Entretien avec le Dr. Claus-Martin Wolfschlag
Propos recueillis par Jan Ackermeier
Q.: Dr. Wolfschlag, votre travail scientifique s’est intensément penché, depuis plusieurs années déjà, sur l’extrémisme de gauche, sur lequel vous avez publié quelques ouvrages de référence qui avertissent aussi le public des dangers que représentent ces gauches hyper-activistes. Comment jaugez-vous aujourd’hui le danger représenté par cette mouvance qui s’affiche de gauche?
CMW: Le vocable de “dangerosité” est subjectif, il indique automatiquement une prise de position. Le requin représente un danger pour de nombreux petits poissons. Il n’est nullement un danger pour une grosse baleine. Dès que l’on manie le vocable de “dangerosité”, on doit se demander pour qui, et dans quelle mesure, ce danger existe. Pour les élites qui détiennent aujourd’hui le pouvoir, pour les oligarchies financières, cet “extrémisme de gauche” ne représente pas un grand danger. Ces élites au pouvoir gardent un contrôle certain sur la situation, sinon on ne financerait pas les innombrables “centres culturels” de la mouvance radicale de gauche. De même, la mansuétude de l’appareil judiciaire et des médias à son égard n’est pas vraiment inspirée par la peur que susciteraient ces petits groupes hyper-activistes. Si l’Etat le voulait vraiment, il lui suffirait de claquer des doigts et l’“extrémisme de gauche”, parfois si arrogant, disparaîtrait bien vite de la scène politique. Par conséquent, il faut bien constater que ces extrémistes de gauche sont bien utiles à l’élite en place, pour que celle-ci puisse disposer d’un instrument commode pour rapidement pouvoir museler ses seuls adversaires idéologiques réels. Or aujourd’hui les seuls adversaires réels de cette oligarchie se trouvent positionnés à droite, une droite hostile à la globalisation, hostile aux oligarchies en place parce qu’elle veut maintenir la culture traditionnelle.
Les “extrémistes de gauche” ne sont donc dangereux que pour les petites gens auxquelles on colle l’étiquette de “droite” (à tort ou à raison), surtout celles qui s’activent dans de petits partis politiques ou qui animent de petites structures éditoriales. Elles risquent à tout moment de subir des menaces ou des violences réelles ou d’être dénoncées dans les médias, d’être clouées au pilori médiatique et d’en subir toutes les conséquences sociales, de subir la délation auprès de leur employeur ou de leur voisinage. Les “extrémistes de gauche” sont, dans une perspective plus générale, dangereux pour le peuple tout entier et pour l’Etat national parce qu’ils contribuent, par leurs actions, à empêcher que se déploie des correctifs intelligents et pratiques aux dérives dangereuses du système et parce qu’ils criminalisent tous les modèles alternatifs potentiels et leur diffusion.
Q.: Dans les rapports rédigés annuellement par le “Verfassungsschutz” allemand (= la police politique qui s’affiche comme défenderesse de la “constitution”), dans les discours des médias d’Autriche et d’Allemagne, on évoque sans cesse la persistance d’un danger de “droite”, alors que la gauche activiste et violente n’est quasi jamais évoquée. Comment interprétez-vous cette situation aberrante?
CMW: Cette situation n’est aberrante que si vous partez encore et toujours du schéma qu’il existerait un “Centre” politique légitime et deux marges extrêmes qui devraient toutes deux être combattues. Il faudrait plutôt se demander pour quelles politiques et quelles valeur ce “Centre” s’engage. Où nous mène la politique des soi-disant “responsables” qui, depuis des décennies, se sont installés dans les fauteuils confortables du pouvoir? Si vous vous posez cette question, vous vous en poserez automatiquement une autre: les objectifs de ce “Centre”, de ces “forces centristes”, et de cette “mauvance hyper-activiste de gauche” ne sont-ils pas les mêmes, finalement? Le libéralisme et le communisme s’efforcent tous deux de créer sur la planète entière un seul et unique Etat global et unitaire qui, officiellement, nous apportera la paix et le bien-être mais, en réalité, nous contrôlera tous à l’extrême et exercera un pouvoir globalitaire au seul bénéfice d’une élite numériquement très ténue.
Q.: De quelles strates sociales proviennent ces hyper-activistes d’extrême-gauche, à votre avis, et, à titre de comparaison, quelle différence y a-t-il entre eux et les anciens soixante-huitards?
CMW: Aucun sondage n’a été effectué pour le déterminer, aucune statistique n’a été établie, je dois donc vous répondre en puisant dans le souvenir de mes propres observations. La plupart des activistes de l’extrême-gauche allemande sont issus de ce qu’il faut bien appeler le “prolétariat universitaire”. Généralement, il s’agit d’étudiants en sociologie et en pédagogie qui estiment constituer une sorte d’avant-garde progressiste. Quand j’effectuais mes études, j’en ai croisé un grand nombre et, aujourd’hui, beaucoup d’étudiants en sociologie, qui ne sont pas de gauche et avec qui j’entretiens des contacts, me confirment que bien peu de choses ont changé depuis lors. Certains séminaires de l’université, où s’agite ce prolétariat académique, sont de véritables bouillons de culture d’où sort l’idéologie de la gauche radicale. Le personnel enseignant est très marqué par cette idéologie et accueille dans ces séminaires de nombreux étudiants affiliés aux groupes dit “antifa”. Ils y apprennent une certaine rhétorique efficace; ils y sont bien écolés et parviennent à faire taire toutes les voix discordantes, moins bien formées, en avançant des arguments apparemment imparables ou en menaçant subtilement leurs adversaires. En fait, depuis l’ère des soixante-huitards, peu de choses ont changé. Cela fait maintenant presque cinquante ans qu’un fatras intellectuel s’est déversé sur les établissements d’enseignement, produisant une hydre à nombreuses têtes qui nous parlent d’une “société plurielle post-nationale” ou de “gender studies”, etc. Il existe toutefois une différence notable. Le niveau intellectuel a considérablement baissé. Le mouvement de 1968 se justifiait partiellement, il a constitué une rupture sociale plus ou moins nécessaire, il a fragmenté la croûte qui recouvrait encore des structures sociales vidées intérieurement, ne représentant plus rien. Aujourd’hui, cependant, nous avons affaire à une génération qui n’a jamais connu autre chose que ce fatras intellectuel, qui a été socialisée et éduquée dans le seul giron de cette idéologie dominante depuis près d’un demi-siècle. Cette génération a littéralement pompé et avalé, sans avoir les anti-corps nécessaires pour le faire, tous les préjugés, les marottes, les ritournelles et les stéréotypes de ce fatras intellectuel, sans le soumettre à la moindre critique. Or toute cette génération qui n’a pas connu véritablement d’autres pensées que celle dominante, marine forcément dans son jus et s’abrutit lentement, inexorablement.
Q.: Avez-vous constaté un accroissement de la violence exponentielle depuis quinze ou vingt ans?
CMW: Pour vous répondre, je dois faire référence aux statistiques du “Verfassungsschutz”, qui évalue les actes violents réellement commis. Dans la citadelle des “autonomes” qu’est la ville de Hambourg le nombre d’actes violents commis par les activistes d’extrême-gauche s’est accru depuis l’an 2000. La promptitude à commettre des actes violents est difficilement mesurable car elle s’estompe dans les têtes ou se concrétise dans certaines situations précises. C’est là que réside le véritable danger. La droite politique, très réduite en nombre, n’existe pour les médias et pour la perception de la plupart des citoyens, que sous la forme d’un “nazisme” imaginaire, que l’on démonise et que l’on pose comme prêt à revenir sur la scène politique allemande. Officiellement, on ne veut absolument pas faire la différence entre ce nazisme imaginaire et médiatique et les réalités sur le terrain. On ne trie jamais le bon grain de l’ivraie. Ce qui a pour conséquence que ces figures démonisées par les médias focalisent tout le potentiel d’agressivité disponible: elles sont dès lors boucs émissaires, elles servent à dériver les attentions. Nous avons en Allemagne plusieurs générations qui ont été éduquées dans une perspective soi-disant “anti-fasciste” et qui ont, dès lors, intériorisé ce schéma binaire et fantasmagorique.
Certes, l’Etat traditionnel oppose encore quelques digues. Mais, progressivement, les droits fondamentaux sont vidés de leur substance. Pour ceux que l’on considère comme “de droite” (à tort ou à raison), le droit de s’assembler, le droit à la libre expression, à l’égalité devant les tribunaux, à être protégé contre toute discrimination sont sans cesse réduits. Et l’on proclame: “Pas de liberté pour les ennemis de la liberté”. Le danger qui se pointe à l’horizon, c’est que les ressortissants de ces générations socialisées à pareille enseigne vont obtenir postes et fonctions dans l’appareil étatique et dans la magistrature: ils voudront alors utiliser le monopole étatique de la violence pour lancer “la bataille finale pour la libération”. Nous verrons alors des collégiens ou des étudiants, qui ont l’air bien nets et bien propres aujourd’hui, qui hurlent leurs paroles soi-disant “anti-racistes” dans les rues, devenir demain gardiens-en-chef de camps de concentration, briseurs d’os dans les chambres de torture ou juristes terrifiants qui nous bâtiront un avenir d’enfer. Le Malin trouve toujours de nouveaux chemins à emprunter.
(entretien paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°8/2014, http://www;zurzeit.at ).