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–Qui sauva des milliers de juifs de 1940 à 1944 ?

Un gros livre de Mme Limore Yagil, professeur à l’’université de Haïfa, intitulé Chrétiens et juifs sous Vichy (1940-1944), remet en cause bien des idées reçues. Ce n’’est pas son moindre intérêt, tout comme la problématique qu’’elle pose au début de son ouvrage : « Alors que les trois quarts des juifs des Pays-Bas ont été acheminés vers les centres d’’extermination d’’Auschwitz, Birkenau et de Sobidor, c’est seulement - si l’’on ose dire – un quart des juifs de France qui ont été déportés, soit au total soixante-quinze mille sur une population de trois cent mille environ. Comment expliquer ce paradoxe, pour une population accusée d’’être influencée par l’’antisémitisme… ? » Comment expliquer que « ... plus de 85 % des enfants juifs de France échappèrent à la déportation, c’’est-à-dire à la mort : cette proportion n’’a été atteinte dans aucun autre pays soumis au joug nazi ». Comment répondre à ces questions sinon en constatant que le régime de Vichy a protégé non seulement les Français mais surtout les juifs ?
Vichy, capitale de la résistance
Mme Yagil reconnaît que la politique dite de collaboration n’’a été pour le Maréchal qu’’un « expédient », je dirais plutôt une ruse, mais peu importe. « Il souhaitait empêcher la “polonisation” de la France ». Tel était aussi le but de ses ministres qui voulaient avant tout « sauvegarder les intérêts français » et « limiter l’’influence allemande dans tous les domaines ».
C’’est dans cette optique qu’’a été créé le statut des juifs. Alibert prépara la loi du 3 octobre 1940 « car il [le statut] apparaissait comme le seul moyen de protéger les Israélites de la zone occupée contre les mesures draconiennes que les Allemands annonçaient depuis un mois ». En effet, comme le dit Baudouin : « Tout le monde à Vichy savait parfaitement que les Allemands, très attachés à la question juive, entendaient transplanter en France la totalité du régime de Nuremberg et établir la nouvelle politique de discrimination sur des critères raciaux ».
Or, l’’antisémitisme français n’’avait aucun caractère de ce genre. Il visait simplement à limiter l’’influence exorbitante des juifs dans la vie politique, économique et culturelle. C’’est ce qui explique le caractère très modéré de la politique de Vichy dans ce domaine Cela se traduisait par une multitude de dérogations qui permettaient aux juifs « de continuer à vivre “normalement” en zone libre ».
À Vichy même, par exemple, « les juifs et les francs-maçons pouvaient... vivre... et travailler sans trop de contraintes jusqu’en novembre 1942 ». Mme Ygal cite le cas d’’Echourin, comédien juif appartenant à la Comédie française : « Prisonnier, rapatrié comme ancien combattant, il devint speaker à la radio d’’État, au Grand Casino. Ses employeurs savaient qu’’il était juif mais personne ne le trahit. Comme speaker, on trouvait aussi un autre juif, Alexandre, neveu du grand rabbin ».
Les ministres eux-mêmes protégeaient les juifs. Il est surprenant, écrit Mme Yagil, « de constater combien nombreuses, au sein de l’’élite politique de Vichy, ont été les personnes qui, à l’’exemple de Berthelot, de Robert Gibrat, de Pierre Pucheu, de René Belin, de Pierre Caziot, de Georges Lamirand, de l’’amiral Auphan, de Jean Jardel, de Jacques Guérard, de Pierre Cathala, du général Laure, de Jean Bichelonne, de Jacques Barnaud et d’’autres, contribuèrent par différentes stratégies à limiter la mise en application des lois antisémites de Vichy et des ordonnances allemandes ».
Préfets et fonctionnaires
Vichy n’’était évidemment pas toute la France mais inutile de dire qu’’en voyant le peu de zèle mis par les ministres à appliquer des lois édictées sous la contrainte, les préfets et à leur suite beaucoup de fonctionnaires en firent autant. Mieux que de longs discours, il faut savoir que trente-six préfets et sous-préfets moururent en déportation, trente-cinq en revinrent. C’’est dire le lourd tribut payé par la préfectorale à cette politique. Il est impossible de parler de tous.
On citera simplement en exemple le préfet du Rhône, Angeli, « qui avait adopté une stratégie politique qui consistait à bluffer face aux autorités allemandes. Il s’’agissait de faire croire que les autorités françaises faisaient beaucoup en matière d’’application des lois antisémites et des arrestations de juifs, alors que le résultat était dérisoire. Il refusa de communiquer à la Gestapo la liste des personnes arrêtées dans les manifestations et protesta contre les exécutions sommaires allemandes ». Il s’’arrangea pour livrer le moins possible de juifs étrangers. « Personnellement il n’’hésita pas à venir au secours de ses amis juifs. » Sa position, comme celle de ses subordonnés, était très délicate mais il restait en place car il était « convaincu que la politique du Maréchal était la politique du moindre mal et qu’’elle évitait au pays le pire ». « Son sentiment personnel comme préfet était surtout qu’’il ne devait pas déserter son poste, pourtant peu enviable à certains moments, parce qu’il devait protéger la population française et éviter une ingérence encore plus pesante des autorités allemandes dans la vie politique, administrative et économique du pays. »
En agissant ainsi, le préfet Angeli se comportait comme le Maréchal et son entourage qui restèrent aux commandes pour éviter le pire. Les fonctionnaires placés sous les ordres de ces préfets exemplaires ou travaillant dans les services départementaux et municipaux, se sachant protégés, prévenaient les juifs avant les rafles, leur fournissaient de fausses cartes d’’identité ainsi que des tickets de ravitaillement.
Catholiques et protestants
Tous les évêques, sans exception, étaient pétainistes. Beaucoup d’’entre eux avaient fait la guerre de 1914. L’œ’œuvre du Maréchal répondait aussi « en grande partie aux grands thèmes développés par la F.N.C. et l’’Action catholique elle-même ». Cela ne les empêchait pas de soutenir la résistance et d’’apporter ou de faire apporter par leurs prêtres et par les institutions religieuses toute l’’aide possible aux juifs.
Prenons le cas de Mgr Delay, évêque de Marseille. « En 1940, il accueillit le régime du maréchal Pétain avec soulagement et enthousiasme. Il prit part à toutes les cérémonies officielles et légionnaires et par ses lettres pastorales recommanda l’’obéissance absolue aux ordres du gouvernement de Vichy. Il fut reçu à plusieurs reprises par Pétain et Laval. » Pourtant il n’hésita pas à prendre parti en faveur des juifs : « ... le 6 septembre 1942, il adressa une lettre pastorale en leur faveur ». Il considérait « que le devoir de chaque chrétien était d’’aider les juifs à se cacher et par conséquent encouragea les couvents de son diocèse à offrir un gîte aux pauvres poursuivis ».
Cette attitude ne fut pas isolée : ce fut celle de la quasi-totalité de l’’épiscopat qui estimait qu’’une fidélité quasi absolue au Maréchal n’’empêchait nullement d’’aider ceux qui étaient traqués, juifs ou autres.
Tout aussi intéressant fut le cas du cardinal Suhard, archevêque de Paris, très respectueux du gouvernement de Vichy. Devant les rafles des 16 et 17 juillet 1942, il protesta auprès de René Bousquet et « affirma son intention de réunir les évêques de la zone occupée afin d’’organiser une manifestation collective... Cependant, après consultation du grand rabbin de France, il hésita à protester publiquement, pour ne pas attirer l’’attention sur les juifs français qui étaient encore épargnés à cette période ». Ainsi, sur les conseils du grand rabbin, le cardinal Suhard adoptait la même attitude que Pie XII, attitude tant reprochée à ce pape de nos jours !
Les évêques n’’auraient pas pu faire grand chose s’’ils n’’avaient été aidés par leurs prêtres, par une foule d’’institutions religieuses et par des couvents. La multitude des exemples donnés dans cet énorme ouvrage rend impossible toute citation. Citons simplement ce que Mme Yagil dit en conclusion : « La contribution des couvents, des institutions religieuses et des écoles libres au sauvetage des juifs fut impressionnante. Il y a eu aussi tout un effort d’’aide aux juifs internés, un travail de sauvetage, de mise à l’’abri, de protection des enfants et des familles juives. De la part des congrégations féminines, on observe que l’’aide aux juifs et peut-être surtout aux juives était véritablement un fait massif, journalier et universel. » Ces prêtres, ces religieux et ces religieuses entraînèrent aussi la population dans cette aide massive et multiforme.
N’’oublions pas enfin le rôle important des protestants, pasteurs et fidèles, qui s’’engagèrent à fond dans ces opérations de sauvetage. Le village du Chambon-sur-Lignon est présent à tous les esprits mais il fut loin d’’être le seul exemple. Là encore, les gestes de solidarité furent si nombreux qu’’il est impossible d’’en citer un plutôt qu’’un autre.
Ainsi, contrairement à la légende qui tient lieu d’histoire officielle, ce furent les autorités de Vichy et les chrétiens qui agirent en faveur des juifs durant la guerre. « La France libre n’’encouragea aucune action de sauvetage en France en faveur des juifs internés dans les différents camps ou une aide aux familles juives cherchant à quitter la France ». Le parti communiste ne s’’intéressa pas plus à eux.
Le mérite du travail immense de Mme Yagil est de remettre les pendules à l’’heure en démolissant indirectement la thèse de Jules Isaac qui prétendait que « l’’enseignement du mépris » prétendument inspiré par l’’Église, aurait conduit à la Shoah alors que cet enseignement, totalement étranger au mépris, conduisit au sauvetage de dizaines de milliers de juifs en France et de centaines de milliers dans toute l’’Europe.
Yves Lenormand L’’Action Française 2000 21 septembre au 4 octobre 2006
(1) Limore Yagil : Chrétiens et juifs sous Vichy (1940-1944), sauvetage et désobéissance civile. Éditions du Cerf, Paris-2005. 765 p., 59 euros.

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