La publicité est le carburant indispensable à la perpétuation du capitalisme, qu’elle a d’ailleurs sauvé, si l’on en croit Naomi Klein, en inventant le branding, la construction identitaire de l’individu par les marques qu’il arbore. En rappelant sans cesse à l’individu que tout s’achète, le bonheur, l’amitié, le sexe, les valeurs cardinales des publicités, et que nous n’existons qu’au travers des biens que nous possédons, la publicité vise non seulement la perpétuation du capitalisme, mais plus directement la destruction de notre esprit critique. La contestation est récupérée ou folklorisée, la complexité et la dimension collective sont abolies, et remplacées par le règne de l’émotion, de l’égoïsme, de la distraction permanente et du paraître. « Les publicitaires ont un besoin proprement politique que nous n’usions pas de la pensée, la vraie, inachetable, retorse (...) Ils arrivent à leurs fins gentilles d’écervelage ». On touche ici à la dimension la plus pernicieuse de la publicité, véritable entreprise de perversion de la démocratie. « Misanthropie et misologie, haine de l’humain et de la raison : ces deux instincts fascistes motivent intrinsèquement la publicité. Ils en sont l’essence même... » Son coût politique est ainsi terrifiant : les esprits déshabitués à l’exercice de leur pensée critique, et imprégnés des rêves de pacotille de l’idéologie consumériste, sont désormais mûrs pour toutes les manipulations de ceux qui, en politique, sont prêts à récupérer les techniques de la publicité dans le seul but de gagner à tous prix. La compétition électorale est transformée en nouveau marché de la séduction entre « marques » vendues à grand renfort de marketing, de slogans creux et d’opérations de communication en forme de feux de paille. Mangez des pommes !
Dans ce contexte, il ne faut pas compter sur la presse libre pour défendre la pensée critique et la vérité qui déjouerait la propagande. L’emprise qu’exercent les annonceurs sur les grands médias est telle qu’elle les transforme en supports de publicité défendants des budgets publicitaires. Les publicitaires prétendent souvent financer la démocratie et le pluralisme de l’information à travers les pages de pub qu’ils achètent. Mais ce qu’ils achètent en même temps que des espaces publicitaires dans les médias, c’est le silence de la démocratie, le conformisme de l’information-spectacle et l’uniformité des points de vue derrière l’apparence du pluralisme : dépendant des publicitaires, les médias se doivent d’élargir toujours davantage leur audience afin de vendre leurs pages de publicité plus cher. Pour y parvenir, ils vont privilégier ce qui est le plus susceptible d’attirer la plus large audience possible : la hiérarchie de l’information est renversée au profit des événements ludiques (le show-business), spectaculaires (le sang), racoleurs (les faits divers, l’érotisme discret) ou de proximité (sujets de terroir, cuisine, jardinage, « marroniers » divers). Le fond, la réflexion, l’investigation et la rigueur s’effacent devant la manipulation de l’émotion, du plaisir ou de la peur, et un manichéisme de bon aloi : la complexité est écartée, parce que susceptible de diviser l’audience, comme les sujets véritablement polémiques, auxquels on va préférer les sujets consensuels, les indignations humanitaires rassembleuses et la prohibition des explications abstraites au profit du « concret ».
Toute prise de position courageuse, originale, minoritaire serait de nature à aliéner une partie des lecteurs / auditeurs / spectateurs : le média privilégiera donc le conservatisme des points de vue, les scandales qui ne remettent rien en question, les faux débats entre vrais amis sur des sujets spectaculaires mais pas essentiels, la décontextualisation des problèmes... Et bien sûr, le média veillera à ne pas importuner les annonceurs : il s’abstiendra donc de réfléchir à l’emprise de la publicité sur nos vies ou de mener des enquêtes trop poussées sur les entreprises qui lui achètent le plus d’espace publicitaire (Bouygues, EDF, Areva, les marques automobiles, les produits cosmétiques et les accessoires de mode, etc.). Ça tombe bien, les industriels propriétaires des grands médias partagent généralement les mêmes visions du monde, les mêmes anti-valeurs (domination, argent, compétition...) que les industriels de la publicité et ceux qui les emploient pour la promotion de leurs produits et de leurs images.
Désobéir à la pub, Les Désobéissants
http://www.oragesdacier.info/2014/01/la-publicite-est-le-carburant.html