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Des bombes contre la société industrielle

 

 

L’aventure révolutionnaire et criminelle du mathématicien Theodore (ou Ted) Kaczynski est un cas unique dans l’histoire récente, c’est-à-dire depuis les briseurs de machine d’avant le XXe siècle. Le sujet visé par la violence d’Unabomber n’est autre que la technologie contemporaine et ses zélateurs.
Référencé comme Unabom par le FBI, puis surnommé Unabomber, Ted Kaczynski a défrayé la chronique du terrorisme américain de 1978 à 1996. Ses thèses sont issues des réflexions d’auteurs tels Jacques Ellul ou Hanna Arendt, mais radicalisées à l’extrême. Très critique envers les mouvements politiques de la gauche traditionnelle (on pense au PS/EELV aujourd’hui), qu’il trouve totalement englués dans l’idéologie de la société industrielle, il veut en finir avec le soi-disant progrès technologique qui détruit la liberté humaine et conduit nécessairement à la catastrophe. Il faut donc, affirme-t-il, que la société moderne s’effondre avant le désastre ultime. Emporté par sa folle haine de la société industrielle, il choisit une lutte solitaire qu’il décrivait comme révolutionnaire. N’hésitant pas à utiliser des moyens brutaux, essentiellement les colis piégés qui firent trois morts et vingt-trois blessés. Toutefois il tentait toujours de légitimer ses actions dans des manifestes très violents en paroles. Ainsi écrit-il : « Si l’on considère la stratégie révolutionnaire... l’objectif unique et crucial demeure l’élimination de la technologie moderne et rien ne doit l’entraver. »
     Dans l’ouvrage écrit en prison L’effondrement du système technologique, il insiste sur la fragilité des systèmes techniques compliqués et il nie le fait, sans cesse rabâché par les manuels scolaires et les médias, que le progrès technique doive être considéré comme irréversible. Unabomber rappelle que les Romains n’ont laissé que des traces de leurs technologies, aqueducs, routes, égouts, chauffage, et autres prodiges de leurs fascinants ingénieurs (je rappelle à titre d’illustration de son propos que les aqueducs pouvaient courir sur plus d’une centaine de kilomètres en gardant une pente de 1 mm par mètre et en arrivant au point visé au milieu de la ville). Leurs connaissances après l’effondrement, au Ve siècle avant J.C., n’ont plus servi à rien et ce n’est que 500 ou 600 ans plus tard que l’on est reparti sur d’autres bases techniques, par exemple les moulins à eau au Moyen Age, avant de quitter cette voie pour la machine à vapeur et la technologie du feu.
Cloisonner la technique 
Unabomber défend aussi une hypothèse très intéressante en opposant ce qu’il nomme la technologie systémique et la technologie cloisonnée. Je préfère appeler la première « macro-système technique » car la notion « systémique » est un fourre-tout idéologique. L’important reste de comprendre ce que veut dire Kaczynski : les artefacts modernes sont dépendants d’un ensemble de conditions de production qui sont très éloignées de l’objet lui-même. Ce dernier est au centre d’un flux de produits qui viennent du monde entier, et d’usines qui détiennent chacune pour soi une partie du savoir et de la matière première. Unabomber donne l’exemple simple du réfrigérateur qui est branché pour fonctionner sur un ensemble industriel complexe et une source d’énergie éloignée, barrage ou centrale thermique et nucléaire. Si le système techno-industriel s’effondrait, il n’y aurait plus de réfrigération (on pourrait aussi se demander « que deviendrait l’ordinateur ? »...). Ted Kaczynski nous explique à propos du réfrigérateur qu’il était beaucoup plus simple de construire une chambre froide par l’isolation, ou de conserver les aliments autrement.
     Il oppose donc à ce macro-système industriel « la technologie cloisonnée » selon ses termes, qui représente une manière simple et efficace de produire des objets utiles. Par exemple, après l’effondrement de l’Empire romain, le talent du forgeron ne fut pas perdu, il était facile de garder la compétence sur ce plan, de même pour la roue hydraulique à la base du renouveau médiéval. Et la liberté de chacun était ainsi préservée.
     Unabomber souligne dans son ouvrage que la « big technology », comme la nomme les anglo-saxons, se voit incapable de se réformer d’elle-même car elle est entraînée par la soif de puissance. [...] les catastrophes industrielles ne sont pas l’occasion d’une remise en cause du système technique, au contraire car plus est dramatique l’événement, plus la récupération par la même technologie sera mise en valeur et les dégâts même gigantesques seront oubliés. Fukushima en est l’exemple récent le plus tragique : il accompagne le renouveau du nucléaire ! Mais va aussi dans ce sens la décision d’Obama d’autoriser les forages en eau profonde dans l’Alaska : BP a pu colmater son puits dans le Golfe du Mexique, donc la situation a finalement été maîtrisée et la technoscience a démontré son efficacité. Il en sera de même demain pour les boues rouges de Hongrie, les sables bitumeux, le gaz de schiste, et toutes les autres folies prédatrices et excavatrices qui nous attendent. Unabomber, bien avant d’autres critiques du progrès technique, nous avait avertis qu’il risquait d’en être ainsi pour toutes les autres calamités à venir, si nous ne prenions pas le problème à sa source : la question existentielle de la technique. Le mouvement de la décroissance ne peut pas se désintéresser de cet aspect technopolitique de l’avenir tel qu’il est conçu par les multinationales.

La Décroissance N°105

http://www.oragesdacier.info/2014/01/des-bombes-contre-la-societe.html

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