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Les guerres médiques

Voici 25 siècles, sur ce théâtre unique, face aux “Barbares”, des Européens se découvrirent tels.

À l'aube du Ve siècle avant notre ère, dans un monde égéen peu peuplé, sous pression des “Barbares” aux frontières de l'Hellade, les Grecs avaient une faible conscience de leur identité. Tout allait changer avec les guerres médiques et la menace d'une invasion ressentie comme celle de l'Asie.

Jusqu'alors, le Barbare était avant tout l'étranger qui ne parlait pas la langue d'Ho­mère. Sa prononciation « lourde et empâ­tée », comme la caractérisera Strabon au Ier siècle encore, suscite les moqueries. Le mot même de “Barbare” retranscrit les onoma­topées ou le bredouillis incompréhensible que les Hellènes entendaient dans la bouche du voyageur accueilli suivant les règles d'hos­pitalité, mais qui était radicalement étranger à leur univers. Si le fait linguistique était la manifestation immédiatement perceptible d'une différence, ce sont les liens du sang, de la religion, des coutumes de la terre qui fon­daient le sentiment d'appartenance.

Sentiment encore faible. Il n'interdisait pas les querelles entre les cités soucieuses de leur autonomie. Ce n'est pas en vain que l'on a pu parler de culture “agonale”, c'est-à-dire bel­liqueuse, pour les Grecs. Une vision helléno­centrée du monde, avec Delphes pour centre ou pour “nombril”, rejetait les Barbares, qu'ils soient égyptiens, carthaginois ou perses, vers des marges géographiques que seuls les voyageurs, ou encore des esprits aty­piques comme Hérodote, étaient en mesure de connaître. Pourtant, la trop grande proxi­mité du puissant empire perse à la lisière du monde grec allait radicalement modifier la perception des Barbares et, en retour, l'image que les Grecs se faisaient d'eux-mêmes.

La prise de conscience d'une menace repré­sentée par les hordes du Grand Roi fut cepen­dant tardive. Sur la rive asiatique de la mer Égée, l'Ionie, peuplée de Grecs, avait été bruta­lement conquise au milieu du VIe siècle par le souverain achéménide Darius Ier, et intégrée à un ensemble politique oriental qui s'étendait jusqu'à l'Indus. Des maîtres perses et mèdes furent imposés aux Grecs ioniens, qui devaient compter avec une forte présence étrangère sur leur territoire. Il faut préciser que les Perses et les Mèdes d'alors, mêlés aux populations dis­parates de la Babylonie, n'avaient plus guère de parenté avec les conquérants indo-européens arrivés dans ces régions plus de mille ans aupa­ravant. Le fossé ethnique se doublait d'une forte opposition politique, dans la mesure où l'occupant favorisait le régime des tyrans. Mais lorsqu'en -499 les cités d'Ionie se révoltèrent, seules Athènes et Érétrie répondirent à l'appel et se portèrent à leur secours. La menace n'était pas encore ressentie comme assez pressante pour que les Grecs dans leur ensemble, et en tant que tels, en mesurent l'ampleur.

En 492 avant notre ère, 2 ans après la des­truction de Milet, la traversée du Bosphore par les troupes perses que menait Mardonios, gendre du Grand Roi, précisa tout à coup l’imminence du danger. Quelques cités, soucieuses de leur autonomie, préférèrent pourtant s'accommoder d'une tutelle étrangère et même profiter de la situation pour asseoir un pouvoir jusque-là contesté. Il est vrai qu'allaient s'affronter un puissant État centralisé et une poussière de communautés de type rural, plus habituées aux querelles de voisinage qu'à la résistance à une invasion étrangère ! « Qui serait donc capable de tenir tête à ce large flux humain ? Autant vouloir par de puissantes digues contenir l'invincible houle des mers ! » écrira Eschyle (Les Perses, - 472). L'armée barbare semblait irrésistible. Mais lorsque les émissaires achéménides vinrent exiger d'Athènes « la terre et l'eau », c'est-à-dire la soumission de la cité, ils furent, simplement, mis à mort.

Après avoir incendié Naxos ou encore Érétrie, dont les populations furent réduites en esclavage, les Perses débarquèrent alors à Marathon en -490. Contre toute attente, Athéniens et les Platéens, leurs voisins, forts de la cohésion de leur phalange, sortir vainqueurs d'une bataille où l'infanterie barbare l'emportait pourtant par le nombre. Ils s'offrirent même le luxe de rentrer à Athènes au pas cadencé pour protéger la cité d'un éventuel débarquement. Dès lors, les Athéniens pouvaient se flatter, comme l'explique Hérodote, « d'avoir été les premiers de tous Grecs à affronter l'ennemi, les premiers à supporter la vue du vêtement mède et des hommes ainsi vêtus, alors que les Grecs prenaient peur rien qu'à entendre le nom des Mèdes ».

Dix ans plus tard, l'ambitieux Xerxès, successeur de Darius, décida d'une seconde expédition, préparée méthodiquement et sans commune mesure avec la précédente. Hérodote a dépeint une armée immense qui défila pendant 7 jours et 7 nuits devant son chef ! Conscients qu'il ne s'agissait cette fois non plus de représailles mais d'une véritable invasion, les Grecs s’organisèrent sous le commandement de Sparte et cela en dépit des oracles défavorable de Delphes.

La Grèce était menacée d'anéantissement. L’Achéménide voulait la réduire par la force et la noyer dans la masse des peuples déjà sous tutelle. La deuxième guerre médique commença en -480. À la tête d'une immense armée bigarrée, Xerxès passa l'Hellespont. Par la Thrace, la Macédoine et l'Épire, il des­cendit vers la Grèce centrale. Malgré l'hé­roique résistance des Spartiates de Léonidas, le défilé stratégique des Thermopyles fut franchi. Les Athéniens durent se réfugier sur leur flotte et quitter leur cité. Eux qui se consi­déraient comme les véritables fils de Gaïa – la Terre divinisée –, enracinés au plus profond du sol de leur patrie, ils laissèrent leurs terres aux mains de l'ennemi. Mais c'était pour prendre une éclatante revanche sur mer, à Salamine, sous le commandement de Thé­mistocle. Cette première victoire précédait celle du Spartiate Pausanias, l'année suivante, sur terre, à Platée.

Ces victoires et d'autres encore précipitè­rent la déroute des Perses et la libération des cités grecques d'Asie Mineure, regroupées dans la ligue de Délos par Athènes en -478. Après de nouvelles victoires navales, le Grand Roi dut reconnaître l'indépendance des villes d'Ionie. Et c'est naturellement dans la bouche des Athé­niens, jurant de ne jamais trahir leurs alliés au profit des Perses, qu'Hérodote place la première recon­naissance explicite de la « grécité ». Après avoir évoqué les temples saccagés et les dieux profanés par les Barbares, qui appellent ven­geance, « il y a le monde grec uni par la langue et par le sang, les sanctuaires et les sacrifices qui nous sont communs, nos mœurs qui sont les mêmes… » (Enquête, livre VIII).

L'Hellade était sauvée et tous avaient conscience que seule l'alliance des cités avait permis de repousser l'envahisseur. Forts de leur victoire, les Grecs ne cessent alors de la raconter, d'exalter leur glorieuse résistance et de définir ce qui les distingue radicalement de vaincus qui restent néanmoins mena­çants. Tous se reconnaissent dans une cer­taine façon de combattre. La phalange hoplitique, symbole de la cohésion de la cité, constituée de citoyens soldats luttant pour leur patrie, apparaît comme l'antithèse des armées barbares désordonnées, composées d'esclaves tributaires du Grand Roi, issues des différentes peuplades soumises aux Achémé­nides. L'iconographie grecque ne manque pas de les représenter au moment où ils s'apprê­tent à fuir et tombent à terre, blessés, souli­gnant toujours le caractère exotique de leurs traits et de leur accoutrement. La pureté de la flotte grecque est également magnifiée, notamment par Eschyle. Au martèlement des rames frappant l'eau en cadence et le chant de guerre entonné d'une seule voix, le poète oppose le bruissement confus qui montent des navires barbares à Salamine.

L'absence d'ordre, la démesure, les com­portements excessifs deviennent d'ailleurs les caractéristiques des Barbares. Incapables de se contrôler et de reconnaître les limites fixées à l'homme, ils per­turbent l'équilibre du monde et ne peuvent que susci­ter la colère des dieux. Exemple de l'hubris [perte du sens de la mesure] barbare, Xerxès en per­sonne. À la mer, coupable d'avoir démantelé un pont que ses soldats venaient d'achever, il ordonna d'administrer 300 coups de fouet et de marquer les flots au fer rouge, comme il l'aurait fait avec un esclave. De façon plus générale, face à une forme organi­sée et méthodique de domination qui les menaçaient, les Grecs ont, par contraste, fait de la liberté le trait caractéristique de leur civilisation.

Les contours de l'identité grecque se sont ainsi précisés dans l'adversité et la résistance commune. L'hellénisme peut désormais être perçu comme un destin historique qu'il s'agit de graver dans la pierre et dont il faut conser­ver la mémoire : avec la dîme du butin, un trépied d'or fut offert à Delphes, sur une colonne portant les noms des cités qui avaient combattu à Platée, et des fêtes pan­helléniques de la liberté furent organisées tous les 4 ans sur le site de cette bataille. La mémoire historique des Grecs, qui se limi­tait jusqu'ici aux récits homériques, s'enrichit d'une référence majeure et fédératrice à laquelle on recourra toujours. L'Iliade, pre­mière épopée panhellénique, fut même réin­terprétée et inscrite dans la longue série des conflits qui menèrent à l'invasion de Xerxès, tandis que la génération de Marathon était considérée comme l'égale des héros du cycle troyen. Sans doute les fils de Priam parlaient­-ils la même langue et rendaient hommage aux mêmes dieux que les Achéens, mais ils comptaient des Barbares dans leur armée. La division du monde et de son histoire, « depuis que la mer a séparé l'Europe de l'Asie » en 2 blocs distincts, radicalement opposés, imposa une telle relecture.

S'il est vrai que la force de cette mémoire partagée, et sans cesse chantée par les poètes, fut mise à mal par l'atomisation des cités, la lutte contre les Perses n'en est pas moins à l'ori­gine d'une prise de conscience identitaire. Elle est également la source de couples symbo­liques qui n'ont cessé de marquer les construc­tions historiques et politiques à venir : Europe et Asie, civilisation et barbarie.

Emma Demeester, NRH n°7, été 2003.

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◘ Chronologie :

  • 546-540 : Conquête de l'Asie mineure et des cités d'lonie par Darius Ier.

  • 499-494 : Révolte de l'lonie contre les Perses.

  • 490 : Première guerre médique : victoire athénienne de Marathon.

  • 486 : Avènement de Xerxès Ier.

  • 480-479 : Deuxième guerre médique.

  • 480 : Sacrifice des Spartiates aux Thermo­pyles. Sac d'Athènes. Victoire navale des Athéniens à Salamine.

  • 479 : Victoire de Platée, libération de la Grèce. Victoire navale de Mycale, libération de l'lonie.

  • 478 : Révolte et libération des Grecs d'Asie Mineure.

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