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L'étendard de la délivrance

Il est des époques où tout le monde semble avoir perdu la tête. C’est évidemment le cas de celle que nous vivons, mais le XIVe siècle et le début du XVe n’étaient guère plus reluisants. Au moment où Dieu envoya à la France le petite bergère de Domrémy, tous les désordres politiques, sociaux, intellectuels, religieux qui devaient s’ériger après 1789 en faux ordre établi et dont nous vivons aujourd’hui les ultimes conséquences empoisonnaient depuis déjà plus d’un siècle la vie française.
Ferveur populaire
La maladie du roi Charles VI (1368-1422), qui à partir de 1392, en dépit de périodes de rémission, s’enfonça de plus en plus dans l’hébétude, eut pour effet de rendre la situation “républicaine”. Les oncles du roi (Louis duc d’Anjou, roi de Naples, Jean duc de Berry, Philippe le Hardi duc de Bourgogne) ne surent qu’attiser les querelles partisanes, sur fond de manipulation démagogique de la population parisienne. On vit Caboche et la corporation des bouchers organiser des “journées” préfigurant la Terreur de 1793 !
La guerre civile se révéla dans toute son horreur quand le fils de Philippe le Hardi, Jean Sans Peur, nouveau duc de Bourgogne, assassina Louis duc d’Orléans, frère du roi. Après quoi les fidèles du défunt se groupèrent autour du comte d’Armagnac, beau-père de Charles, nouveau duc d’Orléans, contre le clan bourguignon. Situation d’autant plus suicidaire que l’on était en pleine guerre avec l’Angleterre ! Le mariage en 1396 de Richard II, roi d’Angleterre, avec la petite Isabelle, fille de Charles VI et d’Isabeau de Bavière, avait pourtant laissé espérer la paix. Mais Richard II fut renversé par son cousin Henri de Lancastre qui devint Henri IV et dont le fils Henri V, ayant épousé Catherine, une autre fille de Charles VI et d’Isabeau, ne songeait qu’à s’emparer de la France. Dès lors les désastres se succédèrent, comme celui d’Azincourt (25 octobre 1415) où fut fauchée la meilleure noblesse française.
Entre “Armagnacs” résistants et “Bourguignons” vendus aux Anglais, la lutte ne fit que s’envenimer jusqu’au jour où le jeune dauphin Charles fit assassiner Jean Sans Peur. Faute politique qui eut pour effet de jeter la louvoyante reine Isabeau dans le camp du fils du défunt, qui était aussi un de ses gendres, Philippe le Bon, nouveau duc de Bourgogne. C’est alors que les négociations avec Henri V débouchèrent le 21 mai 1420 sur l’extrême humiliation du Traité de Troyes faisant du roi anglais l’héritier du roi de France...
Le bon peuple de Paris, doué d’un plus grand bon sens que les “intellectuels”, n’en continua pas moins d’acclamer le pauvre Charles VI jusqu’à sa mort en 1422. La ferveur populaire était en sommeil, elle n’était pas morte ! Cette même année 1422 mourut Henri V, laissant les couronnes d’Angleterre et - prétendument - de France à un enfant d’un an, Henri VI. Le vrai dauphin, de jure Charles VII, retiré à Bourges, se croyait abandonné de tous, ne sachant pas qu’une petite bergère de dix ans priait tous les jours pour lui et son royaume. Bientôt les voix de l’archange saint Michel et des saintes martyres Marguerite et Catherine allaient dire à cette jeune Française et fière de l’être qu’avec l’aide de Dieu, il était possible de le rester...
“Échec à l’“européisme”
Le drame de la France d’alors ne peut être considéré indépendamment de celui que vivait toute la chrétienté. La foi avait fléchi et beaucoup cherchaient à chasser le surnaturel de la cité politique. Les philosophes à la mode séparaient les fins spirituelles des individus des fins temporelles des États - déjà le laïcisme ! Pendant tout le XIVe siècle de grands débats avaient secoué, affaibli et divisé l’Église où certains réclamaient la supériorité des conciles sur la papauté et où l’on avait vu deux papes régner en même temps.
Le laisser-aller spirituel a toujours des conséquences temporelles : la perversion des hommes de Dieu (Cauchon enseignait à la Sorbonne) creusait le lit des idéologues, lesquels n’avaient de cesse de prêcher la laïcisation des rapports sociaux pour le plus grand profit des puissances d’argent toujours hostiles aux contraintes. Des théoriciens rêvaient d’une organisation supra-nationale sans Dieu, essentiellement fondée sur des intérêts mercantiles.
Ainsi s’éclairent les ambitions du clan bourguignon : il était le parti européiste d’alors ! Depuis que Philippe le Hardi (frère de Charles V) avait épousé Marguerite de Flandre, de riche puissante famille, son clan se proposa de reconstituer sur les ruines d’une partie de la France un royaume lotharingien (le vieux rêve anti-capétien !) qui serait comme l’épine dorsale d’un nouvel ordre européen. Le traité de Troyes fut l’expression de ce “libéralisme” effréné. Relisons Pierre Virion : « Ainsi avec l’Angleterre agrandie des trois quarts de la France et poussant son trafic jusqu’en Orient, avec les puissances commerciales d’Allemagne, une sorte de condominium, de marché commun dirions nous, est en vue dont le futur royaume de Philippe de Bourgogne serait le centre ». Toutes les démesures sont permises dès lors que s’estompe l’unité organique des sociétés historiques.
Inutile d’insister sur les ressemblances avec notre début de XXIe siècle... On a seulement inventé aujourd’hui l’erzatz de religion qui est censé souder le monde maëstritchien sans foi, sans nations, sans racines : les Droits de l’Homme ! En leur nom on culpabilise, on diabolise, on pousse à la repentance tous les récalcitrants qui n’entendent pas être réduits à de simples consommateurs...
La jeunesse de la France
La fête de sainte Jeanne d’Arc - la fête du printemps de la France - vient dans quelques jours nous dire qu’on peut en sortir.
Avec la gaieté de ses dix-sept ans, une foi chevillée au corps, beaucoup d’humilité et une espérance fondée en Dieu plus que dans les hommes, elle n’est entrée dans aucun parti, dans aucune parlote intellectuelle, elle n’a en rien “dialogué” avec son siècle, elle a ignoré les légalités établies, dont le traité signé sous la contrainte bien-pensante du moment. Ainsi est-elle allée droit au but. Joignant un sens aigu des nécessités temporelles à une soumission totale à l’ordre surnaturel, elle combattit, bien sûr, les Anglais - mais sans le moindre esprit de haine -, et surtout, osant dès le 8 mai délivrer Orléans, la dernière poche de résistance à la démission nationale, elle galvanisa les ardeurs des Français trop longtemps trompés et ouvrit la route de Reims afin de rendre possible le rétablissement de la légitimité en confirmant le 17 juillet 1429 le pacte de Clovis avec le Ciel.
Politique d’abord ! Il fallait d’abord que Charles VII fût sacré (« C’est vous et non un autre ! ») pour qu’il recouvrât toute son autorité face au roi anglais, aux puissances mercantiles et aux clercs dévoyés. Alors la France allait pouvoir redevenir elle-même, chasser les utopies, les démesures et l’esprit partisan, reprendre conscience de son destin national incarné d’âge en âge par la lignée capétienne, renouer avec les sources de l’ordre naturel et surnaturel. Jeanne, au prix du sacrifice de sa vie (les Anglais et leurs “collaborateurs” la brûlèrent à Rouen le 30 mai 1431), orientait l’Europe vers un ordre international fondé sur la justice et la complémentarité entre les nations dans un bien commun universel, de nature à empêcher aussi bien l’érection de la nation en absolu que l’abandon à l’idéologie cosmopolite.
Aujourd’hui comme sous Charles VI, la ferveur française est en sommeil ; nous savons qu’elle n’est pas morte... Disons-nous bien qu’Orléans, aujourd’hui c’est nous ! Que de notre audace à vouloir rester français dépend le sort de la France ! Que la jeunesse de la France face à des européistes ramollis, c’est nous ! Que la jeunesse du monde face au désenchantement mondialiste, c’est nous ! Nous, à condition qu’à l’exemple de Jeanne, nous sachions qu’un tel combat mène plus sûrement au sacrifice qu’à la gloire, - mais c’est le prix de la liberté de la patrie !
Michel Fromentoux L’Action Française 2000 du 19 avril au 2 mai 2007

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