en plus ferme sur les sables mouvants où il s’est enlisé et semble même prêt à accepter le rôle de sacrifié que dans la grande tradition des guerres coloniales il était de coutume de réserver aux supplétifs. Notre aviation héritera-t-elle du périlleux honneur de braver dans le ciel syrien les défenses du régime tandis que les Américains se borneraient à expédier sur les cibles repérées des missiles de croisière et éviteraient au maximum d’y risquer des vies humaines ? Tirez les premiers, messieurs les Français !

De quelle légitimité, sans mandat de l’ONU, sans participation de l’Union européenne, sans vote du Parlement, le président de tous les Français qui veulent ou acceptent la guerre peut-il se prévaloir ? 68 % de ses sujets (19 points de plus qu’il y a quinze jours) rejettent désormais sa politique et refusent précisément notre participation à une intervention militaire. Le roi veut la guerre, son peuple veut la paix. Lequel des deux l’emportera ? La France, oui ou non, est-elle une démocratie ?

Cette évolution et ce basculement de l’opinion tiennent moins à la crainte d’un échec, voire d’une défaite, qu’à la prise de conscience d’une réalité complexe que ne peut plus masquer le matraquage éhonté d’une propagande à sens unique. Le régime syrien serait-il l’auteur du massacre de la Ghouta, l’opposition syrienne, jour après jour, se montre capable et coupable du pire, et son drapeau n’est plus, s’il le fut, celui de la révolution et de la liberté, mais celui de la terreur et du chaos. Plus encore qu’une erreur, c’est une folie de soutenir ceux dont une vidéo, qu’a pu voir ces derniers jours le monde entier, dévoile le vrai visage de cruauté inhumaine, ceux qui viennent encore d’assassiner un chirurgien de Médecins sans frontières, condamné à mort pour avoir voulu sauver des vies humaines, ceux qui semblent bien détenir les deux journalistes français disparus il y a trois mois en Syrie. Qu’elle l’ait voulu ou non, la coalition nationale syrienne a désormais pour alliés et pour soutiens non seulement, sur le terrain, les combattants du Front Al-Nosra, de l’État islamique du Levant et autres milices qui mettent la Syrie à feu et à sang, mais à travers le monde tous les extrémistes qui avec Al-Qaïda et les Frères musulmans nous ont déclaré la guerre. Les amis de nos ennemis peuvent-ils être nos amis ?

Dominique Jamet dans Boulevard Voltaire

http://fr.altermedia.info/politique/la-france-est-elle-encore-une-democratie_50866.html

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