PARIS (via Polémia) - Encore une bonne nouvelle ! La chanson engagée a changé de camp. La gauche est aphone, la droite a retrouvé de la voix. Fin connaisseur de la chanson française, Thierry Bouzard fait le point pour Polémia.
La musique a toujours constitué un réservoir de soutiens pour la gauche française : la fête de l’Huma est un exemple de cette instrumentalisation des artistes, mais il semble que le ressort soit cassé. Pour fêter l’adoption de la loi Taubira, un grand concert gratuit avait été organisé Place de la Bastille et, malgré le plateau de vedettes, à peine quelques centaines de personnes s’étaient déplacées. Depuis quelques mois sont apparues de nouvelles chansons dans le sillage du mouvement d’opposition au mariage homosexuel. Ces chansons ne constituent pas un véritable courant musical, mais elles s’inscrivent dans une tendance plus large qui révèle qu’au-delà des clivages politiques s’est amorcé un profond revirement de société.
La chanson a préparé la « révolution » de Mai-68
La chanson a préparé la « révolution » de Mai-68, puis, à travers les radios « libres », elle a contribué au retour de la gauche en 1981. Les nouvelles modes musicales qui accompagnèrent ces mouvements de contestation étaient issues de multiples courants – dont certains authentiquement traditionnels –, qui furent récupérés par des producteurs et des artistes sachant profiter des occasions commerciales et par des politiques qui opéraient les récupérations idéologiques. Le rôle du rap pour garder le contrôle de la jeunesse des banlieues a été mis en évidence. Les nouvelles compositions issues du courant qui s’oppose au mariage homosexuel procèdent du même processus culturel qui fait de la chanson un moyen d’expression populaire porteur d’un contenu politique. Dans les années soixante, le microsillon permettait cette diffusion du répertoire, en 1980-1981 ce furent les radios de la bande FM qui contournèrent les monopoles étatiques, en 2013, ce sont essentiellement les réseaux sociaux d’internet qui rendent possible leur échange à grande échelle, en s’affranchissant des moyens institutionnels contrôlés par un pouvoir qui fait tout pour les ignorer.
De Montand à l’underground
S’il est délicat de faire la part entre l’inspiration ou l’opportunisme qui motive le chansonnier dans les choix de ses textes, rares sont les professionnels qui versent dans le répertoire exclusivement politique. Le talent de l’artiste est une sorte d’antenne qui lui permet de percevoir la sensibilité de son époque et de la transcrire dans la forme d’expression qu’il utilise. Les évolutions des modes artistiques constitueraient ces
« signaux faibles » qui annonceraient des changements de société. Quand Yves Montand chante la première chanson antimilitariste de l’après-guerre (Quand un soldat) au premier meeting du Mouvement pour la paix en 1952, il joue un rôle de précurseur pour les chanteurs engagés et sa chanson n’a pas la virulence de celle de Boris Vian (Le Déserteur) qui, lui, n’était pas un « chanteur engagé » tout en ayant un réel impact sur un certain public. Conseillé par des cadres du Parti communiste, Montand récidivera en 1955 avec un disque qui sera rapidement interdit d’antenne (3) mais qui exercera une influence aussi considérable que sous-estimée sur le répertoire français puisqu’il s’agit de la première relecture politique de la chanson traditionnelle (4).