La guerre de 1870 et la perte de l’Alsace-Moselle qui en a découlé est le principal reproche formulé à l’égard de Napoléon III. Or, la perte des trois départements est davantage le fait de la République naissante que de l’Empereur alors prisonnier, car la perte de ces provinces fut avant tout la sanction infligée par l’Allemagne à la France pour la guerre à outrance voulue par les républicains.
I. Napoléon III et l’impératrice hostiles à la guerre
Il faut rappeler d’abord que Napoléon III, alors usé par la maladie, était hostile à la guerre et a cherché à l’éviter jusqu’au bout. Le Corps législatif l’a votée sous ses yeux catastrophés, ce même Corps législatif qui avait repoussé la loi Niel de 1867 visant à mettre l’armée française au niveau de l’armée prussienne avec un renforcement des effectifs mobilisables. Il faut rappeler aussi que c’est Bismarck qui voulait la guerre, et non la France.
La princesse de Metternich, épouse de l’ambassadeur d’Autriche en France, rapporte dans ses Mémoires l’état d’esprit de Napoléon III :
« l’empereur me parla de ses préoccupations au sujet de la guerre qui menaçait d’éclater ! L’impératrice s’en montrait tout aussi affectée, et on en a menti impudemment en prétendant qu’elle y poussait avec acharnement. Je puis affirmer que tous deux en étaient également effrayés, et qu’ils éprouvaient le plus grand et le plus ardent désir de voir ce fléau évité à leur pays. « On fera tout au monde, disait l’empereur, pour empêcher que la guerre n’éclate, je crains seulement que les esprits ne s’échauffent, et qu’on ne puisse pas endiguer le torrent d’un enthousiasme dangereux qui, s’il se répand, forcera la main au gouvernement. L’opinion publique ne se laisse guère maîtriser par le temps qui court ! » […]
« Nous allons à l’encontre d’événements d’une gravité extrême, et le meilleur serait d’éviter toute collision ! ». L’impératrice abonda dans son sens et s’écria : « Ah ! que Dieu fasse qu’il n’y ait pas de guerre, mais la paix achetée au prix du déshonneur serait un malheur égal, et la France ne s’en accommoderait pas ! ». Voilà comment l’impératrice Eugénie voulait la guerre. »(Souvenirs). (1)
II. Les républicains repoussent des propositions de paix avantageuses
Le 19 juillet, la guerre fut déclarée, puis vint les défaites successives dues à l’infériorité numérique, aux désaccords entre les généraux sur la stratégie à suivre, et à leur incompétence sur le champ de bataille.
Jules Favre.
Le 4 septembre 1870, deux jours après la capitulation de Sedan, les républicains, appuyés par la trahison de Trochu, proclamèrent la République à l’Hôtel de ville de Paris. La défaite fut une divine surprise pour les républicains comme l’avouèrent certains d’entre eux.
Voici alors ce que rapporte le baron Eugène Eschassériaux, député bonapartiste, dans ses Mémoires :
« Le gouvernement du 4 septembre voulant se maintenir à tout prix, avait résolu de ne pas faire la paix et de se lancer dans une guerre à outrance. Le moyen était de tromper le pays et de lui faire croire que la Prusse voulait continuer la guerre. […] Le refus d’armistice était un odieux mensonge sur lequel s’est appuyée toute la politique des gens du 4 septembre et dont la fausseté a été reconnue plus tard par Jules Favre lui-même ». (2)
Le 18 septembre 1870 eut lieu l’entrevue secrète de Ferrières entre Bismarck et Jules Favre. Bismarck ne demanda que la cession de la ville de Strasbourg et sa banlieue : « [La sécurité de l'Allemagne] ne peut être garantie que par une cession de territoire. Strasbourg est une menace perpétuelle contre nous. Il est la clef de notre maison et nous la voulons. » (3)
« Nous demandons l’occupation de toutes les forteresses assiégées dans les Vosges, celle de Strasbourg et la garnison de cette place prisonnière de guerre. » (4). Le républicain fit pourtant croire et publier que Bismarck réclamait déjà l’Alsace-Moselle. Jules Favre avouera lui-même son mensonge, comme on le verra par la suite. Par ailleurs, les deux dernières citations de Bismarck sont tirées des écrits de Favre lui-même. Les républicains craignaient un renversement s’ils acceptaient les conditions. « Il n’y avait qu’un moyen d’entraîner le pays, c’était de lui cacher la vérité, et de lui présenter une peinture si exagérée des exigences de la Prusse, que les cœurs se soulevassent d’indignation, et qu’il ne sortît de toutes les poitrines qu’un même cri : la guerre ! »(Paul de Cassagnac, 5).
Le 20 septembre, Favre déclara que le gouvernement ne céderait « pas un pouce de nos territoires, pas une pierre de nos forteresses ». Le Journal officiel du 22 septembre porta la déclaration mensongère aux Français, lesquels purent y lire que la Prusse réclamait l’Alsace-Lorraine.
Le 1er novembre 1870 eut lieu une nouvelle rencontre, Bismarck imposa des conditions plus dures qu’à Ferrières : l’Alsace (pas encore la Moselle) et deux milliards de francs-or, ainsi que la convocation immédiate d’une Assemblée nationale. Adolphe Thiers essaya de convaincre, en vain, le gouvernement provisoire de faire la paix, sans quoi la France risquait de subir des pertes plus dures encore, notamment la Lorraine. Le gouvernement républicain resta sourd.
Finalement, la paix ne fut signée que le 10 mai 1871, la France cédant alors l’Alsace (à l’exception de Belfort) et la Moselle, et versant une indemnité de guerre de 5 milliards de francs-or.
Quant au mensonge de Jules Favre sur l’entrevue de Ferrières, il ne fut éventé que le 17 février 1871 dans un bureau de l’Assemblée nationale. M. de Valon, député du Lot, alors secrétaire, consigna les propos de Favre. Il les divulgua le 16 juin 1871 à la Chambre. Voici ce qu’écrit le bonapartiste Paul de Cassagnac à ce propos : « Cette révélation était foudroyante. Elle apprenait tout à coup au pays qu’il avait été odieusement trompé par le gouvernement du 4 septembre ; et qu’il aurait pu conclure la paix six mois plus tôt sans céder deux provinces, et sans répandre inutilement le sang de tant de malheureux. » (6). Jules Favre donna alors à la Chambre des députés le 17 juin 1871 une autre version de l’entrevue de Ferrières (7), ce qui revenait à admettre son mensonge. Il affirma que de toute façon, qu’aucun Français n’était prêt à concéder Strasbourg aux Prussiens (!!!) …
III. Pourquoi les républicains ont menti
Bismarck ne considérait pas les républicains comme représentants légitimes de la France en 1870-1871. C’est pour cela qu’il demandait comme condition non négociable à la paix la tenue de nouvelles élections. Or, en septembre 1870, les républicains craignaient d’essuyer une large défaite (et de perdre ainsi le pouvoir) dans le cadre d’élections législatives : quatre mois auparavant, plus de sept millions de suffrages venaient encore acclamer l’Empire !
Les rapports des préfets adressés au gouvernement insurrectionnel en 1870 assuraient d’autre part que les populations rurales étaient restées fidèles à la dynastie impériale.
Le camouflet pour les républicains aux élections ne vint qu’en février 1871, quand il ne fut plus possible de repousser la paix. A défaut de bonapartistes (Gambetta les empêcha de se présenter par son arrêt du 31 janvier), ce sont les royalistes que les Français envoyèrent en masse à la Chambre des députés.
L’Empereur eut bon dos pour la perte des trois départements …
Rappelons qu’il fut favorable à la paix moyennent Strasbourg et sa banlieue.
Notes :
1. METTERNICH Pauline (von), « Je ne suis pas jolie, je suis pire ». Souvenirs. 1859-1871, Paris, Le Livre de Poche, 2010, pp. 176-177.
2. ESCHASSÉRIAUX Eugène (baron), Mémoires d’un grand notable bonapartiste, 1823-1906, présentées par François Pairault, Saintonge, Sire de Pons, 2000, p. 109.
3. FAVRE Jules, Gouvernement de la Défense nationale, tome I, Paris, Plon, 1871, p. 165.
4. Ibid., p. 183. Voir aussi page 440.
5. CASSAGNAC Paul (de), Histoire de la Troisième République, Paris, Lachaud et cie, 1876, p. 101.
6. Ibid., pp. 106-107.
7. « Assemblée nationale » (rapport des débats du 17 juin) dans Journal des débats politiques et littéraires, n° du 18 juin 1871, pp. 2-3. « Je demande quel est le Français qui au 18 septembre aurait accepté la paix en cédant Strasbourg. Strasbourg qui versait son sang, Strasbourg qui était incendiée et qui donnait l’exemple du plus patriotique courage ! » (Favre) – Consulter sur Gallica.
D’autre part, Journal officiel du 17 juin 1871 :
De Valon : « M. Jules Favre ne s’est pas contenté de nous déclarer que, contrairement à ce qui avait été mentionnné dans des documents antérieurs, la Prusse, à la date du 17 février, n’avait pas exigé la cession de l’Alsace et de la Lorraine ; il nous a dit qu’à Ferrières, c’est-à-dire le 18 septembre, il avait été question d’autre chose que de l’armistice, que le mot de paix avait été prononcé. Il nous a dit qu’à Ferrières, le 18 septembre, M. de Bismarck lui avait proposé de faire la paix, moyennant la cession de Strasbourg et de sa banlieue. »
Plusieurs membres : « Oui, oui, c’est vrai » !«