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Histoire et providence

Jeanne d’Arc a aujourd’hui moins de sceptiques qu’elle n’en trouva de son temps. Dès le jour où une force mystérieuse poussa cette jeune fille de dix-huit ans à quitter son père, sa mère et son village pour sauver la France, les objections ne manquèrent jamais. Jamais elles ne la découragèrent. Ceux qui crurent en elle, le peuple le premier, eurent raison contre les raisonneurs. Et ceux-là mêmes qui n’avaient pas la foi, mais qui voulaient le bien du royaume, se dirent qu’après tout les affaires étaient si bas qu’on ne risquait rien à essayer ce concours providentiel. La cause du dauphin ne pouvait plus compter que sur un miracle. Et ce miracle, la France l’attendait, car à peine Jeanne d’Arc fut-elle partie de Vaucouleurs pour se rendre auprès de Charles VII, que son nom vola de bouche en bouche et rendit courage aux assiégés d’Orléans.
Jacques BAINVILLE
* Jacques Bainville : Histoire de France, Tallandier, collection “Texto”, Paris, 2007, p. 122.
Jacques Bainville est connu pour être un penseur à l’exceptionnelle lucidité employant son intelligence lumineuse à dégager des lois, les lois de l’Histoire. Ne se laissant pas submerger par la complexité et la confusion de la matière historique, ni par les facilités d’une affectivité de type romantique qui ravit autant qu’elle aveugle, il voit les principes et les conséquences. Certes il n’ira pas jusqu’à dire, comme Hegel, que « tout ce qui est réel est rationnel et que tout ce qui est rationnel est réel », mais c’est un fait qu’avec lui l’Histoire devient lisible et matière à enseignements.
L’historiosophie bainvillienne
Il y aurait quelque danger, cependant, à réduire la discipline historique au type d’investigation bainvillien, essentiellement politique, aussi utile, fécond et pertinent soit-il. Deux grands historiens de tradition d’Action française : Pierre Gaxotte, en intégrant les grands acquis de l’École des Annales, et surtout Philippe Ariès, beaucoup plus sensible aux modalités subtiles du “temps de l’Histoire” et au peu de compréhension et de maîtrise que le politique a souvent des événements, favorisèrent, à cet égard, des progrès notables. Mais il y aurait également de l’injustice à ignorer ce qu’il peut se trouver, chez Bainville, de sensibilité et d’attention à la part d’irrationnel et de hasard que présente(nt) le(s) devenir(s) historique(s), ainsi que la conscience qui est la sienne du caractère parfois non ou peu pensable des “faits”. À preuve, ce texte de l’Histoire de France, d’une particulière profondeur.
Scepticisme et décision
Plusieurs fils en forment la trame ; il y a d’abord la vérité politique qui constitue un de ces “enseignements” dont nous avons parlé, à savoir que c’est la légitimité du Charles VII (“le roi de Bourges”, notre roi de dérision) qui, seule, pouvait sauver la France. Là, rien de plus normal, si l’on peut dire. – Ou rien de moins propre à étonner les royalistes en tout cas. Mais s’y ajoute la dimension de la “force mystérieuse” et du “miracle” qu’on eût cru réservée à Michelet, et que Bainville, d’évidence, intègre comme une donnée historique – lui le réputé sceptique…
Le scepticisme justement ! Comme pour renforcer le poids dudit possible miracle, Bainville insiste sur le manque de “foi” : le scepticisme triomphait beaucoup plus qu’”aujourd’hui”, où nous connaissons au moins la suite heureuse de l’histoire. Et la lucidité, sans nul doute, devait être du côté des “raisonneurs” – bref de ceux que l’on aurait volontiers qualifiés de “Bainville de l’époque’” ! Mais justement, Bainville ne se trouve peut-être pas là où on voudrait qu’il soit. D’abord il affirme cette vérité si importante – elle fait même presque toute notre espérance aujourd’hui… – que c’est le peuple qui eut, avec quelques rares membres de l’élite de l’époque, « raison contre les raisonneurs » (belle formule !). Et là, on se dit que Bainville, pour cause de son amour de la France – lequel amour ne saurait se réduire aux intérêts ou à la vision du monde d’une caste, étant englobant et désintéressé – est bien “du peuple”. (D’ailleurs nous sommes tous du peuple, disait Pascal.)
Surgit, en second lieu, une autre hypothèse, qui augmente la complexité du texte, en ajoutant un nouveau fil à sa trame, à savoir que, oui, Bainville aurait bel et bien pu être un de ces “raisonneurs” froids et sceptiques, mais qui, voulant tout de même le « bien du Royaume », se laissèrent aller à tenter le coup de ce « concours providentiel » – peut-être fruit de l’illusion, comme leur scepticisme ne pouvait que le leur susurrer, mais tout de même bien réel par ses effets et diablement efficace.
Qu’il faut croire raisonnablement en la Providence
Il est difficile de savoir où se situe Bainville. Seul son amour de la France, dont Maurras avait achevé de lui apprendre combien il en était débiteur, est parfaitement sûr, comme l’est également la leçon qu’il semble nous transmettre ici. Elle est qu’en politique, il faut savoir compter sur la Providence… quant bien même on n’y croirait pas tout à fait intellectuellement, ou pas toujours. Et peut-être est-ce à ceci que se laisse reconnaître un autre aspect de la légendaire lucidité de notre auteur, qui est de s’ouvrir au “mystère” et de parier sur lui. – Une lucidité qui pourrait bien faire défaut aux purs rationalistes.
Francis Venant L’Action Française 2000 du 2 août au 5 septembre 2007

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