« Quelle époque peut mieux que la nôtre comprendre l'inquisition médiévale à condition que nous transposions le délit d'opinion du domaine religieux au domaine politique ? » (Régine Pernoud).
Pour qui aime l'histoire, ce livre remplit bien son office. L'auteur, Jean Sévillia, est journaliste et critique littéraire. Rédacteur en chef adjoint au très conformiste Figaro Magazine, il sait de quoi il parle quand il rappelle que « le débat public fait constamment référence à l'histoire » et que « les hommes de presse, les polémistes, les gardiens sévères de la bienséance intellectuelle et, en tout cas, les policiers de la pensée cadrent leurs propos par rapport à des représentations du passé qui sont fausses ». Il fustige les manuels scolaires en réhabilitant le fait historique et en le dépouillant de toute idéologie marxisante. Ne pouvant être exhaustif il limite son étude à « dix-huit points chauds » de l'histoire française et européenne.
Il entre tout de go dans l'histoire avec la Féodalité dont il désamorce un certain nombre de légendes telles que celle du droit de cuissage et surtout rétablit des concepts fondateurs comme celui, élémentaire mais primordial, de l'instauration de la royauté et de la nation par les Capétiens. Il bat en brèche cette vieille antienne chantée encore aujourd'hui aux jeunes Français lors de la Journée d'appel à la préparation de la défense : « La France commence en 1789 ».
Les Croisades : que de choses ont été écrites à leur sujet ! Aujourd'hui, il est de bon ton chez les humanistes de les considérer comme « une agression perpétrée par les Occidentaux violents et cupides à l'encontre d'un Islam tolérant et raffiné », alors que, si l'on en croit Sévillia, les Croisades sont tout bonnement une riposte à l'expansion militaire de l'Islam et une réplique à l'implantation des Arabes et des Turcs en des régions berceaux du christianisme. Cette considération partisane, pense-t-il, ne fait qu'alimenter la culpabilisation de l'Occident vis-à-vis de l'Orient dans le contexte colonialiste.
Un long chapitre est consacré aux rois catholiques d'Espagne et à l'Inquisition. On cite souvent Torquemada comme le modèle de l'intolérance et de la cruauté ; l'auteur, quant à lui, soutient que l'Inquisition au XVe siècle évolue dans un contexte très particulier propre à l'Espagne : « Torquemada n'est pas le fruit du catholicisme mais le produit d'une histoire nationale ». Toujours selon lui, et contrairement à une croyance bien ancrée, l'antisémitisme qui règne en Espagne au temps d'Isabelle la Catholique n'est nullement du fait de la reine mais des masses populaires qui reprochent aux juifs (air connu !) d'être « puissants, arrogants et accapareurs des meilleures places ». Leur expulsion en 1492 aurait une tout autre raison que celle, simpliste, qui est généralement présentée.
Revenant en France, Sévillia prend la défense de l'Ancien Régime contre les instructions de l'Education nationale. Il trouve comme une forme de paradoxe que, durant leur scolarité, les Français ont fort peu l'occasion d'entendre parler du Grand Siècle en cours d'histoire et, quand on leur en parle, c'est toujours sous le couvert de l'absolutisme et de l'obscurantisme. Pourtant, dans l'esprit de ces mêmes Français, l'Ancien Régime est bien vivant : ils adorent aller au théâtre voir jouer Molière, ils sont fous de la musique baroque, ils envahissent les monuments lors des Journées du patrimoine, etc. Comment comprendre, se demande l'auteur, que ces chefs-d'œuvre sont le fruit de l'intelligence et de la sensibilité d'une société qui aurait été hébétée par la servitude résultant de l'absolutisme ? Il a toute une série de réponses, fort séduisantes et convaincantes, sur la réalité de cet absolutisme dont le terme même a été forgé par la Révolution. Sévillia dénonce la vision angélique que nos républicains modernes ont de la Révolution et de la Terreur en considérant la décennie 1790 comme un passage de l'absolutisme à la liberté, la Terreur ne constituant qu'un accident de parcours. Lui, il voit les choses différemment : « Conduite au nom du peuple, la Révolution s'est effectuée sans le consentement du peuple et souvent même contre le peuple ». Une révolution en chassant une autre, l'historien traverse à pas de géant le XIXe siècle, alors qu'il aurait eu beaucoup à dire sur le Ier Empire et Napoléon fort délaissés par l'Education nationale, et aboutit à la Commune de 1871 dont il place avec clarté les origines dans la nostalgie de 1792 et les souvenirs de 1830 et 1848. Sa question : « Qui est responsable de cette tache sanglante dans l'histoire de France ? Est-ce le républicain Thiers, qui laisse ses troupes mener sans discernement la répression, ou bien sont-ce les communards, dont l'utopie était porteuse d'une violence que plus personne n'ose rappeler ? »
Tout naturellement, la Commune, phase préparatoire de la IIIe République, amène l'auteur à s'intéresser à la question ouvrière au cours de l'industrialisation du XIXe siècle. Une fois encore, il dénonce un postulat républicain largement répandu dans les manuels scolaires en démontrant par les faits l'absurdité d'une idée bien installée selon laquelle seuls les socialistes ou les révolutionnaires auraient pris en charge le monde ouvrier. Rien n'est plus faux, dit-il : il suffit de faire l'inventaire des lois et des œuvres sociales ou de charité pour se convaincre qu'elles furent prises ou créées le plus souvent par des politiques ou des entrepreneurs catholiques. Pour rester dans ce siècle avant de basculer dans le deuxième millénaire, l'abolition de l'esclavage, grande victoire de la IIe République, n'échappe pas à la loupe de Sévillia. À l'issue d'un long rappel historique, il conclut sur ce sujet par cette phrase laconique : « Qu'un magazine d'histoire, dénonçant un “tabou français”, publie les vrais chiffres de la traite des Noirs, c'est une démarche très légitime. Cependant, il ne serait pas moins intéressant de connaître les vrais chiffres de la traite des Noirs par les musulmans ». Parmi les plus « chauds » sujets choisis par l'auteur apparaît l'Affaire Dreyfus. Il nous en livre une exégèse toute personnelle et fort intéressante. Selon lui, l'antisémitisme n'explique pas seul l'Affaire Dreyfus. Il va même jusqu'à écrire que « si l'accusé de 1894 n'avait pas été juif, il y aurait quand même eu une Affaire Dreyfus ». En effet, il fait intervenir dans cette alchimie d'autres éléments, notamment le radicalisme naissant, l'antimilitarisme de gauche et l'anticléricalisme, sujets interactifs qu'il développe.
« Ce n'est pas Hitler qui a engendré le nationalisme allemand ». Au risque de passer pour un iconoclaste, Sévillia dénonce trois raisons à ce nationalisme exacerbé : les énormes pénalités du Traité de Versailles, la stratégie exclusivement défensive conçue par l'état-major français en 1929 et le pacifisme des quarante-deux cabinets ministériels (!) en vingt et un ans.
L'entre-deux-guerres aura été la période du fascisme florissant, avec l'Italie et l'Allemagne et, par voie de conséquence, de l'antifascisme. Ce dernier naît en France de toutes pièces le 6 février 1934 quand la République entre en crise et que l'imaginaire politique de la gauche craint « le danger fasciste contre lequel doivent s'allier les forces de progrès ». Sévillia insiste bien sur le fait que le fascisme français des années 1930 représenté par les ligues et quelques petits partis sans aucune envergure est un mythe que la gauche utilise pour mieux combattre ses adversaires.
L'auteur traite les années 1940-1945 d'une façon inhabituelle mais intéressante. Ne voulant pas se plier à la règle qui veut qu' « aujourd'hui tout concourt à appréhender prioritairement l'étude de la seconde guerre mondiale par le récit des malheurs juifs », il préfère considérer que « sur le plan historique, cette tragédie est survenue à l'occasion d'un conflit mondial dont les enjeux n'engageaient pas que les juifs ». Après un rappel des événements survenus entre le 10 mai et le 10 juillet 1940, Sévillia analyse la période des quatre années suivantes selon un découpage thématique : Vichy n'est pas un bloc ; La tragédie juive : qui est responsable ? ; De Gaulle : de la révolte à la victoire ; Contre les Allemands, des hommes de tous les camps ; Vérités et légendes de la résistance ; Résistants de droite et collaborateurs de gauche.
Pour ce qui concerne la tragédie juive, l'auteur est mesuré dans ses observations : « S'il n'y a pas une faute collective de la France comme l'a affirmé Jacques Chirac le 16 juillet 1995, ses racines plongent jusqu'à la IIIe République ». « Les Français ne sont pas les antisémites que décrit une certaine légende noire », ce qui apporte un démenti à tout ce qui peut être dit sur cette tragédie dans les manuels scolaires et, plus généralement, dans les médias.
Quant à la Résistance et à la Collaboration, Sévillia réduit à néant le manichéisme habituel d'une gauche résistante et d'une droite collaborationniste en s'appuyant là encore sur des faits et en donnant des exemples de personnalités attachées à l'un ou l'autre camp.
Vers la fin de son livre, l'auteur s'intéresse, d'ailleurs avec une certaine sympathie, à la personnalité du pape Pie XII dont l'attitude pendant la guerre est très controversée. Pour les uns, il n'aurait été que le complice tacite du régime national-socialiste en restant silencieux face au martyre juif dont il aurait eu connaissance ; pour d'autres, il aurait été à la fois favorable aux Alliés et secourable aux juifs en organisant le sauvetage de certains d'entre eux. Sévillia, lui, se dit appartenir au camp de ses défenseurs et s'appuie pour cela sur les archives du Vatican que le pape Paul VI fit ouvrir en 1963 pour faire justice des accusations lancées contre Pie XII. On pourra regretter que l'auteur n'ait pas poussé plus avant sa recherche sur la véritable attitude du pape puisque, écrit-il, « Pendant la guerre, ni Roosevelt, ni Churchill ni le général de Gaulle n'ont publiquement accusé l'Allemagne nazie d'exterminer les juifs ».
Jean Sévillia a atteint son objectif. Puisse son livre être lu ! Fort d'une documentation sérieuse, il a la vivacité et la concision d'une œuvre journalistique, la précision et la clarté du travail de l'historien. Cependant, on peut reprocher à Jean Sévillia, bien qu'il s'en défende, de ne pas s'être suffisamment extrait de la Pensée unique et du Politiquement Correct (environnement oblige !). Alors qu'en sa qualité de journaliste, il ne peut l'ignorer, il omet - et en cela il demeure “Historiquement Correct” - de citer tout l'arsenal répressif qui a été mis en place pour protéger une certaine histoire officielle et interdire certains écrits. Ainsi il a passé sous silence les annulations administratives de thèses et de mémoires universitaires, comme à Nantes ou à Lyon, et bien sûr la loi Fabius-Gayssot du 13 juillet 1990, loi dite « sur la liberté de la presse » qui entrave dans les faits la liberté de recherche historique.
René SCHLEITER ©POLEMIA 4 mai 2003
Jean Sévillia, « Historiquement Correct/Pour en finir avec le passé unique », Perrin, 2003, 456 pages, 21,50 euros.