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La politique, du tragique au comique,

Un texte, paru dans Le Figaro du 14 janvier 2014 et qui aurait pu tout aussi bien s’intituler : Le roi, le bouffon et la favorite...

Comme toujours, Jean-François Mattéi va à l’essentiel.

Rappelons que le philosophe nous fera l’amitié d’intervenir, samedi 18 janvier, au Carrefour royal.

Nous le savons depuis Shakespeare. Le monde est une scène sur laquelle s’agitent des ombres fugaces avant que le rideau tombe. On peut y voir une tragédie qui trouve son expression majeure dans la politique. On peut y déceler une comédie quand les acteurs oublient leur texte ou que les rôles deviennent interchangeables. Les spectateurs ne retiennent plus alors les rires et les quolibets. C’est ce que l’on constate aujourd’hui dans la vie politique française où le pouvoir perd sa légitimité en s’aventurant sur un terrain qui n’a jamais été le sien.

La politique ne se fait pas à la corbeille, disait le général de Gaulle. Elle ne se fait pas non plus à la télévision, dans les magazines ou sur Twitter. Les événements les plus médiocres, comme les exigences maussades d’une collégienne kosovare, les diatribes antijuives d’un amuseur public, ou les liaisons improbables d’un président normal, ont pourtant envahi l’espace médiatique au point d’occulter les réalités politiques ou de les tourner en farce. Qu’il s’agisse d’une Rom, d’un hwnoriste ou d’une comédienne, dans tous les cas l’intervention du souverain sur la scène médiatique survient mal à propos. Le pouvoir politique se dénude pour se soumettre à l’exigence d’une transparence qui abolit les limites de la vie privée et de la vie publique. Or ,la vie médiatique ne connaît aucune mesure : elle n’existe que dans l’exhibition et l’exagération toujours plus intense de ce qui relève en chacun’ de l’intime. C’est ce que Jean Baudrillard, dans Les Stratégies fatales, a qualifié justement d’obscénité. L’obscène n’est pas ce qui offense ouvertement la pudeur ou le bon goût, mais ce qui, par son surcroît d’intensité, excède la réalité et qui s’avère, au sens de l’obscenitas latine, de mauvais augure. En paraphrasant le sociologue, il faudrait dire que ce qui tient à la réalité de la politique relève de la normalité de la mise en scène, et que ce qui tient à l’hyper-réalité des médias relève de la pathologie de l’obscène.

On le constate avec les faits divers qui agitent l’actualité récente. Les souverains ont toujours eu des faiblesses pour le beau sexe et ne cachaient pas leurs maîtresses à leurs courtisans ou à leurs sujets. Madame de Pompadour avait un appartement au château de Versailles au-dessus de celui de Louis XV. Mais ce qui relevait du pouvoir en régime monarchique concerne-t -il le pouvoir en régime républicain ? Oublie-t - il que la démocratie impose la conversion de l’homme privé en homme public et non la réversion de l’homme public dans l’homme privé ? Doit-il se prêter au jeu hypocrite de la dissimulation revendiquée par les acteurs et de la transparence exigée par les spectateurs ? Il importe d’ailleurs peu que la relation présumée soit réelle ou non ; il suffit que cette relation soit divulguée sur tous les supports pour que ce qui n’était qu’une virtualité acquière le statut d’hyper-réalité. La divulgation des amours présidentielles est obscène dans la seule forme de son exposition parce qu’elle concerne des photographies prises et diffusées sans autorisation. Mais la condamnation du magazine qui a publié ces images jugées compromettantes sera d’autant plus suspecte que le principal intéressé s’est offert de son propre chef à l’indiscrétion.

Il en va de même du spectacle de Dieudonné tel que nous le connaissons par la publicité, la télévision et les sites Internet. L’antisémitisme revendiqué est moins révoltant dans son outrance verbale, qui prétend se justifier par la liberté de l’artiste, qu’obscène dans son amplification médiatique qui outrepasse le Théâtre de la Main d’Or. Et cette amplification séduit d’autant plus les spectateurs qu’elle est relayée par leur complicité secrète, chaque partisan de l’humoriste étant protégé par l’écran de l’ordinateur ou l’anonymat de la foule. Le,souverain tombe alors dans le piège qu’il a dressé quand il entre à son tour en scène, par la médiation de ses ministres ou la sévérité de ses critiques, au lieu de rester dans son palais en laissant aux lois le soin de trancher. En prenant position contre l’humoriste, il ne met à aucun moment les rieurs de son côté, et en faisant interdire des spectacles avant qu’ils aient lieu, il indispose les artistes qui voient rétablir une censure préalable abolie par la république. Le théâtre tragique tourne alors à la scène comique. En le condamnant, le roi accorde un appui inespéré à son bouffon puisqu’il reconnaît la puissance de son rire, au lieu de laisser la justice se saisir du dossier. il ne faut jamais échanger les rôles sociaux. Érasme n’avait pas tort, dans son Éloge de la folie, de voir dans Triboulet l’image grotesque et inversée du roi.

Jean-François Mattéi - Le Figaro

http://www.actionfrancaise.net/craf/?La-politique-du-tragique-au

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