« Comment devenir les maîtres du monde ? En centralisant l’ordre et le pouvoir autour d’une minorité et en semant le chaos dans le peuple, ramené au niveau de pantins paniqués. »
Curieusement, l’affaire de Tarnac rebondit (*). Qui se souvient de Julien Coupat et de son groupe, tous issus de la « mouvance anarcho-autonome » ? Et pourtant, dix personnes sont mises en examen depuis 2008 pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’acte terroriste ». Pourquoi ce rappel de notre part ? Tout bonnement pour situer une publication, parue en 2010, sur laquelle un de nos lecteurs a appelé notre attention. Ce petit ouvrage de 94 pages prolonge un essai politique insurrectionnel signé Comité invisible et il est attribué aux inculpés de Tarnac. Ce qui nous intéresse, ce n’est point l’aspect policier de l’affaire, mais uniquement le livre, «Gouverner par le chaos / Ingénierie sociale et mondialisation» (**), qui est imputé au groupe des prétendus terroristes. On y trouve quelques recettes qui pourraient fort bien figurer textuellement dans un manuel universitaire destiné aux futurs « maîtres du monde ».
Mais laissons notre lecteur présenter lui-même ce livre.
Polémia
« Gouverner par le chaos » émane de la mouvance d’ultragauche, ou réputée telle, il existerait, de l’autre côté de l’échiquier, des gens finalement assez proches d’un think-tank comme Polémia. C’est intéressant.
Voici quelques thèses développées dans cet opuscule.
Le chaos n’est plus l’ennemi des classes dirigeantes. Il est au contraire devenu la stratégie privilégiée du pouvoir.
Jacques Attali, ne cesse de le rappeler, que ce soit dans ses publications ou ses interventions médiatiques : la plupart des dirigeants contemporains ne poursuivent fondamentalement que deux buts, le premier étant de mettre sur pieds un gouvernement mondial ; le deuxième, afin de protéger ce gouvernement mondial de tout renversement par ses ennemis, étant de créer un système technique mondialisé de surveillance généralisée fondé sur la traçabilité totale des objets et des personnes.
Ce système global de surveillance est déjà fort avancé grâce à l’informatique (reciblage publicitaire, programme de surveillance de masse PRISM etc), à la téléphonie mobile et aux dispositifs de caméras, statiques ou embarquées dans des drones, en nombre toujours croissant dans nos villes.
Il importe au pouvoir, avant toutes choses, de détruire le lien entre le réel et la raison. Ainsi, le retour du réel étant en quelque sorte indéfiniment différé, le discours du pouvoir devient le paradigme de la pensée. Discours souvent prononcé dans cette langue médiatique étrange qui se prénomme novlangue …
L’ingénierie politico-sociale consiste ni plus ni moins que dans un travail de programmation et de conditionnement des comportements, ou plutôt de re-programmation et de re-conditionnement, puisque l’on ne part jamais d’une tabula rasa mais toujours d’une culture déjà donnée du groupe en question, avec ses propres routines et conditionnements. Les sociétés humaines, en tant que systèmes d’information, peuvent ainsi être reconfigurées dans le sens d’une harmonisation, homogénéisation, standardisation des normes et des procédures, afin de conférer à celles et ceux qui les pilotent une meilleure vue d’ensemble et un meilleur contrôle, l’idéal étant de parvenir à fusionner la multitude des groupes humains hétérogènes dans un seul groupe. La technique utilisée pour atteindre l’objectif intermédiaire de découplage entre le réel et la raison se situe au croisement de toutes les sciences de la gestion, et c’est « l’ingénierie des perceptions ».
Il s’agit de construire une « espace de vie » en trompe-l’œil, un pur virtualisme, au sein duquel la masse pourra évoluer sans jamais toucher au réel. La construction de ce vaste trompe-l’œil repose sur les techniques du cognitivisme, du behaviourisme, de la PNL (programmation neuro-linguistique), du storytelling, du social learning et du reality-building.
Pour justifier l’entreprise de surveillance universelle et la reconstruction d’un espace mental collectif modélisé, qui doivent rendre possible le déploiement d’une ingénierie des perceptions complète, le pouvoir a besoin du chaos. Le chaos financier permet de justifier la concentration du pouvoir par les grandes banques d’affaires : c’est le seul moyen de reconstruire une gestion des flux d’information au sein du système. Le 11 septembre 2001 permet de justifier le Patriot Act. Etc
Pour qu’une stratégie du choc soit efficace, pour que le chaos pousse les dominés à se réfugier dans la matrice symbolique constituée par le système de pensée des dominants, il faut que les dominés aient préalablement régressé intellectuellement.
Cette destruction des capacités d’autonomie des dominés passe par l’abolition des frontières de leur être, individuel et/ou collectif. Tant qu’une frontière existe, il est possible d’opposer un mode de pensée à un autre mode de pensée. Tant qu’une frontière existe, un principe d’incertitude, puisque d’incohérence, vient contrarier la mise en place d’une ingénierie des perceptions unifiée. C’est pourquoi il y a isomorphie parfaite, sur deux plans bien distincts de l’histoire, entre mondialisme et consumérisme régressif. Le mondialisme détruit les frontières nationales, le consumérisme régressif abolit les frontières de l’être individuel.
Il y a engendrement mutuel entre les deux conditions d’atteinte de l’objectif intermédiaire, la destruction du lien réel/raison. Ces deux conditions sont, rappelons-le, d’une part le chaos, d’autre part la régression infantile. C’est dans cet engendrement mutuel que se trouve, si l’on ose dire, le « principe actif » des nouvelles techniques de pouvoir : le gouvernement par le chaos.
Un petit extrait qui résonne étrangement en ces temps de diffusion dans les écoles de la théorie du genre ou de « lutte contre les stéréotypes » :
« Plus largement, pour désorganiser-dépolitiser un groupe et le rendre inoffensif, il suffit d’attaquer son Œdipe. Le complexe d’Œdipe est le moment où s’intériorise la structure mentale primordiale au fondement de toute vie humaine socialisée et organisée : c’est le moment où advient la capacité mentale de se représenter un organigramme, un système articulé de places différenciées. En un mot, l’aptitude à la dialectique et à la politique. Le proto-organigramme, qui sert de matrice à tous les autres, est le système pyschoculturel de distinction ET d’articulation coopérative entre les places des hommes et des femmes d’une part, des parents et des enfants, donc par extension des vieux et des jeunes, d’autre part. Attaquer l’Œdipe d’un groupe, attaquer son système de distinctions primordiales entre genres (hommes/femmes) et entre générations (parents/enfants), c’est attaquer toute sa faculté à se constituer un organigramme, donc le faire basculer dans l’impotence organisationnelle et le réduire à des individus juxtaposés, incapables de communiquer et de coopérer. Faire la promotion de l’indistinction des rôles et de l’échange des places, faire passer le désir personnel avant le respect de l’organigramme du groupe, tout cela facilite l’expression de l’individualisme pas-tout phallique et relève donc de stratégies de désorganisation. Au niveau comportemental concret, cela se traduit par une culture du spontané, de l’impulsif, du viscéral, du versatile, du flexible et de la recherche de résultats immédiats, induisant une incapacité à la concentration, à la planification et l’élaboration de stratégies sur le long terme.»
Frédéric Laye, 10/03/2014
Gouverner par le chaos – Ingénierie sociale et mondialisation , Editions Max Milo, collection Essais – Documents, 29/04/2010, 94 pages
Notes de la rédaction :
(*) Voir Le Monde du 13/03/2014 Affaire Tarnac : un policier anglais avait pour mission de surveiller Julien Coupat
(**) Gouverner par le chaos – Ingénierie sociale et mondialisation Editions Max Milo (texte intégral).
http://www.polemia.com/gouverner-par-le-chaos-ingenierie-sociale-et-mondialisation-dun-collectif-max-milo/