Les siècles de la fin du Moyen Âge (XIIIe -XVe siècles) sont ceux, selon l’historien Thierry Dutour, du triomphe de l’Europe urbaine [I], marqués par une évolution sociale majeure : l’affirmation de la ville comme l’organisme où confluent, se forment et se transforment toutes les élites, dont celle de la bourgeoisie [II] – les habitants des bourgs – et, de plus en plus, toutes les dimensions de la supériorité sociale.
Au 13e siècle, le retour à une paix relative favorise la démographie, la circulation des marchandises, des idées et des hommes, et le fort développement des villes de l’Europe entière, déjà amorcé au siècle précédent.
Les bourgeois s’enrichissent et s’organisent : artisans et marchands, regroupés au sein de guildes, corporations, etc., se révoltent contre l’autorité des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques et parviennent à obtenir des chartes de libertés leur permettant de s’administrer eux-mêmes. En fonction des libertés obtenues, des villes se dotent d’institutions municipales aux compétences plus ou moins étendues, tandis que les villes République, les Républiques maritimes d’Italie, et les villefranches [III] s’affranchissent de la tutelle féodale.
Une autre conséquence est, naturellement, l’augmentation de la pauvreté urbaine et un fractionnement des tenures ; l’écart s’élargit entre les riches – bourgeois aisés, noblesse, haut clergé – et les pauvres, entraînant des révoltes du « menu » peuple contre le peuple « gras » : les grèves, les conflits sociaux, les émeutes se succèdent, tandis que la criminalité et la prostitution se développent d’autant.
Contre ses troubles et les dissidences religieuses [IV], l’Église invente l’Inquisition – tribunal pontifical créé par Grégoire IX entre 1231 et 1233 -, le purgatoire, et dresse les majestueuses et écrasantes cathédrales gothiques ; tandis que les contours d’une nouvelle police professionnelle se dessine sous le règne de saint Louis, qui réorganise la sécurité urbaine: le guet de nuit (Organisation chargée de protéger un bourg créée par Clotaire II vers 584), devient le guet royal, dirigé par un chevalier du guet (un noble), assisté de sergents de ville, et d’une milice bourgeoise, composée de bourgeois « de corvée ». En 1306 Philippe le Bel crée les commissaires examinateurs du Châtelet, symbole du plein pouvoir judiciaire, un corps de magistrats chargé de la criminalité à Paris.
Face à ces grands bouleversements, apparaissent les Ordres mendiants, qui s’érigent contre l’opulence de l’Église, des riches bourgeois et la décadence morale des classes inférieures : la ville – création de Caïn – est considérée comme le lieu de toutes les débauches, de dépravation, qu’il convient de moraliser par le renoncement à toutes formes de richesse et l’apologie de la pauvreté. D’autres Ordres religieux avaient, bien avant eux, fait vœu de pauvreté, mais les Ordres mendiants, plutôt que choisir une vie de retraite dans les ermitages, ou contemplative dans des monastères ruraux, clos et isolés du monde, vont investir la ville, et ouvrir leurs couvents aux plus pauvres, en réorganisant la charité urbaine, à l’échelle européenne.
Benoît Giuliéri [V] évoque les propos de Jacques Le Goff qui présente ce constat : « la ville médiévale est plus proche de la ville contemporaine que nous connaissons aujourd’hui que de la ville antique à laquelle elle succède chronologiquement. La ville médiévale nous apparaît alors en continuel mouvement.
Sur le plan de l’urbanisme, la ville évolue, sans cesse en chantier, et connaît un renouveau sur les plans tant culturel et intellectuel que social, sous l’impulsion des universités, et des ordres mendiants. Cette situation favorise alors l’émergence d’une opinion publique et explique le mouvement d’émancipation des villes face aux seigneurs, souvent campagnards, et la volonté des puissants citadins de prendre en main les destinées de la cité avec l’apparition d’une caste de bourgeois.
D’autre part, c’est au Moyen Âge que se renforce le clivage entre ville, lieu de civilisation, et campagne ; et ainsi apparaît le processus d’aimantation de la banlieue par le centre qui fait tant débat aujourd’hui. Le boulevard périphérique a remplacé les remparts mais les passages rythment tout autant la journée urbaine. Et si la ville tend à perdre son centre, qui ne serait plus qu’historique, son développement n’en reste pas moins dicté, au-delà d’un problème de manque de place, par une volonté de prestige qui pousse vers le haut. La conquête de l’altitude illustrée par Manhattan n’est finalement que le prolongement des flèches, cathédrales et campaniles de la ville médiévale.»
Les ordres mendiants
Les ordres mendiants, Dominicain et Franciscain [VI], apparaissent au début du XIIIe siècle en réaction contre les hérésies et les crises qui secouent l’Église séculière. L’ordre des dominicains, ou Frères prêcheurs, est fondé en 1215 par l’espagnol Dominique de Guzman et reconnu par le pape la même année. L’ordre des franciscains, ou Frères mineurs, rassemble les disciples de Francesco di Pietro Bernardone d’Assise [intronisé en 1979 par Jean-Paul II,Patron de l'écologie...], ayant fait le choix de vivre selon les préceptes de l’Évangile, dans la pauvreté et le dépouillement.
La papauté reconnaît leur règle en 1223. Ils défendent une nouvelle forme de vie religieuse inspirée de l’érémitisme oriental, basée sur le retour à la pauvreté évangélique et sur une nouvelle forme d’apostolat, tournée vers les villes, en plein essor à l’orée du XIIIe siècle. L’Ordre des Carmes – chassé de Palestine – investit les villes d’Europe en 1238 ; le quatrième Ordre, de saint Augustin prend forme en 1256 ; puis, une multitude d’Ordre mendiants – masculin et féminin – affiliés ou posant leurs propres règles naîtront.
En dépit des différences considérables qui existaient au départ entre ces mouvements, les contemporains ont été suggérés à la fois à leur parallélisme et leur nouveauté radicale par rapport aux ordres religieux existants ; notamment les nomades franciscains. Contre une Église qui installait les clercs au sommet de la hiérarchie, les franciscains choisissent la pauvreté pour suivre l’exemple du Christ. Ils deviennent des vagabonds, partageant l’errance des plus pauvres. Or c’est justement cette errance qui est en premier lieu, insupportable à l’Église établie, et les premiers franciscains arrivés à Paris en 1230 sont pris pour des hérétiques. L’attitude adoptée par l’Église à l’égard des ordres mendiants n’est pas seulement le signe d’une résistance à une spiritualité qui ouvre la question de la réforme de l’Église, elle est le signe de l’impossibilité de supporter le caractère incontrôlable et contestataire de l’errance fut-elle l’occasion de louer Dieu. Les clergés de la même manière se sont méfiés des pèlerins.
Une même crainte de l’errance et de la nuit hante les esprits cléricaux, car, rassemblés dans la nature ou le sanctuaire votif, les fidèles échappent aux règles. Ils s’installent dans une société nouvelle et différente, constituée par le mélange des horizons nationaux, des groupes sociaux, des sexes, : un monde éphémère d’élection individualisé et collective, libre et de hasard.La mobilité est trop favorable au déploiement et à l’éclosion de pratiques sociales et religieuses incontrôlées. Comme on oblige les franciscains à se sédentariser, on limite les itinéraires de pèlerinage. (André Vauchez – Les ordres mendiants et la reconquête religieuse de la société urbaine – l’Histoire du christianisme | 1993 Extraits)
À la différence du monachisme traditionnel, les frères mendiants ne respectent pas de règle de clôture et sortent fréquemment de leur couvent pour prêcher et enseigner. Très populaires dans les villes grâce à leur prédication, ils s’imposent rapidement face aux moines cloîtrés et surtout face au clergé séculier, comme des intermédiaires privilégiés de la parole divine pour le peuple. Ils sont généralement maîtres en théologie, diplôme bien supérieur à ce à quoi peut prétendre l’immense majorité des curés de paroisse. Ils ne tardent d’ailleurs pas à s’illustrer au sein des universités – comme saint Thomas d’Aquin ou saint Bonaventure –, où ils se heurtent à la rivalité des clercs séculiers.
Soutenus par le pape, leurs couvents se développent dans toute la Chrétienté où ils initient une nouvelle forme de spiritualité laïque, en incitant au développement de confréries pieuses et en réorganisant la charité urbaine.
Au-delà de ces divergences qui ont certes leur importance mais qui tendront à s’atténuer au cours du XIIIe siècle, les caractères communs aux nouveaux ordres étaient fondamentaux, et les contemporains ne s’y sont pas trompés qui ont vu en eux deux aspects d’un même phénomènes.
Plus encore que la mendicité à laquelle ils doivent leur nom, les ordres mendiants se définissent avant tout par leur attitude apostolique, c’est-à-dire le désir de se vouer corps et âme au salut des âmes en péril, qu’il s’agisse des simples fidèles, des hérétiques ou des païens. Aussi, à la différence des ordres religieux antérieurs, se montrèrent-ils extrêmement ouverts sur le monde qu’ils se proposaient d’évangéliser. Tout en vivant dans des communautés conventuelles, ils ne demeuraient pas à l’abri du cloître mais le quittaient aussi souvent qu’il le fallait pour entrer en relation avec les hommes.
Contrairement aux moines, les fils de saint François et de saint Dominique ne renonçaient à la vie profane que pour mieux se tourner se tourner vers ceux qui les entouraient et leur parler de Dieu. La vocation première du religieux mendiant n’était pas d’expier ses propres fautes ou ses manquements envers la règle, mais d’amener les fidèles à la pénitence et les infidèles à la vraie foi.
De ce fait, les mendiants n’étaient pas astreints à la stabilité, mais se caractérisaient au contraire par une grande mobilité. D’un couvent à l’autre, les déplacements étaient constants et les frères souvent sur les routes, où ils cheminaient par deux. Les études, qui se développèrent rapidement au sein des deux ordres, les amenaient à voyager, ne serait-ce que pour se rendre au studium auquel leurs supérieurs les avaient affectés pour étudier ou enseigner.
La réunion des chapitres provinciaux et généraux, les missions à accomplir auprès de la curie ou les ambassades que l’on ne tarda pas à leur confier, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la chrétienté, étaient également l’occasion de contacts stimulants ainsi que d’échanges de nouvelles et d’idées. Les relations avec les laïcs étaient plus importantes encore: la mendicité, sous la forme de la quête, était déjà pour les frères l’occasion d’une rencontre avec ceux dont ils dépendaient pour leur subsistance matérielle.
Mais c’est évidemment la prédication qui était l’occasion principale de transmettre la bonne Parole aux fidèles. Cela pouvait se faire dans le cadre d’une église paroissiale, où le curé avait invité ou laissé venir les religieux, ou en plein air, sur les places publiques, lorsque le climat et les circonstances s’y prêtaient, ou encore dans le cadre des réunions de confréries ou autres groupes de dévots et dévotes qui les avaient choisis comme aumôniers ou gravitaient simplement dans leur sillage.
Par des voies très diverses, les mendiants ont donc cherché à influencer en profondeur le monde des laïcs en y créant des points d’appui et des réseaux de sympathisants, assurant par capillarité la diffusion du message pénitentiel et des thèmes spirituels dont ils étaient porteurs.
Aussi conçoit-on aisément que la papauté, qui connaissait mieux que quiconque les faiblesses du clergé séculier et la difficulté de faire évoluer ce corps sclérosé, ait accueilli comme un événement providentiel l’apparition de saint François et de saint Dominique ainsi que de leurs fils spirituels, et qu’elle ait été tentée d’utiliser cette milice pleine de zèle et d’ardeur pour faire face à ce qu’elle considérait comme les besoins urgents de l’Église, au risque de gauchir sur certains points les intentions de leurs fondateurs.
Les ordres mendiants et les villes
Au XIIIe siècle, l’influence religieuse des Ordres mendiants s’est exercée essentiellement dans les villes et, même dans des régions où ils étaient très bien implantés comme la Toscane, elle ne se fit guère sentir dans les campagnes avant le XIVe siècle. Cette priorité donnée dans leur apostolat à la société urbaine s’explique par plusieurs raisons. La première est évidemment l’essor démographique de l’Occident, au moins jusque vers le milieu du XIIIe siècle, et la place croissante qu’y occupaient les villes sur le plan politique, économique et culturel.
Beaucoup plus que par le passé, c’est là que se situaient désormais les centres vitaux de la chrétienté. L’Église avait été lente à s’adapter à l’évolution en cours et demeurait dans l’ensemble attachée aux structures et aux valeurs de la société rurale, dans laquelle s’étaient épanouis la plupart des mouvements religieux des XIe et XIIe siècles, de l’érémitisme à Cîteaux. La ville n’était-elle pas en effet un lieu de perdition, où les occasions de péché étaient particulièrement nombreuses ?
On s’y enrichissait en général plus vite qu’à la campagne et l’argent y circulait davantage, procurant à ceux qui en avaient la possibilité des gains considérables par la pratique du crédit et du prêt sur gages. Aussi bon nombre d’hommes d’Église rigoristes, ou simplement exigeants sur le plan moral, réagirent-ils bientôt en jetant l’anathème sur certaines formes nouvelles de la vie économique et de la société urbaine.
Au XIe siècle, un Pierre Damien – ermite puis cardinal – en Italie, au XIIe siècle les moines bénédictins comme Guibert de Nogent en France ou Rupert de Deutz en Allemagne, n’avaient pas eu de mots assez durs pour dénoncer l’immoralité de la vie citadine, où le brigandage et l’enrichissement illicite étaient de règle à tous les échelons de la société. Non seulement les riches y étalaient leur corruption mais les pauvres eux-mêmes, souvent des paysans fugitifs attirés là par l’appât du gain et le désir de liberté, y devenaient revendicatifs, n’hésitant pas à former avec les bourgeois des conjurations illicites et à se révolter parfois contre le pouvoir de l’évêque, maître de la cité ou seigneur d’une partie de celle-ci.
Plus tard les canons des conciles de Latran II (1123) et Latran III (1179) dénoncèrent pêle-mêle le rôle des usuriers dans la vie économique et leurs méfaits, les scandales provoqués par l’afflux des prostituées attirées par ces concentrations humaines, ainsi que le développement des hérésies dans les villes du Midi, tandis que saint Bernard accusait les étudiants qui s’y multipliaient de préférer les discussions oiseuses sur des thèmes philosophiques à la méditation sereine et respectueuse de la Parole de Dieu. À l’agitation stérile des écoles urbaines, ce dernier opposait les joies austères de la contemplation au «désert», c’est-à-dire dans les monastères cisterciens situés au fond des bois, dans les lieux sauvages et reculés.
Telle était donc la situation au début du XIIIe siècle lorsqu’apparurent les premiers Ordres mendiants. Leurs fondateurs prirent vite conscience du fait que la ville était un domaine à reconquérir sur le plan religieux. En Ombrie, il fallait arracher les citadins à la fascination qu’exerçaient sur eux la richesse et le pouvoir dont ils étaient les maîtres dans le cadre des institutions communales, qui servaient trop souvent à écraser les pauvres et les paysans; dans les villes du Languedoc, le problème majeur était celui de l’hérésie à laquelle une bonne partie de la population avait adhéré par haine de l’Église et du clergé, sous l’effet de la prédication évangélique des Parfaits cathares et des vaudois.
C’est donc essentiellement pour des raisons pastorales et en raison de leur désir de conduire au salut les citadins que saint François et saint Dominique ainsi que leurs compagnons orientèrent en priorité leur apostolat vers les villes où se trouvaient réunies des milliers d’âmes menacées de perdition, à leurs yeux, sur le plan moral et religieux.
Mais d’autres raisons attiraient également vers les villes les ordres nouveaux. La croissance rapide de leurs effectifs et leur refus de toute propriété foncière les obligèrent en effet à s’insérer dans la société urbaine, où l’argent était abondant, afin d’y trouver les ressources – aumônes mais bientôt aussi legs testamentaires et fondations pieuses – dont ils avaient besoin pour faire vivre leurs communautés. Le fait qu’ils étaient extérieurs au régime seigneurial et à la féodalité les fit bien voir des populations, en particulier des bourgeois.
Ces derniers, ayant gagné beaucoup d’argent par la pratique du prêt à intérêt et d’autres activités similaires, illicites aux yeux de l’Église, avaient assez mauvaise conscience pour éprouver le besoin d’en redistribuer une partie à ces religieux qui avait choisi de vivre dans la pauvreté et l’humilité.
En outre, les frères prêcheurs, qui étaient dès l’origine un ordre de clercs, choisirent de s’installer à proximité des écoles qui se trouvaient dans les grands centres urbains, et les frères mineurs ne tardèrent pas à les imiter. Ainsi, vers 1230, les deux premiers Ordres mendiants avaient pris une orientation résolument urbaine qui ne devait plus se démentir et qui sera imitée par les suivants. Mais, dans un premier temps qui dura jusque vers 1250 environ, leurs implantations s’effectuèrent surtout dans les quartiers périphériques des villes qui étaient situés en général à l’extérieur des murs d’enceinte.
Ce choix leur fut dicté par plusieurs considérations: d’une part, ces nouveaux venus étaient encore assez mal connus au début, et les évêques ou les chapitres cathédraux, auxquels les papes les recommandaient, leur concédèrent souvent de modestes églises périphériques ou des terrains situés dans des zones en voie d’urbanisation. Mais, par ailleurs, ces localisations correspondaient aux vœux des frères qui, dans ces banlieues, se trouvaient en contact avec des habitants récemment venus de la campagne à la ville, mal intégrés dans leurs structures paroissiales traditionnelles.
Après 1250 en revanche, dans beaucoup de villes, on vit les mendiants changer d’emplacement et se faire construire – en général aux frais de la commune ou de quelque riche seigneur ou bourgeois – des couvents ou de belles églises situées à l’intérieur des murs. Ce faisant, les religieux répondaient certes aux vœux d’une bonne partie de la population, en particulier des classes dirigeantes – noblesse et aristocratie urbaine – qui appréciaient de plus en plus leur genre de vie et les soutenaient de leurs subsides.
Mais cette urbanisation définitive et complète ne fut pas acceptée par tous, en particulier chez les frères mineurs, car elle s’accompagnait d’une fuite devant la précarité économique et l’insécurité qui constituaient un aspect fondamental de leur vocation. Aussi certains d’entre eux, en particulier les premiers compagnons de saint François encore vivants, préfèrent-ils se retirer dans des ermitages et ne dissimulèrent-ils pas leur hostilité aux évolutions en cours.
On les appela les Spirituels. Mais leurs protestations n’eurent guère d’échos dans l’immédiat et la hiérarchie des Ordres mendiants ainsi que la papauté mirent toujours davantage l’accent sur la mission pastorale des frères et sur le rôle qu’ils devaient jouer dans l’encadrement religieux des fidèles. La tâche fondamentale qui leur était assignée par la hiérarchie était la prédication, qui devait conduire les laïcs à la pénitence et à la confession sacramentelle.
Où pouvait-on mieux que dans les centres urbains réunir des foules dans les églises ou sur les places publiques pour leur parler de Dieu et les inviter à la conversion? En outre, surtout en Italie, l’hérésie était essentiellement un phénomène urbain. Or, à partir de 1233, les dominicains et, un peu plus tard, les franciscains furent officiellement chargés de l’inquisition.
Leurs couvents devinrent donc, dans les régions contaminées par l’hérésie, des tribunaux où l’on procédait à l’interrogatoire des suspects et parfois des prisons. Alors que leur vocation semblait les exclure des fonctions d’autorité, les frères se trouvèrent devenir des instruments du pouvoir ecclésiastique et même des agents de propagande politique au service du Saint-Siège, comme on le constata en Italie à l’occasion du grand conflit qui opposa l’empereur Frédéric II aux papes Grégoire IX et Innocent IV. Or, dans l’Europe du milieu du XIIIe siècle, les villes étaient des enjeux fondamentaux qu’il était essentiel pour l’Église de contrôler.
Cette mainmise des Ordres mendiants sur la ville s’opéra de façon progressive et selon des modalités différentes selon les régions. En Italie septentrionale, dès 1233, on avait assisté à une tentative de la part de certains frères pour imposer leur loi à la société civile, à la faveur de la popularité qu’ils avaient acquise dans l’opinion. Ainsi le dominicain Jean de Vicence se vit confier les pleins pouvoirs sur le plan politique par des cités comme Bologne ou Vicence, ce qui lui permit d’y prendre des mesures en vue de ramener la paix entre les factions et de combattre l’hérésie.
Mais ce succès demeura sans lendemain car, une fois retombé l’enthousiasme suscité par le prédicateur, les communes ne tardèrent pas à revenir à leurs querelles intérieures et à leurs conflits territoriaux. Instruits par l’expérience, les frères préférèrent par la suite s’appuyer sur les laïcs qui gravitaient dans leur sillage sur le plan spirituel et les organiser en mouvements, dont certains avaient des buts essentiellement religieux mais d’autres, comme la société de la Foi, créée à Florence et Milan par le dominicain saint Pierre Martyr, ou encore la Milice de Jésus-Christ, véritable ordre de chevalerie en milieu urbain, visaient à procurer à l’orthodoxie un soutien militant dans sa lutte contre les hérétiques et leurs protecteurs.
Plus largement, en Italie, les mendiants surent user de leur prestige auprès des laïcs et de l’influence qu’ils exerçaient sur de nombreuses confréries de pénitents (Laudesi qui chantaient des cantiques en langue vulgaire en l’honneur de la Vierge et des saints, Disciplinati ou flagellants qui se multiplièrent après 1260, tiers ordres structurés après 1280) pour regagner à l’Église la société communale qui, vers, 1200, semblait en passe de lui échapper. Au terme de ce processus, on peut dire que les Ordres mendiants, au cours des dernières décennies du XIIIe siècle, se sont profondément enracinés dans les villes et les ont marquées de leur influence.
Leur pastorale d’insertion avait porté ses fruits et des liens souvent très étroits s’étaient établis entre eux et les pouvoirs municipaux, qui ne nourrissaient aucune méfiance vis-à-vis de ces frères dont ils n’avaient rien à craindre sur le plan politique. À Marseille comme à Bruges ou à Rome, l’église conventuelle des Frères Mineurs servait de lieu de réunion pour les organes dirigeants de la communauté urbaine et c’est là que les notabilités de la ville venaient chercher une sépulture honorable, ainsi que des prières et des suffrages pour affronter l’au-delà.
Cette solidarité entre les ordres mendiants et la ville qui les abritait reposait du reste sur un échange équilibré de services: la municipalité leur accordait des subsides réguliers sous forme de dons en argent et en cierges de cire, mais aussi d’offrandes régulières de bois et de vêtements. En contrepartie, elle avait souvent recours à leurs services comme messagers, médiateurs ou diplomates.
Dans certaines cités italiennes, cette collaboration était si étroite que les dominicains gardaient précieusement les archives communales dans leur couvent, tandis que les franciscains et les autres mendiants ne jouaient pas un rôle moins utile en restituant à la commune l’argent des fraudes sur les deniers publiques que certains de leurs pénitents leur avaient remis sous le secret de la confession. L’illustration peut-être la plus remarquable – et aujourd’hui la plus évidente – du succès rencontré par les Ordres mendiants est constituée par leurs églises.
Alors que leurs fondateurs avaient souhaité que les frères se contentent d’édifices modestes, ces derniers ne tardèrent pas à se lancer dans la construction de couvents et d’églises qui nous frappent encore, là où ces édifices ont subsisté, par leur taille considérable. Cette évolution fut très rapide chez les dominicains qui, dès l’origine, préférèrent s’installer dans les grandes villes et y édifier des couvents d’une certaine importance, tandis que les Frères Mineurs s’implantaient plutôt dans des agglomérations plus modestes.
Mais même ces derniers finirent par se laisser entraîner dans des constructions somptuaires, sous la pression de grands laïcs comme la comtesse Jeanne de Hainaut à Valenciennes ou de saint Louis à Paris, qui obligèrent les frères à accepter que des architectes professionnels élèvent pour eux des édifices dans le meilleur style du temps, comme le couvent des Cordeliers (nom qu’on donnait en France aux Frères Mineurs) de Paris dont la nef, longue de 83 mètres, était la plus vaste de la cité.
Là encore, les entorses à l’esprit de la règle pouvaient se justifier par des arguments d’utilité et d’efficacité: la construction de ces grandes églises devait en effet permettre de réunir, pour y entendre des sermons édifiants, le plus grand nombre possible d’habitants de la ville et donc, indirectement, d’élever leur niveau religieux et moral. Des recherches menées, au cours des dernières décennies, sur la relation existant entre le nombre de couvents de mendiants et l’importance des villes qui les abritaient, ont d’ailleurs montré que les fondations des mendiants n’avaient pas été faites au hasard, mais bien en fonction de certains critères démographiques et économiques.
Vers 1300, une agglomération qui possédait 4 ou 5 couvents de mendiants était considérée comme une ville importante, tandis que celle qui n’en avait qu’un ne devait pas compter beaucoup d’habitants. Notons, d’autre part, que la vague de constructions a commencé, au XIIIe siècle, par les grandes villes (qui deviendront ensuite des villes à 4 ou 5 couvents de mendiants) pour descendre vers des cités plus modestes, qui n’auront ensuite que trois ou deux couvents.
Enfin, il est certain que les régions les plus urbanisées de l’Occident – Italie du Centre et du Nord, Bassin parisien, Flandre, vallée du Rhin – ont été les premières touchées par le phénomène mendiant, alors que d’autres parties de la chrétienté, où l’essor urbain fut tardif et limité, comme la Bretagne ou la Pologne, n’entrèrent vraiment en scène qu’à l’extrême fin du XIIIe siècle et surtout au XIVe siècle.
Si l’on s’en tenait à ces observations, on serait fondé à considérer la carte de l’implantation des couvents de mendiants comme un reflet de celle des villes de l’Occident médiéval ainsi que de leur hiérarchie dans le réseau urbain. Mais cette affirmation doit cependant être nuancée, car la règle que nous venons de définir souffre un certain nombre d’exceptions. Ainsi, dans plusieurs villes de France et non des moindres, l’opposition résolue des moines ou des chanoines du chapitre cathédral fit longtemps obstacle à l’établissement des mendiants ou ne laissa s’installer qu’un seul couvent, alors que la cité aurait logiquement dû en compter plusieurs.
D’autre part, il ne faut pas oublier que les mendiants étaient des religieux qui se déplaçaient beaucoup sur les routes. Il était donc nécessaire pour eux d’avoir un gîte d’étape assuré tous les 30 ou 40 kilomètres sur les axes principaux, comme la Via Francigena qui menait d’Italie en France ou sur la route qui conduisait de Lombardie en Allemagne par le col du Brenner.
Aussi certains ordres furent-ils amenés à établir des couvents dans les localités de taille médiocre mais qui étaient bien placées, compte tenu des contraintes de la circulation. Enfin, à partir de 1300, la papauté interdit la création de nouveaux couvents sans son autorisation, pour éviter une concurrence trop vive entre les ordres à une époque où la conjoncture économique commençait à se dégrader et où le clergé séculier supportait de plus en plus mal la prolifération des mendiants.
Un exemple particulièrement intéressant et bien étudié, celui de la Flandre, nous permet de nous faire une idée assez précise de l’implantation des mendiants dans une région caractérisée par un haut degré d’urbanisation. À la fin du XIIIe siècle, les frères n’y possédaient pas moins de 26 couvents, qui se répartissaient ainsi: 7 pour les mineurs, 6 pour les prêcheurs, 5 pour les frères du Sac, 4 pour les ermites de saint Augustin, 3 pour les carmes et 1 de frères Pies.
On ne peut manquer d’être frappé parle nombre élevé de couvents dominicains, qui s’explique en partie par la faveur particulière que les comtesses de Flandre, Jeanne et Marguerite, manifestèrent envers cet ordre, et, d’autre part, par le nombre relativement faible de couvents franciscains (comparé à ce que l’on trouve dans d’autres régions), qui doit sans doute être mis en relation avec la rareté, dans ce pays, des villes moyennes et petites que ces religieux affectionnaient tout particulièrement.
Dans l’ensemble, la fondation de ces couvents a été très précoce puisque presque tous existaient déjà en 1274. Si l’on considère maintenant la répartition par ville, on observe qu’elle est à peu près conforme à l’importance de leur population, à l’exception de Bruges, qui comptait 6 couvents de mendiants, alors que Gand, plus peuplée, n’en avait que 5, ce qui montre bien qu’aux yeux des frères, la richesse d’une cité avait davantage d’importance que le nombre de ses habitants.
Suivent ensuite Ypres avec 4 couvents, Douai et Tournai avec 3, Lille avec 2, et 3 centres urbains mineurs avec un couvent chacun. On ignore malheureusement le nombre exact de religieux que cela pouvait représenter au total, mais il devait être élevé, surtout dans les grandes villes. Ainsi à Bruges, vers 1300, le couvent des dominicains n’en comptait pas moins de 90, tandis que les carmes étaient 70 et les franciscains 50. En revanche, les branches féminines y étaient peu florissantes: il existait seulement, en Flandre, 4 couvents de clarisses et 2 de dominicaines, dont celui de Lille, au recrutement très aristocratique, comme c’était également le cas en France, à Poissy par exemple pour ces dernières et à Longchamp pour les premières.
Les religieux, de leur côté, semblent plutôt issus de la moyenne bourgeoisie et du patriciat urbain flamand, du moins à la fin du XIIIe siècle. Comme ailleurs, ils étaient confesseurs et prédicateurs avant tout. Mais ils jouaient aussi le rôle d’administrateurs temporels et de directeurs spirituels des béguinages ainsi que de certains hôpitaux, et leurs liens avec les guildes de marchands et d’artisans semblent avoir été particulièrement étroits. Il faudra toutefois attendre le XIVe siècle pour voir ces milieux, à commencer par les marchands italiens, fonder chez eux des confréries qui firent construire des chapelles dans leurs églises.
Au total, on peut donc parler sans exagération d’une implantation massive des Ordres mendiants en milieu urbain à la fin du XIIIe siècle; leur succès tient à ce qu’ils apportaient aux fidèles ce que le clergé séculier avait longtemps été incapable de leur donner: l’exemple d’une vie morale irréprochable et d’une science suffisante, mise au service d’une meilleure présentation et transmission du message chrétien à travers la prédication. Les relations très étroites qu’ils entretenaient avec les laïcs leur permirent de bien comprendre leurs problèmes, en particulier ceux qui concernaient la vie économique des marchands ou des banquiers.
Aussi n’est-ce pas un hasard s’ils furent à l’avant-garde de la réflexion théologique et canonique dans ce domaine. Il est possible cependant que, dans cet effort d’adaptation aux réalités de la vie urbaine, les frères soient allés parfois un peu loin. Dès le milieu du XIIIe siècle, le poète parisien Rutebeuf, qui avait pourtant commencé par chanter les louanges des Cordeliers, critiquait leur complaisance excessive pour les riches, en particulier les usuriers, et leurs liens trop étroits avec le pouvoir.
D’autres les accuseront d’hypocrisie, se moquant de leur empressement auprès des femmes… et des mourants, ou leur reprocheront de transgresser leur règle et leur voeu de pauvreté en acceptant des rentes, ce qui fut bien souvent le cas après 1260. Mais ces faiblesses ou ces manquements ne doivent pas nous faire oublier qu’au total les Ordres mendiants ont atteint l’objectif que l’Église leur avait assigné, à savoir une nouvelle évangélisation de la société urbaine en Occident.
La normalisation de l’ordre franciscain
A la mort de leur fondateur, les frère mineurs, dont le nombre ne cessait de s’accroître, se trouvaient confrontés à de sérieux problèmes concernant le sens même de leur vocation: fallait-il, comme François l’avait demandé de façon pathétique dans son Testament, rester fidèle à tout prix au modèle de la fraternité évangélique des premiers temps? Ou bien l’ordre devait-il s’adapter à l’évolution des temps et aux exigences d’un apostolat se développant en liaison étroite avec les institutions ecclésiastiques, en particulier avec la hiérarchie?
Le pape Grégoire IX mit fin rapidement à ces perplexités et lui-même ainsi que ses successeurs multiplièrent les efforts pour aligner l’ordre franciscain sur le modèle de l’ordre dominicain, quitte à éliminer les aspects les plus originaux – qui étaient aussi les plus “choquants” aux yeux des juristes – du genre de vie et de la spiritualité des frères mineurs. Par la bulle Quo elongati, en 1230, le pape dispensa les frères d’observer le Testament de saint François et affirma que, pour être un bon religieux, il suffisait d’observer la Règle.
Ainsi il n’était plus question d’avoir recours au travail manuel pour assurer la subsistance quotidienne, celle-ci devant être acquise uniquement par la quête, contrairement à la volonté expresse de saint François. L’année suivante, les mineurs obtinrent, par la bulle Nimis iniqua, le priviliège de l’exemption qui – ici encore en contradiction avec les paroles mêmes de leur fondateur qui avait voulu qu’ils fussent “humbles et soumis à tous” -, les soustrayait à la juridiction des évêques, sauf en ce qui concerne la prédication et la fondation de leurs couvents.
De ce fait même, ils devinrent totalement dépendants du Saint-Siège, qui multiplia alors les interventions pour les défendre et les recommander aux prélats et aux princes. Ces mesures ne procédaient pas d’une intention de nuire à la mémoire du Pauvre d’Assise, en l’honneur duquel, au contraire, on construisait, dans ces mêmes années, à grands frais, l’imposante basilique d’Assise et dont le culte se répandait dans toute la chrétienté. Mais Grégoire IX voulait avant tout faire servir au bien de l’Église, tel qu’il le concevait, le capital de sainteté et d’enthousiasme religieux qui était l’héritage du Poverello.
La multiplication des ordres mendiants
La croissance rapide que connurent alors les franciscains et les dominicains n’empêcha pas l’apparition d’ordres nouveaux qui optèrent pour la forme de vie des mendiants ou se la virent imposer. Ainsi, en 1244, le pape Innocent IV réunit en une seule congrégation tous les groupements érémitiques de Toscane, à l’exception des Guillemites, et chargea le cardinal Richard Annibaldi de réaliser la fusion de ces religieux qui prirent la règle de saint Augustin.
En 1255/56, d’autres groupes d’ermites italiens et ultramontains se joignirent à eux et l’ensemble forma dès lors un ensemble cohérent, désigné sous le nom d’Ordre des ermites de saint Augustin, dont le premier chapitre général se tint à Rome en mars 1256 et élut un prieur général, Lanfranc de Milan. Dès les années 1270, les augustiniens comptaient 300 couvents répartis dans toute la chrétienté.
Certes, dans un certain nombre de cas, en particulier en Italie, il ne s’agissait pas de fondations nouvelles mais de la transformation en couvents d’anciens établissements érémitiques. En France, Angleterre et Espagne, cependant, de nombreux établissements furent créés ex nihilo et l’ordre deviendra influent à partir de la fin du XIIIe siècle, comme l’atteste le fait que l’un de ses membres, le théologien Gilles de Rome, fut élu en 1295 archevêque de Bourges.
Un autre ordre, celui des «frères de Sainte-Marie du Mont-Carmel», plus connus sous le nom de carmes, vint également, vers le milieu du XIIIe siècle, grossir les rangs des mendiants. C’était à l’origine une communauté d’ermites qui s’était développée au XIIe siècle en Terre Sainte, sur les pentes du mont Carmel, pour suivre l’exemple du prophète Elie qui avait vécu là dans la solitude, près d’une source.
Entre 1206 et 1214, le patriarche latin de Jérusalem, Albert, approuva leurs constitutions, qui furent confirmées par Honorius III en 1226. Mais les vicissitudes de la Terre Sainte et sa conquête par les musulmans après 1230 les obligèrent à se transférer en Occident, où Grégoire IX, puis Innocent IV leur donnèrent une nouvelle règle qui visait à faire d’eux des frères mendiants. Leur adaptation à ce genre de vie fut difficile, comme en témoigne le traité intitulé Ignea sagitta («La flèche enflammée»), composée par le prieur général des carmes, Nicolas de France, en 1270/71, où s’exprime une profonde nostalgie de leur style de vie érémitique et contemplative antérieur.
Leur existence fut remise en question au concile de Lyon II, en 1274, mais ils survécurent grâce à l’appui de la papauté. Á la fin du XIIIe siècle, l’ordre des carmes comptait 150 couvents répartis entre 12 provinces et ils ne se distinguaient plus des autres mendiants que par leur dévotion mariale très prononcée. À côté des quatre «grands», il faut également faire une place à quelques «petits» ordres qui diffèrent des premiers par le fait qu’ils ne parviennent jamais à s’étendre à l’ensemble de la chrétienté, ce qui n’empêcha pas certains d’entre eux d’avoir un important rayonnement dans certains pays ou milieux.
Ce fut le cas, par exemple, de l’ordre de la Pénitence de Jésus-Christ, dont les membres étaient communément appelés frères du sac, ou sachets, en raison de l’habit en drap pauvre qu’ils portaient. Créés en Provence par des laïcs qui avaient été touchés par la prédication du franciscain joachimite Hugues de Digne, en 1248, ils connurent une extension rapide en France et en Angleterre, en particulier dans les milieux populaires.
Ainsi, ils ne comptaient pas moins de 5 couvents en Flandre à la fin du XIIIe – juste un de moins que les dominicains – leur apostolat ayant obtenu un impact particulier auprès des ouvriers du textile dans les grands centres d’artisanat urbain qu’étaient les villes «drapantes» de cette région. En Italie, il faut faire une place particulière aux Servites de Marie, ordre créé vers 1240 par sept marchands florentins qui avaient décidé d’abandonner leurs activités professionnelles pour se consacrer à la vie religieuse.
D’abord guidée par des dominicains, la petite communauté religieuse devint autonome et ne tarda pas à essaimer en Italie centrale et septentrionale où les servites, très attachés eux aussi à la dévotion mariale, s’enracinèrent solidement. Ils furent reconnus comme un Ordre mendiant par la papauté en 1259 et réussirent à survivre à la menace de suppression qui pesa sur eux en 1274.
A la même époque, à partir de Parme, se développa également, après 1260, le mouvement des Apostoliques, créé par un laïc, Gérard Segarelli, qui reprochait aux grands Ordres mendiants d’avoir trahi leur idéal de pauvreté. Soutenus par le clergé séculier, ils furent durement critiqués par le chroniqueur franciscain Salimbene, qui les traite de «ribauds» et s’écrie à leur propos: «Nous et les prêcheurs, nous avons appris à tout le monde à mendier!», déplorant que des indignes se permettent ainsi d’imiter les grands ordres et de leur faire concurrence. Boutade polémique certes, mais qui posait un réel problème: celui de la prolifération des Ordres mendiants qui, après 1250, commença à susciter de vives inquiétudes au sein de l’Église et de la société. (Jacques Le Goff Ordres mendiants et urbanisation dans la France médiévale État de l’enquête In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations |1970)
L’enquête ouverte en 1967 sur la France urbaine médiévale d’après l’implantation des ordres mendiants, s’est poursuivie selon les lignes de recherche alors définies [1].
Mendiants et conscience urbaine. Le dialogue avec les correspondants qui ont bien voulu nous écrire a révélé certains malentendus. D’abord un malentendu méthodologique. Le lien qui peut exister entre les Mendiants et les villes ne peut pas conduire par lui-même à une définition de la ville médiévale. Il ne peut tout au plus aboutir qu’à un repérage quantitatif et spatial du fait urbain au Moyen Age.
Celui-ci devra être ensuite défini par une recherche plus complète et plus complexe. Non que la définition elle-même à laquelle on atteindra doive être, elle, aussi complexe. Au contraire.
Trop d’historiens des villes médiévales — Pirenne compris — ont confondu description et définition et ont présenté des définitions trop longues s’attachant à des aspects et non à l’essentiel du fait urbain 3. Sans méconnaître l’intérêt d’une typologie des villes — et le médiéviste est doublement concerné, d’une part par une originalité possible de la ville médiévale d’autre part par une typologie propre des villes médiévales 4 — il me semble que l’utilité primordiale est celle d’une définition de la ville actuellement (c’est-à-dire dans l’état actuel de la science) valable pour l’ensemble des villes, en tous temps et tous lieux.
Je ne me donnerai par le ridicule de proposer une définition de la ville quand tant d’historiens éminents — pour ne pas parler des sociologues, des géo graphes, des urbanistes — ne me paraissent pas y avoir réussi. Je dirai simplement qu’il faut chercher, selon nous, dans le sens d’un recours aux notions de secteur primaire, secondaire et tertiaire de l’économie et de la société. Il y aurait ville quand il y aurait prédominance dans une agglomération de la partie de la population adonnée à des activités tertiaires.
Dans l’état actuel des recherches urbaines, il me paraît difficile de préciser l’idée de prédominance où entrent des aspects quantitatifs (mais la population tertiaire n’est pas forcément majoritaire dans une ville) et qualitatifs (structure du pouvoir) 5.
Mais l’enquête s’est poursuivie et se poursuivra sans s’encombrer de définitions théoriques de la ville, puisque aussi bien un de ses buts est d’atteindre empiriquement le phénomène urbain dans la France médiévale. Reste une autre question préalable. Plusieurs de nos correspondants ont contesté la validité de notre enquête dans la mesure où, selon les termes de l’un d’eux, « les raisons d’implantation des divers ordres mendiants ne sont pas urbaines mais répondent à des préoccupations ou des incitations plus nombreuses et plus diversifiées ».
Objection qui, d’abord, ne distingue pas suffisamment entre deux niveaux, celui des motivations et celui des causes. Même si, au niveau des motivations, l’orientation urbaine n’apparaissait pas dans l’implantation des ordres mendiants du Moyen Age, le fait laisserait intact un lien éventuel plus profond entre le phénomène urbain et le phénomène mendiant. Mais l’objection nous a incités à rechercher si les Mendiants — en tout cas leurs dirigeants — avaient eu ou non conscience d’une orientation urbaine de leur implantation et de leur apostolat.[...]
Entre les deux l’espace mixte du défriché récent, Vessart, lieu essentiel de la littérature entre 1150 et 1250 où rôdent ces personnages ambigus des romans de Chrétien de Troyes et du Roman de Renart. Dimension essentielle aussi du christianisme qui, depuis le IVe siècle, depuis saint Martin en Occident, oscille entre la ville et le désert 7. Oscillation où se résume presque la tension des Ordres Mendiants à leurs débute (mais aussi plus tard), sauf peut-être chez les Prêcheurs.
Saint François réalise un équilibre entre les périodes de retraite dans les ermitages, où lui et ses frères font « recharge » de forces religieuses, et les campagnes de prédication dans les bourgs et les villes où ils distribuent la foi accumulée dans la solitude 8. Programme qui assigne en fait la route aux Franciscains comme le lien principal de leur insertion géographique. Le Franciscain est, au début du moins, avant tout un religieux « in via » 9.
D’où une direction de recherche pour notre enquête — que nous avons jusqu’ici peu exploitée : les liens entres les couvents mendiants et les routes 10. Il nous faudrait, il est vrai, dresser aussi à notre usage une cartographie des routes médiévales françaises, un des goulots d’étranglement de notre recherche étant la faiblesse de la géographie historique de la France médiévale 11.
Mais c’est précisément au Xllle-XIVe siècle que les Mendiante ressentent intimement la tension ville-désert, car ils sont irrésistiblement emportés vers les villes, ou plus précisément dans le mouvement d’urbanisation 12 caractéristique de l’Occident du XIIIe siècle 13 et qui justifie la place de cette chronique de recherche dans un numéro consacré à l’urbanisation en histoire.
Liens avec les routes ; liens avec les portes. Dans son aspect proprement urbain l’urbanisation se marque souvent par la fortification (premières enceintes ou enceintes nouvelles) qui définit un nouvel espace d’exclusion entre ville et campagne cette fois-ci. E. Benveniste a fortement souligné l’importance, chez les Indo-Européens, de la porte comme fonction du dehors 14. Horizon encore à explorer, celui des rapports entre couvents mendiants et portes, certaines localisations conduisant à première vue à se demander si les Mendiante n’ont pas joué dans les villes médiévales un rôle particulier dans le contrôle des portes.
Mais pour en revenir au conflit entre l’érémitisme et l’urbanisation, il est d’abord clair que ce conflit a surtout troublé ceux des ordres mendiants issus d’une plus ou plus longue tradition érémitique, les Augustins, éclairés sans ménagement sur leur histoire par Robert Holcot, et les Carmes. Chez ceux-ci la crise semble à son comble vers 1270.[...]
La distance exigée entre deux couvents mendiants était donc de 500 mètres environ. Il reste que si dès le XIIIe siècle le quadrillage des couvents mendiants paraît résulter d’une planification, les bases de cette planification (chiffre minimum d’habitants, structure socio-économique favorable) n’ont dû être conscientes que plus tard, et vraisemblablement au début du XVe siècle, où les textes commencent à être explicites.
Cette prise de conscience en deux temps doit correspondre à la fois à la différence de mentalité des deux époques (le XIIIe siècle reste « préstatistique » tandis que le XVe est déjà « éostatistique ») et à la différence dans les processus d’urbanisation des deux époques : le XIIIe siècle voit se greffer la planification mendiante sur une urbanisation « sauvage » qui rencontre peu d’obstacles extérieurs, tandis que le XVe siècle connaît une urbanisation de remplacement (régénération des villes après les saignées de la Grande Peste transferts régionaux) et une urbanisation de complément qui se glisse dans les mailles du tissu urbain du XIIIe siècle. Ici se pose le problème des petites villes que notre méthode permet d’aborder de façon originale.
Le bas Moyen Age est sans conteste le temps des petites villes 28. Or, le critère mendiant offre un instrument de repérage particulier.
En effet — et des observateurs l’ont noté dès le XIIIe siècle 29 — tandis que les Dominicains préféraient des couvents plus importants établis dans les villes principales, les Franciscains jetaient de prime abord leur dévolu sur le réseau des petites villes.
[...]1 . Que les Franciscains sont en majorité les occupants des petites villes, villes à un seul couvent mendiant ;
2. Que les Franciscains sont en majorité les fondateurs des nouveaux couvents du bas Moyen Age. Révélation donc d’une conjoncture et d’un niveau d’urbanisation.
La France médiévale connaît deux vagues d’urbanisation : a) une première vague qui culmine au XIIIe siècle et met en place un réseau relativement lâche ; b) une seconde vague plus modeste au XVe siècle qui remplit surtout les traces du réseau antérieur, mais traduit aussi des glissements urbains, liés sans doute à un remodelage de la carte économique, qu’il s’agisse de la production (l’exemple le plus connu étant celui de la « nouvelle draperie ») ou des routes commerciales (déplacement vers l’ouest des routes terrestres remplacées par des routes maritimes, et vers l’est des routes de foire délaissant la Champagne pour Francfort.).
Cette macrogéographie et cette conjoncture de l’urbanisation doivent être complétées par une étude de l’urbanisation au niveau local. Occupation de l’espace urbain à l’intérieur et à l’extérieur des murs (aliénation des communaux, réduction des espaces verts, assèchement des zones marécageuses ou inondables), transferts de sites qui expriment aussi bien une conjoncture de l’urbanisation qu’une évolution de la situation des Mendiants dans la société urbaine, une participation de plus en plus grande des Mendiants à l’exercice du pouvoir dans la ville.
Mais cet aspect essentiel de notre enquête n’a encore donné lieu qu’à des travaux d’approche. Il reste à évoquer une autre conjoncture de l’urbanisation saisie à travers l’évolution de l’implantation des Mendiants. Dans une étude inédite, Charles Bourel de la Roncière 31 a pu établir que les ordres mendiants ne s’étendent en Toscane des villes à la campagne qu’après 1280. Au reste leur établissement dans le contado sera fragile et éphémère.
A quoi lier cette conjoncture mendiante ? A une histoire interne des ordres qui se lancent à l’assaut de la campagne, une fois achevée leur conquête des villes? Ou plutôt à l’évolution de la conjoncture urbaine elle-même, soit que les villes se lancent à la fin du XIIIe siècle décidément à la conquête du contado 32, soit que les difficultés de l’époque 1260-1280, particulièrement sensibles dans les villes, obligent les Mendiants à chercher dans les campagnes des sources nouvelles de revenus 33.
Seule une étude précise de l’établissement des praedicationes et des termini permettra de parvenir à des conclusions ou du moins à des hypothèses vraisemblables 34. En tout cas la valeur des Mendiants comme témoins de l’urbanisation du XIIIe au XVIe siècle peut être d’ores et déjà affirmée. Chaque phase historique d’urbanisation comporte en effet un « encadrement idéologique » spécifique. Tel nous semble avoir été le rôle des Mendiants. Critère mendiant et autres critères d’urbanisation.
Un des meilleurs connaisseurs de l’histoire des villes allemandes au Moyen Age, Erich Keyser, a écrit : « Stadt ist, was sich selbst Stadt nennt » (« Une ville, c’est ce qui s’appelle soi-même ville ») 35. Si cet axiome est retenu, les historiens n’ont plus qu’à plier bagages. Mais même cette abdication devant le document ne mène à rien au Moyen Age comme André Joris l’a bien montré. Il n’y a au Moyen Age ni définition de la ville ni inventaires précis de villes.
Certes, une étude philologique et sémantique des termes désignant la ville au Moyen Age serait précieuse. Mais, même en l’absence d’une telle étude, on peut, d’un commerce non quantifié avec les textes, conclure que les termes désignant les agglomérations humaines — en latin comme dans les langues vulgaires — ont varié suivant les régions et les époques et surtout que les termes civitas, burgus, oppidum, villa, castrum, etc. n’avaient pas en général de sens bien défini.
S’il y a un phénomène que l’outillage conceptuel et verbal du Moyen Age a mal maîtrisé, c’est bien la ville.
Plus significatif encore est le fait que, jusqu’à la fin du Moyen Age, la monarchie française est incapable de recenser les villes du royaume. Les études de Charles Holt Taylor et les listes de « villes » convoquées aux assemblées royales dans la France de la première moitié du XIVe siècle montrent que les rois et leurs officiers ne savaient pas quelles étaient les « villes » du royaume, ne possédaient pas de listes de « villes » et que, pour chaque assemblée, seigneurs, baillis et sénéchaux désignaient, dans un mélange d’empirisme et d’arbitraire, les « villes » habilitées à envoyer des délégués aux assemblées.
Ch.-H. Taylor a montré qu’il faut attendre la seconde moitié du XVe siècle pour qu’un haut fonctionnaire royal songe à dresser une liste de « villes ». Encore la « sorte de manuel constitué avec des documents annexes pour la pratique de son administration » que Pierre Amer, officier à La Chambre des Comptes de 1449 à 1484, a réalisé était-il destiné à son propre usage. Ce seul fait suffirait à disqualifier le critère « administratif » pour le repérage de la carte urbaine de la France médiévale. On verra qu’il y a d’autres raisons pour l’écarter. Il nous a paru toutefois utile et même nécessaire de confronter notre critère à d’autres dans cet essai d’inventaire de la France urbaine au Moyen Age. Et d’abord les critères d’époque.
On a vu, avec André Joris, « la fragilité du critère de la terminologie pour une des périodes essentielles de l’histoire des villes ». Le critère de l’aspect extérieur ne conduit pas non plus à des résultats tangibles. A première vue les hommes du Moyen Age semblent reconnaître une ville à ses remparts, à sa muraille. Dresser la liste des villes « closes » reviendrait donc à dresser la liste des « villes » tout court Mais la documentation ne nous permet guère de dresser une liste même approximative de ces villes et surtout le critère n’est pas probant. Il y a des villes relativement importantes sans rempart, alors que de nombreux villages sont fortifiés.
Un critère politico-juridique était envisageable. On pouvait songer à considérer les agglomérations dotées de chartes de franchise comme l’ensemble des « villes ». Des études régionales permettent d’en dresser la liste pour plusieurs provinces et la poursuite de cet inventaire est plausible. Pour le Dauphiné, le catalogue de P. Vaillant signale, entre 1164 et 1355, 548 chartes de franchises (dont 127 confirmations), intéressant 191 agglomérations.
Au Luxembourg l’ouvrage déjà cité du Père C.-J. Joset a dénombré 361 localités « privilégiées » (133 pour lesquelles on possède une charte, 60 dont la charte est perdue mais dont l’existence est attestée par les sources, 68 que des indices sérieux désignent comme « possibles »). Ces chiffres suffisent pour persuader que de simples villages ont reçu des chartes de franchises. L’impossibilité où l’on est de définir des chartes de franchises proprement « urbaines » conduit à écarter ce critère.
Le critère politico-administratif dont nous avons déjà parlé a particulièrement retenu notre attention. Il permet de considérer comme « villes » toutes les agglomérations qui ont été invitées à envoyer — à côté de l’Église et de la noblesse — , des délégués aux assemblées royales du début du XIVe siècle. En 1302, 91 villes sont convoquées, en 1308 (assemblée de caractère exceptionnel sur laquelle on reviendra) 259, en 1312 seulement les villes épiscopales, en 1316, 227, en 1318, 96, etc. A quoi sont dues ces inégalités ?
D’abord aux erreurs, aux oublis, aux négligences et peut-être aux intrigues de certaines villes soucieuses de se dérober devant des assemblées destinées essentiellement à leur arracher des contributions financières. Ensuite à l’ignorance des officiers royaux et à l’absence d’une définition et d’une liste officielle de villes. Enfin, à la différence des critères qui ont présidé à la convocation de chaque assemblée. Suivant ses besoins et son caprice le roi convoquait plus ou moins de villes.
De plus, comme pour les chartes de franchise, le roi, désireux de tondre son royaume, situait assez bas le seuil urbain. Des villages étaient requis. Pourtant l’étude de ces listes de villes n’a pas été sans intérêt. Elle nous a d’abord révélé la mauvaise organisation de l’administration royale au début du XIVe siècle.
Elle nous a surtout appris que, sur l’ensemble des assemblées de 1302 à 1335, 570 « villes » ont envoyé des délégués aux assemblées royales, c’est-à-dire que, jusqu’à un niveau modeste de population, une partie des habitants du royaume a eu, par l’intermédiaire de ses délégués, un contact avec le gouvernement royal et, bien que le mobile fiscal presque toujours présent ait mêlé d’amertume cette « participation » — qui n’était d’ailleurs souvent, comme Ch. H. Taylor l’a bien montré, qu’un enregistrement des volontés royales — elle avait sans doute créé entre le roi et ses sujets des liens supplémentaires qui ont pu étayer le sentiment national dans les phases ultérieures de la guerre de Cent Ans.
Enfin — et cette fois d’une façon plus proche de notre enquête — ces documents nous ont montré le souci du roi et de ses officiers de repérer surtout une catégorie supérieure de villes riches susceptibles de fournir de forts subsides. Ces villes les plus riches, les plus importantes, c’est ce qu’on appelle, entre 1250 et 1350, les « bonnes » villes. [...] Encore l’administration royale semble-t-elle incapable de dresser la liste de ce que nous appellerions les grandes villes. A cet égard, notre critère nous fournit une liste plus précise.
Si nous considérons les villes ayant trois ou quatre couvents mendiants en 1335 [36], nous trouvons, dans le royaume, 37 villes (20 avec 4 couvents : Agen, Angers, Bayonne, Béziers, Bordeaux, Cahors, Carcassonne, Figeac, La Rochelle, Orléans, Limoges Lyon, Montpeltier, Narbonne, Pamiers, Paris, Reims, Rouen, Toulouse et Tours; 17 avec 3 couvents : Albi, Amiens, Arras, Bergerac, Bourges, Caen, Châlons-sur- Marne, Clermont, Condom, Lectoure, Le Puy, Limoux, Millau, Montauban, Nantes, Nîmes et Valenciennes) ; et, dans les limites de la France actuelle, mais hors du royaume au XIVe siècle, 15 villes supplémentaires (8 avec 4 couvents : Aix, Arles, Avignon, Marseille, Metz, Nice, Perpignan et Strasbourg; 7 avec 3 couvents : Bourg, Colmar, Draguignan, Grasse, Haguenau, Verdun et Wissenbourg). Telle serait la liste des « grandes villes » de la France du XIVe siècle.
La documentation que nous avons rassemblée et qui sera publiée dans les volumes où seront consignés les résultats de notre enquête permettra de nombreux calculs et les cartes dressées mettront en évidence les principaux phénomènes et les principales corrélations. Contentons-nous de signaler ici quelques chiffres. Sur 570 « villes » convoquées aux diverses assemblées royales de 1302 à 1335 (et sur lesquelles 533, soit 93,5%, ont été identifiées), seulement 155, soit 27,1 9 %, possédaient en 1335 au moins un couvent mendiant.
La proportion entre « villes » représentées et « villes à couvents mendiants » est de 48 % (45 sur 91) en 1302, de 33% (85 sur 281) en 1308, de 56% (129 sur 227), en 1316, etc. En revanche sur les 222 « villes à couvents mendiants » de la France de 1335, 67 n’ont — en tout cas dans l’état de documentation — jamais été convoquées à une assemblées royale, soit 33 %.
Mais sur ces 67 « villes », 46, soit les deux tiers, se trouvaient sur des fiefs anglais ou en Bretagne C’est dire que l’énorme majorité des « villes à couvents mendiants » figure sur la liste des « villes » convoquées aux assemblées royales. II n’y a donc pas contradiction entre les deux listes, mais le critère « urbain » de la royauté est beaucoup plus indulgent que celui des mendiants.
Restent deux critères « objectifs » à partir desquels on pourrait songer à faire l’inventaire de la France urbaine médiévale. Le premier, c’est le critère économique. Mais il s’avère très difficile à définir puis à repérer. La ville pirennienne ne se laisse pas saisir à l’état pur. Et pourtant, si l’on y fait attention, on semble posséder un document exceptionnel à partir duquel on peut dresser une carte de la France urbaine d’un point de vue économique au début du XIVe siècle.
On n’a, en effet, pas assez remarqué que les villes convoquées en 1308 sont les villes « de foires et marchés ». Or c’est l’année où la discordance est la plus forte entre les « villes royales » et les « villes à couvents mendiants » (33 %). Mais ce n’est pas seulement parce que les ordres mendiants réclament pour leurs couvents des conditions de structure et de mobilité des fortunes qui ne coïncident pas avec le phénomène commercial. C’est surtout parce que les « foires et marchés » sont une catégorie plus juridique et politique qu’économique. Il n’y a pas coïncidence dans beaucoup de cas entre une foire oujnarché et un organisme urbain vigoureux.
Il y a enfin le critère démographique. Il soulève deux objections. L’une générale : il n’y a pas, dans aucune société, dans aucune civilisation, de concordance absolue entre le nombre d’habitants et le caractère urbain. En Provence il y a, ou il y a eu, des « villes » de 1 500 habitants ; en Sicile il y a, ou il y a eu, des « villages » de 15000 habitants. La seconde objection est de circonstance : l’histoire des ordres mendiants, au moins celle de leur premier siècle, se situe dans l’ère pré-statistique.
Il est difficile, sinon impossible, d’évaluer de façon assez précise la population des villes où se sont installés les Mendiants. Pourtant, quand une documentation exceptionnelle et une étude également exceptionnelle permettent, comme pour la Provence du début du XIVe siècle, de comparer le critère démographique avec le critère mendiant, une analogie assez grande s’affirme.
L’implantation des Mendiants se produit à partir d’un certain seuil démographique et il est tentant de définir ce seuil — variable selon les régions — comme le seuil « urbain » correspondant à notre concept scientifique de ville. Hypothèse à vérifier ailleurs qu’en Provence. Il doit être enfin plus aisé — mais nous ne l’avons pas encore fait — de comparer le critère démographique et le critère mendiant au niveau supérieur, celui des « grandes villes ».
Leopold Génicot a annoncé la publication prochaine d’une carte des villes de plus de 10.000 habitants au XIIIe siècle, considérées par lui comme les « grandes » villes de la période. Coïncidera-t-elle pour la France avec notre carte des villes à 3 ou 4 couvents mendiants dont nous avons donné plus haut la liste ? Ce détour par les chiffres qui a pu paraître oiseux est légitime. Le quantitatif n’est pas l’histoire. Mais il ne peut plus y avoir désormais d’histoire sans base quantitative. Urbanisation à la fin du Moyen Age : l’Observance, mouvement anti -urbain ?
Nous nous sommes jusqu’ici surtout attachés au premier siècle du phénomène mendiant. Pourtant les données rassemblées nous permettent de supposer l’existence d’une nouvelle phase d’urbanisation à la fin du Moyen Age — une urbanisation d’après peste (bien que celle-ci continue cycliquement à exercer ses ravages, mais sans atteindre les hécatombes de 1348 et les poussées de la fin du XIVe siècle et du début du XVe siècle).
C’est une piste particulière que nous avons suivie pour cette période, à titre de sondage. Nous avons choisi le grand mouvement de contestation et de réforme chez les Mendiants, le mouvement de l’Observance, particulièrement vigoureux chez les Franciscains. Sans vouloir élucider le problème de l’éventuelle continuité entre la contestation des Spirituels et des Fraticelles et celle des Observants, il faut noter la reprise par les Observants de la critique des rapports entre les Franciscains et les villes présentée par libertin de Casale en 1310 dans ses écrits rédigés dans le cadre des discussions préparatoires au Concile de Vienne : Sanctitas vestra et le Rotulus.
Ces écrits présentent non seulement une critique de certaines pratiques franciscaines liées à leur implantation urbaine, telles que la possession de rentes annuelles, mais ils exhortent à une « désurbanisation » de l’ordre, invité à établir ses couvents non loin des villes, mais en dehors d’elles et même, si possible, dans la solitude. [...]
Notes
[I] La ville médiévale. Origines et triomphe de l’Europe urbaine, Paris, Éditions Odile Jacob (Histoire), 2003.
[II] F. ENGELS | La décadence de la féodalité et l’essor de la bourgeoisie, 1884.Tandis que les luttes sauvages de la noblesse féodale régnante emplissaient le moyen âge de leur fracas, dans toute l’Europe de l’Ouest le travail silencieux des classes opprimées avait miné le système féodal; il avait créé des conditions dans lesquelles il restait de moins en moins de place aux seigneurs féodaux. Certes, à la campagne, les nobles seigneurs sévissaient encore ; ils tourmentaient les serfs, ne soufflaient mot de leur peine, piétinaient leurs récoltes, violentaient leurs femmes et leurs filles. Mais alentour s’étaient élevées des villes : en Italie, dans le midi de la France, au bord du Rhin, les municipes de l’antiquité romaine, ressuscités de leurs cendres ; ailleurs, notamment en Allemagne, des créations nouvelles ; toujours entourées de remparts et de fossés, c’étaient des citadelles bien plus fortes que les châteaux de la noblesse, parce que seule une grande armée pouvait les réduire. Derrière ces remparts et ces fossés se développait — assez petitement et dans les corporations — l’artisanat médiéval, se concentraient les premiers capitaux, naissaient et le besoin de commercer des villes entre elles ainsi qu’avec le reste du monde, et, peu à peu également, avec le besoin, les moyens de protéger ce commerce.Dès le XVe siècle, les bourgeois des villes étaient devenus plus indispensables à la société que la noblesse féodale. Sans doute, l’agriculture était-elle l’occupation de la grande masse de la population, et par suite, la branche principale de la production. Mais les quelques paysans libres isolés qui s’étaient maintenus çà et là, malgré les empiétements de la noblesse, démontraient suffisamment que, dans l’agriculture, l’essentiel n’était pas la fainéantise et les exactions du noble, mais le travail du paysan. D’autre part, les besoins de la noblesse elle-même avaient grandi et s’étaient transformés au point que, même pour elle, les villes étaient devenues indispensables ; ne tirait-elle pas des villes le seul instrument de sa production, sa cuirasse et ses armes ? Les tissus, les meubles et les bijoux indigènes, les soieries d’Italie, les dentelles du Brabant, les fourrures du Nord, les parfums d’Arabie, les fruits du Levant, les épices des Indes, elle achetait tout aux citadins — tout, sauf le savon. Un certain commerce mondial s’était développé ; les ltaliens sillonnaient la Méditerranée et, au-delà, les côtes de l’Atlantique jusqu’en Flandre ; malgré l’apparition de la concurrence hollandaise et anglaise, les marchands de la Hanse dominaient encore la mer du Nord et la Baltique. Entre les centres de navigation maritime du Nord et du Midi, la liaison était maintenue par terre ; les routes par lesquelles elle se faisait passaient par l’Allemagne. Tandis que la noblesse devenait de plus en plus superflue et gênait toujours plus l’évolution, les bourgeois des villes, eux, devenaient la classe qui personnifiait la progression de la production et du commerce, de la culture et des institutions politiques et sociales.Tous ces progrès de la production et de l’échange étaient, en fait, pour nos conceptions actuelles, de nature très limitée. La production restait liée à la forme du pur artisanat corporatif, elle gardait donc encore elle-même un caractère féodal ; le commerce ne dépassait pas les eaux européennes et n’allait pas plus loin que les villes de la côte du Levant, où il se procurait, par échange, les produits d’Extrême-Orient. Mais tout mesquins et limités que restassent les métiers et avec eux les bourgeois qui les pratiquaient, ils suffirent à bouleverser la société féodale et restèrent tout au moins dans le mouvement tandis que la noblesse stagnait.La bourgeoisie des villes avait, en outre, une arme puissante contre la féodalité: l’argent. Dans l’économie féodale type du début du moyen âge, il y avait à peine eu place pour l’argent. Le seigneur féodal tirait de ses serfs tout ce dont il avait besoin, soit sous la forme de travail, soit sous celle de produits finis ; les femmes filaient et tissaient le lin et la laine et confectionnaient les vêtements ; les hommes cultivaient les champs ; les enfants gardaient le bétail du seigneur, ramassaient pour lui les fruits de la forêt, les nids d’oiseaux, la litière ; en outre, la famille entière avait encore à livrer du blé, des fruits, des œufs, du beurre, du fromage, de la volaille, du jeune bétail, que sais-je encore. Toute domination féodale se suffisait à elle-même ; les prestations de guerre, elles aussi, étaient exigées en produits ; le commerce, l’échange n’existaient pas, l’argent était superflu. L’Europe était ramenée à un niveau si bas, elle avait à tel point recommencé par le début, que l’argent avait alors beaucoup moins une fonction sociale, qu’une fonction purement politique ; il servait à payer les impôts, et on l’acquérait essentiellement par pillage.Tout était changé maintenant. L’argent était de nouveau devenu le moyen d’échange universel et, par suite, sa quantité avait beaucoup augmenté ; la noblesse elle-même ne pouvait plus s’en passer, et, comme elle avait peu de choses à vendre, ou même rien, comme le pillage n’était plus tout à fait aussi facile non plus, elle dut se décider à emprunter à l’usurier bourgeois. Bien longtemps avant que les châteaux féodaux eussent été battus en brèche par les nouvelles pièces d’artillerie, ils étaient déjà minés par l’argent ; la poudre à canon ne fut que l’huissier au service de l’argent. L’argent était le grand rabot d’égalisation politique de la bourgeoisie. Partout où un rapport personnel était évincé par un rapport d’argent, une prestation en nature par une prestation en argent, un rapport bourgeois remplaçait un rapport féodal. Sans doute, la vieille forme d’économie naturelle brutale subsistait-elle dans l’écrasante majorité des cas ; mais il y avait déjà des districts entiers où, comme en Hollande, en Belgique, sur le cours inférieur du Rhin, les paysans livraient au seigneur de l’argent au lieu de corvées et de redevances en nature, où seigneurs et sujets avaient déjà fait le premier pas décisif sur la voie de leur transformation en propriétaires fonciers et en fermiers, où donc, même à la campagne, les institutions féodales perdaient leur base sociale. A quel point, à la fin du XVe siècle, la féodalité est minée et rongée intérieurement par l’argent, la soif d’or qui s’empara à cette époque de l’Europe occidentale en donne une démonstration éclatante. C’est l’or que les Portugais cherchaient sur la côte d’Afrique, aux Indes, dans tout l’Extrême-Orient ; c’est l’or le mot magique qui poussa les Espagnols à franchir l’océan Atlantique pour aller vers l’Amérique ; l’or était la première chose que demandait le Blanc, dès qu’il foulait un rivage nouvellement découvert. Mais ce besoin de partir au loin à l’aventure, malgré les formes féodales ou à demi féodales dans lesquelles il se réalise au début, était, à sa racine déjà, incompatible avec la féodalité dont la base était l’agriculture et dont les guerres de conquête avaient essentiellement pour but l’acquisition de la terre. De plus, la navigation était une industrie nettement bourgeoise, qui a imprimé son caractère anti-féodal même à toutes les flottes de guerre modernes. Au XVe siècle, la féodalité était donc en pleine décadence dans toute l’Europe occidentale ; partout des villes aux intérêts anti-féodaux, avec leur droit propre et leur bourgeoisie en armes, s’étaient encastrées dans les territoires féodaux ; elles s’étaient déjà subordonné en partie socialement les seigneurs féodaux par l’argent, et même, çà et là, politiquement ; à la campagne même, là où des conditions particulièrement favorables avaient permis l’essor de l’agriculture, les anciens liens féodaux commençaient à se décomposer sous l’influence de l’argent ; ce n’est que dans les pays nouvellement conquis comme dans l’Allemagne à l’est de l’Elbe, ou dans des zones par ailleurs attardées, situées à l’écart des voies commerciales, que l’ancienne domination de la noblesse continuait à fleurir. Mais partout — dans les villes comme à la campagne — s’étaient accrus les éléments de la population qui réclamaient avant tout que cessassent l’éternel et absurde guerroiement, ces querelles entre seigneurs féodaux qui rendaient permanente la guerre intérieure, même lorsque l’ennemi extérieur était dans le pays, cet état de dévastation ininterrompue, purement gratuite, qui avait duré pendant tout le moyen âge. Trop faibles eux-mêmes pour faire aboutir leur volonté, ces éléments trouvèrent un puissant appui dans la tête même de tout l’ordre féodal — la royauté. Et c’est là le point où la considération des rapports sociaux conduit à celle des rapports de l’État, où nous passons de l’économie à la politique. [...]
[III] Dans la plupart des cas, les bourgeois conjurés achetaient leurs libertés au seigneur. Si le seigneur acceptait, on rédigeait des « chartes de franchise » (ou de liberté), énumérant les droits accordés aux communes libres. Mais bien souvent, irrités par les refus et réticences qu’ils rencontrèrent, les citadins n’hésitèrent pas à recourir à la violence. Bien sûr, la répression féodale était terriblement sanglante (1076 : Le Mans, 1114 : Amiens …). Mais le mouvement s’étendit durant les XIIe et XIIIè siècle. Les libertés acquises par les villes étaient plus ou moins étendues. Au nord-est de la France, la commune jouit d’une réelle indépendance. Elle fait ses lois, bat sa monnaie, lève une milice… C’est en Allemagne et Italie du Nord que les libertés sont les plus larges : les communes constituent de véritables petits états. Ayant obtenu leur autonomie, les communes s’organisèrent sous le gouvernement de leurs magistrats, contrôlés et aidés par le conseil communal, dont faisait partie les personnages les plus riches et les plus influents de la cité. Souvent, des conflits éclataient entre les corporations et les grands de la cité (marchands, banquiers…). Le roi proposait alors son arbitrage face à ces conflits permanents. Mais parfois, la cité faisait appel à un personnage étranger à la ville, le podestat (celui qui exerce l’autorité), auquel on confiait le gouvernement de la cité. Le mouvement d’émancipation de ces villes introduisit des manières de penser et des attitudes qui étaient étrangères au monde féodal. Enfin, il légua une institution qui se maintint jusqu’à nos jours : le régime municipal.
[IV] F. Engels : Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, 1888 : Au moyen âge, [...] lorsque apparut la bourgeoisie, l’hérésie protestante se développa, en opposition au catholicisme féodal, d’abord dans le midi de la France, chez les Albigeois, à l’époque de la plus grande prospérité des villes de cette région. Le moyen âge avait annexé à la théologie toutes les autres formes de l’idéologie: philosophie, politique, jurisprudence et en avait fait des subdivisions de la première. Il obligeait ainsi tout mouvement social et politique à prendre une forme théologique; pour provoquer une grande tempête, il fallait présenter à l’esprit des masses nourri exclusivement de religion leurs propres intérêts sous un déguisement religieux. Et de même que, dès le début, la bourgeoisie donna naissance dans les villes à tout un cortège de plébéiens, de journaliers et de domestiques de toutes sortes, non possédants et n’appartenant à aucun ordre reconnu, précurseurs du futur prolétariat, de même l’hérésie se divise très tôt en une hérésie bourgeoise modérée et une hérésie plébéienne révolutionnaire, abhorrée même des hérétiques bourgeois.
[V] Chronicart
[VI] L’ordre franciscain a été fondé par Saint François d’Assise entre 1210 et 1220. L’ordre des clarisses, fondée par Sainte Claire d’Assise, est son pendant féminin. Le mouvement s’est très rapidement divisé entre rigoristes ou spirituali (méfiants vis-à-vis de l’opulente Église) et les modérés ou conventuali (plus favorable à une bonne intégration de l’ordre au sein de l’Église). Les seconds l’emportent définitivement en 1322. Entre-temps, Saint Bonaventure est chargé de rédiger une biographie officielle, destinée à couper court à toutes les querelles. L’ordre dominicain a été fondé par Saint Dominique en 1216. Bien que partageant l’idéal de dépouillement et de soulagement de la misère des franciscains, les dominicains forment des prêtres instruits qui se destinent à la lutte contre les hérésies (la grande œuvre de Saint Dominique fut de tenter de ramener les cathares à la raison par la parole). L’ordre, très favorisé par la Curie romaine, se développe vite. A partir de 1233, les dominicains reçoivent la charge de diriger la Sainte Inquisition. Supprimé en France en 1792, l’ordre est rétabli en 1843 par Lacordaire. Les dominicains comptent dans leurs rangs des théologiens célèbres (Saint Thomas d’Aquin, Eckhart…), des prédicateurs au rôle politique important (Savonarole), des saintes emblématiques (Sainte Catherine de Sienne) et des bourreaux (Torquemada).
1. Cf. Annales E.S.C., 1968, pp. 335-352 et 1969, p. 833.
2. Récent exposé clair et utile, par un médiéviste qui s’appuie surtout sur l’historiographie urbaine, mais dont les conclusions sont vagues : A. JORIS, « La notion de ville » in Les catégories en histoire. Études publiées par C. Perelman. Travaux du Centre National de Recherches de Logique. Éditions de l’Institut de Sociologie, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, 1969. Exemple de définition riche mais trop analytique chez Y. RENOUARD. Les villes d’Italie de la fin du Xe siècle au début du XIVs siècle, nouvelle édition par Ph. Braunstein, Paris, tome I, 1969. La définition pirennienne est bipolaire : la ville se caractérise d’un côté, par sa fonction économique (centre commercial) et de l’autre par ses institutions — d’ailleurs en grande partie déterminées par les facteurs d’ordre économique. C’est plus une hypothèse sur l’origine des villes médiévales qu’une définition de ces villes. La volonté délibérée d’écarter tout critère économique et de s’accrocher à une définition juridique a amené au bord de l’absurdité le Père C.-J. JOSET, dans un intéressant ouvrage sur les villes au Pays de Luxembourg (1196-1383), Bruxelles- Louvain, 1940.
3 . Il est intéressant de remarquer que, si le modèle pirennien semble encore s’imposer à l’historiographie urbaine médiévale, Pirenne n’a jamais parlé de la ville, mais des villes du Moyen Age. La cité médiévale vient sans doute de l’influence du titre de l’œuvre célèbre de Fustel de Coulanges, La Cité antique, 1885. Elle est employée communément depuis Max WEBER, Die Stadt. in Archiv fur Sozialwissenschaft und Sozia/polhik, 47, 1921, pp. 621 sqq. (rééd. in Wirtschaft und Gessellchaft. Tubingen, 1956, vol. 2, pp., voir trad, anglaise The City, New York, 1958, avec une introduction de Don Martindale : The theory of the city. On la rencontre aussi bien chez des historiens comme Fritz RORIG, Die europâische Stadt in Mittelalter, Gôttingen, 1955, ou Cari HAASE éd.. Die Stadt des Mittelalter, vol. I, Begriff, Entstehung und Ausbreitung, Darmstadt 1969, que chez des sociologues comme Lewis MUMFORD, La Cité à travers l’histoire, Paris, 1968. Elle a donné son titre à un livre de poche : J. H. MUNDY et P. RIESENBERG, The Medieval Town, Princeton, 1958. Si l’on tient à un modèle de la ville médiévale, ce ne peut être, me semble-t-il, que dans la perspective de José Luis ROMERO, La revoluciôn burguesa en el mundo féodal, Buenos Aires, 1967. La caractéristique originale des villes médiévales, c’est leur situation dans la féodalité. 4. Exemple récent d’étude de typologie urbaine médiévale : K. BOSL, Typen der Stadt in Bayern, in Zeitschrift fur bayerische Landesgeschichte,32, 1969, 23 pages. Pour la France l’ouvrage de E. FOURNIAL, Les Villes et l’Économie d’échange en Forez au XIIIe et XIVe siècles, Paris, 1967, important par son traitement d’une riche documentation, néglige trop le problème urbain général. C’est probablement l’influence du célèbre article de Louis WIRTH, « Urbanism as a way of life » in American Journal of Sociology, 1 938, et le goût actuel pour l’histoire des mentalités qui a amené Roberto LOPEZ à paraphraser le mot célèbre de Renan sur la nation en déclarant : « Un ville est avant tout un état d’esprit » (una cittâ è prima di tutto uno stato d’animo, in Le città dell’ Europa post-carolingia. Settimane di studio del Centro Italiano di studi sull’alto Medievo, IL Spolète, 1954, p. 551, cité par Y. Renouard, op. cit.). Boutade, qui ne doit pas faire illusion, d’un brillant médiéviste, auteur d’un excellent article « The Crossroads within the wall » in The Historian and the City, ed. O. Handlin et J. Burchard. M.I.T. Press and Harvard University Press, 1963. S’il y a une mentalité urbaine, elle n’est pas la définition de la ville, ni son essence. Mais il est intéressant de noter que les hommes du XIIIe et du XIVe siècle ont repris les définitions de Cicéron, saint Augustin (Cité de Dieu, 8 : « civitas nihil aliud est quam hominum multitudo societatis vinculo adunata », Isidore de Seville (Etym., XV, 2 : « nam urbs ipsa moenia sunt, civitas autem non saxa sed habitatores vocantur ») répété mot pour mot par Raban Maur (De universe XIV, 1) pour insister sur l’esprit communautaire des citadins. On trouvera d’excellentes citations de Brunetto Latini (Tesoro, IX, 2 : « Citté é uno radunamento di genti ad abitare in uno luogo, e vivere ad una legge ») et du dominicain Fra Giordano da Rivalto (Sermon 104 prononcé en 1304 à Santa Maria Novella de Florence, éd. Manni, Florence, 1930 : « città (civitas) tanto suona corne amore (caritas), perocchè si dillettano le gente di stare insieme » dans le remarquable ouvrage de W. BRAUNFELS, Mittelalterliche Stadtbaukunst in der Toskana, Berlin, 1953.
5. Notre définition est dans la ligne, précisée par la sociologie moderne, de SOMBART : « Est ville, du point de vue économique, toute agglomération d’hommes qui dépendent pour leur subsistance des produits de l’agriculture extérieure » (cité par A. JORIS). Elle se sépare de la position de M. CASTELLS qui, dans ses travaux cités plus loin dans ce numéro, fournit une excellente introduction sur l’étude du pouvoir dans la ville, mais dilue la réalité de la ville et de l’urbanisation dans une notion d’ “appropriation sociale de l’espace”, qui a peut être le mérite de dénoncer certains fondements idéologiques de l’opposition ville-campagne mais qui, plus sûrement encore, dissout la réalité et le problème.
6. Robert HOLCOT, Sap. led. XCVI, éd. de Bâle, p. 326, cité par B. SMALLEY, Archivum Fratrum Praedicatorum, 1 956.
7 . Cet aspect a été bien mis en valeur par E. BABUT, Saint Martin de Tours, Paris et à travers Babut par Marc BLOCH, « Saint Martin de Tours. A propos d’une polémique », in Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1921, repris dans Mélanges Historiques, t. Il, 1963.
8. Rappelons l’opuscule de saint François : De religiosa habitatione in eremo, éd. H. Boehmer, Analekten zur Geschichte des Franciscus von Assisi. Tûbingen-Leipzig, 1904.
9. Ire, vadere per mundum, en parlant des frères, se retrouve plusieurs fois dans les deux règles, ja non bullata et la bullata cf. H. BOEHMER, op. cit.
10. Dans la Toscane des treizième et quatorzième, Charles BOUREL DE LA RONCIÈRE a mis en évidence le rôle des routes dans l’implantation des couvents franciscains. Les distances entre deux couvents franciscains sont souvent celles d’une étape routière (homme ou âne). Sur ville, route, pèlerinage et couvent franciscain, cf. l’installation des franciscains dans le faubourg Saint-Jacques à Thann dans l’excellente étude de Christian WILSDORF, « Dans la vallée de la Thur aux XIIIe et XIVe siècles : la transformation d’un paysage par la route », in Bulletin Philologique et Historique…, 1967 (1969).
11. Le colloque Les routes de France depuis les origines jusqu’à nos jours, Paris, 1959 (« Les routes du Moyen Age », par Jean HUBERT) et les communications présentées à divers congrès des Sociétés Savantes, et en particulier à celui de 1960, ne fournissent qu’un point de départ et quelques éléments particuliers.
12. Parmi les auteurs qui ont souligné le lien entre le mouvement urbain et l’installation des Mendiants, citons, pour les Dominicains, W. A. HINNEBUSCH, The History of the Dominican Order. I. Origins and Growth to 1500, Staten Island, 1965, pp. 260 sqq. Mais il faut surtout voir que les deux phénomènes sont deux aspects d’une même dynamique : c’est le relatif insuccès du clergé urbain traditionnel, séculiers et anciens ordres, qui suscite l’apostolat mendiant qui cherche à mieux s’adapter à la nouvelle société urbaine. De même l’installation des couvents mendiants est liée aux progrès de l’occupation du sol urbain (réduction des espaces verts ou non bâtis au centre, constructions en hauteur nées de l’enrichissement des terrains, extension du territoire urbain dans de nouvelles enceintes, et, hors de la ville, dans les faubourgs, etc.). Enfin les Mendiants jouent un rôle important que nous tenterons de préciser dans les nouvelles formes d’organisation sociales, par le moyen des Confréries et surtout des Tiers Ordres, champ d’étude presque vierge, notamment pour la France, qui, dans les limites de la documentation, doit apporter une image nouvelle de la société urbaine du bas Moyen Age. Parmi les études récentes, mais pour l’Allemagne du XVe siècle, Brigitte DEGLER, « Drei Fassungen der Terziarenregel aus der Oberdeutschen Franziskanerprovinz», in Archivum Franciscanum Historicum, 1969.
13. La vague d’urbanisation semble générale dans la Chrétienté du XIIIe siècle. Aussi, dans des régions et des pays où les précédents mouvements monastiques (Clunisiens, Cisterciens notamment) ne s’étaient produits qu’avec un décalage chronologique notable sur les régions occidentales où ces mouvements avaient pris naissance, l’implantation des Ordres Mendiants se fait à peu près en même temps et au même rythme dans tous les pays chrétiens parce que l’urbanisation recouvre toute la chrétienté au XIIIe siècle. Cf. pour la Bohême et la Moravie J. KOUDELKA, « Zur Geschichte der Bôhmischen Dominikanerprovinz im Mittelalter, » in Archivum Fratrum Praedicatorum. 1956 ; pour la Pologne J. KLOCZOWSKI, « Les ordres mendiants en Pologne à la fin du Moyen Age » in Ada Poloniae Histories XV, 1967. Sur les rapports entre la vague d’urbanisation contemporaine et les nouvelles formes d’apostolat religieux, cf. E. POULAT, « La découverte de la ville par le catholicisme français contemporain », in Annales E.S.C., 1960.
14. E. BENVENISTE, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, 1969.
15. Cf. François de SAINTE-MARIE, tes plus vieux textes du Carmel, Paris, 1945. Henri PELTIER, Histoire du Carmel, Paris, 1958.
16. H. PELTIER, op. cit.
17. Le Père F. DURIEUX, dans une communication orale, nous a indiqué que le Père Ephraim LONGPRE, à la fin de sa vie, doutait de l’authenticité bonaventurienne de ce texte. Mais le texte émane certainement des milieux franciscains dans le troisième quart du XIIIe siècle et c’est pour nous l’essentiel.
18. Saint BONAVENTURE, Determinationes quaestionum circa régulant fratrum m/’norum. Pars /. Quaestio V, in Opera Omnia, t. VIII. Quaracchi, 1898. Cf. chez les Dominicains G. MEERSSEMAN, « L’architecture dominicaine au XIIIe siècle. Législation et pratique », in Archivum Fratrum Praedicatorum. 1946.
19. HUMBERT DE ROMANS, De eruditione Praedicatorum, livre II, De modo prompte cudendi sermones circa omne hominum genus.
20. « Notandurn, quod Dominus mittens prophètes in mundum, frequentius misit eos in civitatem, quam ad alia loca minora, ut Hierusalem, Ninive, Babiloniam, sicut patet ex Scripturis. Item ipsemet veniens, frequentius praedicabat in civitatibus, quam alibi, sicut patet consideranti Historiam evangelicam… Item apostoli et discipuli frequentius praedicabant in civitatibus quam in aliis locis, sicut patet ex historia et ex legendis sanctorum. » Ce texte prend le contrepied des interprétations anti-urbaines de la Bible, fréquentes au XIIe siècle, face à l’affirmation de l’essor urbain, par exemple chez Rupert de Deutz, Guillaume de Saint-Thierry, et l’auteur du Liber de diversis ordinibus, dans un passage qui montre bien l’opposition ville-désert : « Domorum ergo aedificandarum cura eremitis summa non convenit, ne dicatur de eis, quia eremum non incolunt sed in eremo domos civitatum invethere gestiunt » La référence anti-urbaine est toujours Caïn, bâtisseur de la première ville.
21 . Le texte montre bien qu’il s’agit d’immoralité, de mépris pour les préceptes de la pratique religieuse, et non d’hérésie.
22. Voir G. MOLLAT, Études et Documents sur l’histoire de Bretagne, XllI-XVI» siècles. Paris, 1907.
23. « Gravis ad aures meas querela prioris et fratrum conventus Duacensis provincie Franciae pervertit, quod oppidum Duacense in quo situatus est conventus predictus, in comparatione ad alia adjacentia oppida in quibus ordinis conventus situati sunt, nobilitate, mercatoribus ac divitiis (correction qui s’impose pour dunciis) longe minus abundat et quod modicam portionem terminorum a solo sibi conventu vicino Atrebatensi ab initio sue fundationis recepit.. » Cité par M. D. CHAPOTIN, Histoire des Dominicains de la province de France. Le siècle des fondations, Rouen, 1898.
24. Les chroniques de la ville de Metz. éd. J. F. Huguenin, Metz, 1 838. La lieue messine est la lieue d’Empire (Meile) =7 500 m (cf. J. SCHNEIDER, La ville de Metz aux XIII» et XIVe siècles, Nancy, 1950, p. XXVI).
25. C. DOUAIS, Acta capitulorum provincialium O.F.P. Première province de Provence. Province romaine. Province d’Espagne, Toulouse, 1894. Introduction. Les fondations des couvents, pp. XLIV-L
26. SBARALEA, Bullarium Franciscanum, III, p. 158, etTh RIPOLL, Bullarium ordinis fratrum Praedicatorum, I, p. 495.
27. Ibid. SBARELEA, p. 60; RIPOLL, p. 466.
28. Cf. H. STOOB, « Minderstadte. Formen der Stadtentwicklung im Spâtmittelalter », in Vierteljahrschrift fur Sozial-und Wirtschaftsgeschichte, 1 959, pp. 1 -28. Pour une période plus récente, intéressantes études de M. AGULHON pour la Provence : « La notion de village en basse Provence vers la fin de l’ancien régime, » in Bulletin Philologique et Historique…, 1965, et « La fin des petites villes dans le Var intérieur au XIXe siècle », in Villes de l’Europe médheranéenne et de l’Europe occidentale du Moyen Age au XIXe siècle (Colloque de Nice, 1 969), 1969. D’un point de vue général, mais à dominante démographique et géographique, et surtout pour la France contemporaine : Grandes villes et petites villes (Colloque du CNRS, Lyon, Saint Étienne, Grenoble, 1968), Paris, 1970.
29. Notamment Fra SALIMB EN E DE PARME : « cumque interrogassem eum, quare in Vienna fratres Praedicatores locum non habebant dixit michi quod potius volebant Lugduni unum bonum conventum habere quam vellent habere tantam locorum multitudinem » (Çronica, éd. F. Bernini, 1942) et encore : « Fratres Praedicatores ibi (Hyères) locum non habent quia delectantur et consolantur in magnis conventibus habitare potius quam in parvis ». Textes indiqués par A. Vauchez et signalé par W. A. HINNEBUSCH, The History of the Dominican Order op. cit., où est cité le dicton (postérieur) : « Bernardus va Iles montes Benedictus amabat oppida Franciscus, célèbres Dominicus urbes. » W. A. Hinnebusch parle de careful planning, expression qui me semble s’appliquer à l’ensemble de l’implantation des mendiants et d’abord à leur choix urbain.
30 . Modèle qui est sans doute aussi le modèle provençal. M. Noël COULET avait noté les divergences entre le critère mendiant et le critère démographique tiré du beau livre d’E. Baratier dans le repérage des villes provençales. Pourtant l’utilisation du critère mendiant permet de fixer nettement un seuil démographique urbain dans la Provence médiévale : 300 feux, c’est-à-dire environ 1 500 à 1 800 habitants au début du XIVe siècle. Voilà repérée empiriquement la petite ville caractéristique de la Provence pré-industrielle selon G. Duby et M. Agulhon. 31. Ch. BOUREL DE LA RONCIÈRE fonde son étude sur l’onomastique d’une part les donations et les testaments de l’autre. 32. Dans son étude exemplaire de l’expansion messine dans la campagne, J. SCHNEIDER, La ville de Metz aux XIIIe et XIVe siècles, op. cit., fixe aux années 1275-1281 et « en rapport avec la crise qui commence vers cette date » une accélération décisive dans la conquête de la campagne par les bourgeois messins et note que « les grands domaines ruraux des patriciens se formèrent entre 1275 et 1325 ». Il ne s’agit pas de suggérer que le patriciat urbain ait amené avec lui les Mendiants dans les campagnes mais que la conjoncture commerciale et monétaire pèse également sur le patriciat et les Mendiants dont la subsistance dépend non de la terre mais de la monnaie, par l’intermédiaire de la quête. Répétons que le point fondamental quant à l’insertion des Mendiants dans l’économie et la société et la base de leur rôle de baromètre de l’économie monétaire est leur dépendance par rapport à la circulation monétaire.
33. Cf. note précédente et rappelons la série des grèves et émeutes urbaines pendant cette période. Cf. E. COORNAERT, les Corporations en France avant 1789, Paris, 1968, où il est question de « la fatidique année 1280 ».
34. Sur la « praedicatio », territoire propre à un couvent donné, et les termini, villages réservés à un couvent (en vue de la prédication et de la quête), cf. notamment l’ouvrage cité plus haut du P. CHAPOTIN et l’article du Père G. MEERSSEMAN, « Les débuts de l’ordre des Frères Prêcheurs dans le comté de Flandre (1224-1280) », in Archivum Fratrum Praedicatorum, 1947.
35. KEYSER, Stëdtegrûndungen und Stâdtebau in Nordwestdeutschland im Mittelalter. Der Stadtgrundriss als Geschichtsquelle, Remagen, 1958.
36. Rappelons que nous avons écarté du monde mendiant et par conséquent de notre enquête les Mercédaires et les Trinitaires et que le second concile de Lyon (1274) a supprimé les « petits » ordres mendiants — dont l’un, celui des Frères de la Pénitence de Jésus-Christ (en langue populaire les Sachets), comprenait alors au moins 66 couvents sur le territoire de la France actuelle. Les Servîtes n’ont pas mordu sur la France et les Minimes n’apparaissent qu’à la fin du XVe siècle. Restent donc les « quatre grands » ; Augustins, Carmes, Dominicains, Franciscains. A une époque que nous n’avons pas encore précisée, mais probablement vers la fin du XIVe siècle, le fait de posséder un couvent de chacun des quatre ordres mendiants devient un des éléments du stéréotype de la « grande » ville. Le tétragramme mendiant devient le symbole urbain par excellence.
Laboratoire d’Urbanisme Insurectionnel via
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