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La Guerre de 2014 par Georges FELTIN-TRACOL

Auteur en 2004 d’un ouvrage sur Le Fondateur de l’Aïkido, Morihei Veshiba et en 2007 de Constat d’Occident, Laurent Schang est un fana mili, un passionné du fait militaire, de l’armement et des questions tactiques. Il a un temps participé à la revue La voie stratégique et anime une maison d’édition au nom évocateur spécialisé dans ce domaine spécifique : Le Polémarque.

D’abord paru en 2009 chez un modeste éditeur disparu, Kriegspiel 2014 est un roman d’anticipation ou plus exactement de politique-fiction dans la lignée de Tom Clancy (en moins volumineux) et de Gérard de Villiers (sans les scènes pornographiques). Les éditions Le Retour aux Sources viennent de le republier dans une version actualisée et enrichie. Relevons par exemple l’absence du sous-titre présent dans la première édition, « Le livre dont Vladimir Poutine est le héros ».

Laurent Schang inscrit les événements qu’il nous décrit dans un schéma conceptuel tiré d’une lecture polémarchique de la philosophie de l’histoire. Il estime que « selon une loi non écrite bien connue des historiens militaires, l’avenir de la péninsule européenne […] se décide entre la dixième et la quinzième année du siècle courant (p. 7) ». 1914, 1815, 1715, 1610, 1515 etc. marquent le début ou la fin d’une conjoncture conflictuelle majeure.

L’auteur nous dépeint la déflagration survenue en 2014. Dans moins d’un an, le 12 décembre 2014, les tensions sino-japonais liées au sort des îlots Senkaku – Diaoyu débouchent en conflit armé ouvert. Parallèlement, des islamo-nationalistes turcs renversent le gouvernement islamo-conservateur d’Ankara, relancent le touranisme et soutiennent l’agitation ouïgoure au Xinjiang chinois. C’est l’explosion du monde de l’après-Guerre froide !

Pendant que la Chine envahit Taïwan et le Japon, les États-Unis d’Obama et l’Europe unie – car l’Union européenne est devenue une entité fédérale ambiguë et velléitaire – renâclent à intervenir, tergiversent et réclament surtout des négociations. Si Barack Obama a proclamé la neutralité de son pays, c’est parce plusieurs États fédérés menacent de faire sécession…

Les atermoiements occidentaux aiguisent les ambitions turques et le dessein russe. La Turquie envahit l’Arménie, occupe la partie grecque de Chypre et s’empare des Balkans qui replongent dans d’inextricables guerres civiles. Néanmoins, l’invasion néo-ottomane provoque la formation d’une Confédération panslaviste tandis que Moscou reconnaît l’indépendance de l’Adjarie, du Haut-Karabakh arménien et du Kurdistan du Nord, ses nouveaux protectorats.

Mieux, le 22 décembre, la Russie attaque l’Ukraine, la Pologne et les États baltes. Cette action violente tétanise une O.T.A.N. paralysée par le neutralisme affiché de Washington. Quant à l’Europe unifiée, désemparée, elle se révèle incapable d’agir. Ses États membres ne prennent aucune initiative. En effet, « leurs armées sont au régime sec, les pays européens ont réduit leurs budgets militaires au minimum et la plupart de leurs engagements sont au point mort, vecteurs aériens y compris, faute de crédits nécessaires. Conséquence, en dix ans l’Europe unifiée a vu sa puissance de feu diminuer du tiers (p. 84) ». Bref, les Européens « sont juste incapables de se défendre eux-mêmes (p. 85) ». Cela n’empêche pas de grandes métropoles européennes de sombrer dans une situation insurrectionnelle larvée. Échoue dans ce contexte tendu un 26 novembre à Bruxelles un coup d’État pro-européen.

Bien que se voulant neutre, la Belgique se déchire entre partisans de l’unité nationale et indépendantistes flamands. Ses voisins et ses partenaires s’interrogent sur une éventuelle réponse à donner aux événements. Tout démontre que « groggy, l’Europe unifiée chancelait sur sa base. Dans les premiers jours du conflit, les dirigeants européens avaient pu afficher une unité de façade devant les caméras. Au vrai, usés au physique, affaiblis au moral, les peuples ne manifestèrent à aucun moment l’envie de les suivre (p. 133) ». Le sursaut européen provient finalement de la réussite d’un second coup d’État. Perpétré par « les Fils de la Louve », un groupe clandestin de jeunes officiers paneuropéens, le putsch renverse les institutions continentales, écarte les politicards de l’Europe unifiée et impose un Saint-Empire fédéral paneuropéen confié au petit-fils d’Otto de Habsbourg : Ferdinand Zvonimir.

Disposant rapidement d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’O.N.U., ce nouveau Saint-Empire rassemble 31 États dont le califat de Sarajevo. En revanche n’y appartiennent pas le Royaume-Uni, la Pologne et une Confédération balkano-danubienne constituée de la Serbie, de la République serbe de Bosnie, du Monténégro, de la Macédoine et de la Grèce. Favorable à la désoccidentalisation de l’Europe et au Grand Bloc Continental, le jeune souverain paneuropéen prend acte du monde accouché par cette brève et intense guerre eurasiatique (moins d’une année). Les États-Unis paient leur neutralité d’un net recul de leur influence planétaire. S’esquisse dès lors un siècle altaïque régi par la Chine, la Russie et la Turquie – Touran, prélude à un grand-espace géopolitique eurasien, voire eurasiste ? Ferdinand Zvonimir Ier ne déclare-t-il pas à ce sujet que « les civilisations ne sont pas des aires closes, des valeurs communes les relient et les unissent les unes aux autres (pp. 145 – 146) ».

Riche en considérations techniques précises sur les différents systèmes d’armement des belligérants, Kriegspiel 2014 se déroule dans le cadre d’une guerre conventionnelle classique, très éloignée des schémas prévus de la cyber-guerre, de la guérilla et des conflits méta-locaux. Ce roman n’en ouvre pas moins d’étonnantes perspectives géostratégiques même s’il faut largement minorer l’idée fallacieuse que la Russie serait prête à attaquer volontiers son étranger proche au Sud et à l’Ouest de ses frontières… Laurent Schang aurait-il trop lu les doctrines néo-conservatrices qui envisagent toujours l’Ours russe comme une forte menace potentielle ? En revanche, les contentieux dans le Caucase et entre Pékin, Tokyo, Séoul et Pyongyang sont plausibles et peuvent dégénérer en guerre. À moins que le principal neutre de ce « Jeu de guerre 2014 », les États-Unis, ne révèle sa dangerosité en se lançant dans des aventures militaires déstabilisatrices. Victimes d’une grave crise économique, sociale et financière seulement dissimulée par l’exploitation intensive du pétrole et du gaz de schiste, l’actuelle première puissance mondiale pourrait très vite devenir un État super-voyou qui met en péril la paix mondiale, surtout si en 2017 accède à la Maison Blanche un taré républicain ou un fanatique démocrate, éternels pantins de l’État profond yankee.

L’histoire est par essence tragique, inattendue et aléatoire. Verrons-nous donc cette année 2014 le retour d’Athéna et d’Arès, de Taranis et de Maponos, de Tyr et de Thor sur notre sol plusieurs fois millénaire ?

Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/

• Laurent Schang, Kriegspiel 2014, Le Retour aux Sources (La Fenderie, F – 61 270 Aube), 2013, 155 p., 15 €.

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