Ces franchissements de la frontière s’expliquaient par des motifs puissants. Les fugitifs fuyaient les taxations et la famine, les dettes et les châtiments. Un visiteur anglais du XVIe siècle décrivit la Moscovie comme donnant à sa « noblesse une sorte de liberté injuste de commander aux communes et à ce qu’il y a de plus inférieur dans le peuple, en les accablant d’exactions » (16), et beaucoup de paysans dans les territoires polonais de l’époque « n’avaient pas de quoi satisfaire leurs besoins les plus essentiels » (17). Avec les années, les motifs devenaient de plus en plus impérieux.
A la fin du XVIe siècle, la Moscovie donna un tour de vis aux paysans. En 1581, ils se virent dénier le droit de quitter leurs villages. La loi était applicable pour une période de cinq années seulement, dans le but d’arrêter les mouvements de population à l’époque du recensement, mais elle fut reconduite en 1590 et de nouveau en 1595 ; deux ans plus tard, tout paysan qui s’était déplacé depuis l’année 1592 du recensement reçut l’ordre de réintégrer le village qu’il avait quitté. On cherchait alors à attacher solidement le peuple aux propriétaires fonciers, et la Moscovie rivalisait avec la Pologne par la rigueur avec laquelle elle traitait sa population paysanne. Étant donné que la noblesse et les boyards s’emparaient de la plupart des terres communes, que les taxes féodales et autres redevances augmentaient, que la perception de l’impôt gagnait en efficacité, que les paysans étaient parfois obligés d’aller travailler jusqu’à cinq jours par semaine sur les terres de leur seigneur au détriment des leurs et qu’ils perdaient à jamais le droit de se séparer de leurs maîtres, l’appel du « pays sauvage » se para de toutes sortes de séductions, et le flot des fugitifs grossit au point de devenir un véritable torrent.
Une fois arrivé au « pays sauvage », un homme ne devait d’allégeance à personne et se trouvait hors d’atteinte de la loi. Alors ils accoururent : le pauvre citadin cherchant à faire fortune, le coupable pour échapper à la prison, le soldat désireux de pratiquer sa vocation militaire à son propre avantage. Et accoururent aussi le petit propriétaire foncier exproprié, le serf en fuite, le contestataire religieux, le réfugié politique.
Ils vinrent d’abord pour chasser, pour tendre des pièges aux bêtes, pour pêcher. Les prises pouvaient être fructueuses. Les animaux et les oiseaux semblaient avoir perdu toute peur de l’homme dans le pays sauvage. Des oies et des hérons, des cigognes et des cygnes survolaient les estuaires, et on pouvait se nourrir de faisans, de perdrix et d’ortolans (gibier rare). Des sangliers, des cerfs, des antilopes invitaient le chasseur. Il y avait des renards et des castors à prendre au piège et à dépouiller, des rayons de miel à découvrir, des étangs et des rivières où le poisson abondait. Mais le pays sauvage n’avait rien d’un Éden. Des serpents-fouets se dissimulaient parmi les armoises, des vipères dans les hautes herbes plumeuses. Le busard et le vautour moine planaient paresseusement à basse altitude, attendant leurs charognes, et les mystérieux tumuli funéraires, qui s’élevaient sur les plaines infinies pour marquer des champs de bataille oubliés, avertissaient des dangers soudains de la steppe. Les intrépides qui franchirent les premiers les frontières de la Moscovie et de la Lituanie pour passer en pays sauvage furent peu nombreux et vulnérables. Un homme seul ne pouvait espérer y survivre longtemps ; aussi se rassemblaient-ils en bandes pour mieux se protéger.
Imaginez-vous l’un de ces Cosaques du début du siècle. C’est un homme de 25 ans qui a des yeux gris, une barbe éparse, de longues moustaches. Il porte un anneau à son oreille gauche ; il arbore les cicatrices d’un « dur » : la plupart de ses dents de devant lui manquent, et la moitié de son petit doigt de la main gauche a été emportée. Il est né dans une famille de paysans, mais il ne se souvient absolument pas de ses parents car il a suivi un chef cosaque sur la prairie depuis son enfance (18). Voilà les hommes qui constituèrent les bandes de brigands cosaques du XVIe siècle.
En affrontant les Tatars du pays sauvage et en se mêlant à eux, ces Russes de la frontière apprirent les mœurs tatares. Ils commencèrent à employer des mots tatars comme ataman (chef), essaoul (lieutenant), yassak (tribut) et yassyr (captifs) ; des chefs de bandes adoptèrent l’étendard tatar en queue de cheval comme symbole de leur autorité (19). Ils apprirent aussi à attraper et à dresser les chevaux sauvages qui galopaient dans la steppe, dans le style tatar, avec des nœuds coulants accrochés à l’extrémité de longues perches. Ils apprirent enfin les techniques des Tatars pour le maniement des armes, leur tactique, leurs méthodes sur le terrain, leur astuce, et ils utilisèrent ces techniques pour monnayer leurs services à des marchands en voyage ou pour les dévaliser.
« Cosaquer », si l’on peut user de ce néologisme, était une occupation saisonnière. Passer l’hiver sans un toit sous des tempêtes de neige, c’était une perspective sinistre, même pour ces hommes rudes; aussi retournaient-ils chaque automne vers les villes de la frontière pour vendre leurs prises et se réapprovisionner. Il leur arrivait de dépenser les produits de leurs ventes en quelques jours de furieuse débauche après les mois durs qu’ils avaient passés dans l’isolement sur la prairie et, s’ils n’avaient plus d’argent, ils remontaient vers le nord pour trouver du travail pendant l’hiver, ce qui leur permettait d’acheter la poudre, le plomb, les vêtements et les autres choses dont ils auraient besoin pour la prochaine saison. Mais ces refuges hivernaux leur furent bientôt fermés.
Les autorités polonaises et lituaniennes resserraient en effet leur contrôle sur les villes de la frontière ukrainienne au sud qui étaient des centres pour les Cosaques saisonniers, et lorsque le Tsar, d’abord pour apaiser les Turcs et les Tatars, puis, plus sérieusement, pour couper le contact entre la paysannerie moscovite de plus en plus indocile et les Cosaques libres de la frontière, commença à leur fermer ses frontières, la possibilité d’une « cosaquerie »saisonnière toucha à sa fin. On pouvait toujours franchir clandestinement la frontière, mais on avait beaucoup plus de chances d’être coincé par les autorités. Il s’ensuivit que l’homme de la frontière n’eut plus le choix qu’entre deux solutions : ou bien se fixer sous la tutelle de la loi, parfois au risque d’être fait serf, ou bien s’enfoncer dans le pays sauvage afin de s’y bâtir une sorte de mode de vie permanent. De nombreux chefs de famille décidèrent de s’établir sur la frontière où ils devinrent des gardes et des fermiers, sujets du Tsar de Moscovie ou du roi de Pologne, à moins qu’ils ne s’en gageassent dans les armées cosaques privées que levaient des seigneurs des marches lituaniennes comme Dachkovits et Vichnevetski. Les autres, célibataires pour la plupart, partirent pour le cœur du pays sauvage afin de s’y aménager une existence indépendante.
Pendant la seconde moitié du XVIe siècle, les Cosaques constituèrent plusieurs communautés indépendantes en pays sauvage. Leurs premières habitations d’été avaient été grossières et temporaires : des abris en terre creusés dans le sol ou sur le flanc d’un des ravins qui fendaient la prairie. Ils se mirent à bâtir des structures plus confortables qu’ils utilisaient toute l’année, avec des baliveaux, des branchages et autres matériaux facilement accessibles, et qu’ils couvrirent de peaux de bêtes comme les tentes des nomades. Ils construisirent des baraquements collectifs ou groupèrent leurs demeures en villages fortifiés ; comme l’ennemi, d’ordinaire, évitait l’eau, ils essayèrent de trouver des emplacements sur des îles de rivières ou sur une haute berge, du côté oriental, d’où ils avaient vue sur l’autre rive. Ils fortifièrent du mieux qu’ils purent leurs établissements contre les maraudeurs tatars, en les entourant de fossés profonds et d’une double haie clayonnée remplie de terre ou, lorsqu’ils avaient du bois à portée, de palissades renforcées de bastions.
Comme les États féodaux en expansion d’où ils s’étaient échappés se trouvaient au nord et à l’ouest de la steppe, les Cosaques fondèrent leurs établissements vers le sud et vers l’est ; les plus anciens et les plus célèbres de ceux-ci se situèrent autour du cours inférieur du Don et du Dniepr.
Au-dessous de ses 13 cataractes traîtresses, le Dniepr dessinait d’innombrables méandres entre ses îlots et ses rives ; c’était un véritable labyrinthe liquide. Le prince Dimitri Vichnevetski, ennemi juré des Tatars qui maintenait les villes de Tcherkassk et de Kaniev dans l’obéissance féodale au roi de Pologne, avait bâti un fort sur l’une des îles avec le concours de ses mercenaires cosaques vers 1550. Mais il l’abandonna et les Tatars s’empressèrent de le démolir. Les Cosaques libres ne tardèrent pas à apprécier la valeur stratégique de cette position car les cataractes opposaient un obstacle infranchissable du côté nord et elle constituait un excellent poste de guet pour observer à l’est les mouvements tatars ; aussi aménagèrent-ils un camp sur ce site ou tout à côté. Ils l’appelèrent la Sitch zaporogue, c’est-à-dire « l’éclaircie au-delà des rapides » (20). Avec la forêt dense qui couvrait une partie de la région, avec les joncs et les roseaux qui en dissimulaient l’accès, la Sitch était une cachette idéale, un parfait repaire de brigands vrais ou faux, un fortin facile à défendre contre toute attaque.
La Sitch fut pourtant déplacée à plusieurs reprises dans la suite pour des raisons de commodité ou de sécurité.
Les premiers colons cosaques sur le Don furent sans doute les sevriouki, qui pillèrent une caravane tatare en 1549 (21). A cette date, ils avaient déjà construit trois ou quatre villages fortifiés, des stanitsy, le long du fleuve, bien au-delà de la frontière moscovite ; en 1570, il y avait 6 petites communautés cosaques de ce genre, unies sous le commandement d’un seul ataman établi à Aksaïskaya. Ce centre était probablement trop proche des Tatars d’Azov et, pour plus de sûreté, il fut transporté à soixante kilomètres en amont sur un autre site ; comme la Sitch, il devait subir ultérieurement plusieurs déplacements.
Bientôt de nouvelles communautés cosaques se fondèrent encore plus à l’est. Mais si les pirates cosaques, très actifs sur la Volga à la fin du XVIe siècle, construisirent des villages, ces derniers eurent une brève existence, car les victoires d’Ivan le Terrible sur les Tatars à Kazan et à Astrakhan un peu après 1570 avaient amené les soldats moscovites sur la Volga, ce qui rendait précaire la sécurité d’un établissement de brigands cosaques. La plupart des Cosaques de la Volga passaient l’hiver sur le Don, se dirigeaient vers les monts du Caucase au sud et s’installaient à côté du Terek (22), ou allaient plus à l’est vers le Yaïk. Des communautés cosaques furent fondées sur ces deux rivières vers 1600.
Le pays sauvage n’était pas fait pour la vie de famille, et les premiers Cosaques n’amenèrent pas de femmes avec eux ; mais ils supportaient mal cette privation et, chaque fois que l’occasion s’en présentait, ils y remédiaient en volant à leurs voisins tatars des filles aux yeux obliques ; les premiers Romains n’avaient pas fait autre chose en procédant à l’enlèvement des Sabines. Une histoire apocryphe relate comment une bande de Cosaques du Don effectua un long voyage vers le Yaïk, où ils tombèrent par hasard sur un petit groupe de Tatars qu’ils massacrèrent et sur une femme tatare solitaire qu’ils ramenèrent triomphalement à leur ataman (23). Les captives servaient d’esclaves dans les maisons communes ainsi que de concubines, mais elles étaient encore peu nombreuses et en 1605, si l’on en croit la tradition, les Cosaques du Yaïk montèrent une expédition de grande envergure pour se procurer des femmes dans la cité de Khiva à l’autre extrémité de la steppe ; le khan et son armée s’étaient absentés lorsqu’ils arrivèrent, et les Cosaques profitèrent de l’aubaine pour emporter un grand nombre de femmes et un butin considérable ; malheureusement pour eux, le khan les rattrapa sur leur route du retour, et quatre seulement d’entre eux en réchappèrent. Mais il s’en faut de beaucoup que toutes ces expéditions se soient soldées par des échecs.
Lorsque s’élargit la colonisation cosaque et que la sécurité s’accrut, des immigrants de Russie arrivèrent avec leurs épouses, et les sexes finirent par atteindre un certain état d’équilibre ; mais pendant des siècles à venir, de nombreux groupes de Cosaques se trouvèrent en relations de voisinage plus étroites avec les tribus locales qu’avec la Russie, ce qui les conduisit à adopter des femmes étrangères tout comme ils adoptaient des coutumes étrangères. Les Cosaques du Terek supérieur nouèrent au XVIIIe siècle des liens matrimoniaux avec des peuplades voisines. Des Cosaques du Yaïk et d’Orenbourg prirent fréquemment pour épouses des femmes du Nogaï, et les Cosaques du Kamtchatka « enlevaient les filles du cru » et se les partageaient comme concubines, mais en général ils les épousaient quand elles leur donnaient des enfants. Au XXe siècle, le teint basané et la plus petite taille des Cosaques du Don méridional, contrastant avec la haute stature et la blondeur de leurs camarades du Don supérieur, révélaient que leurs ancêtres s’étaient souvent unis par mariage avec des femmes tatares ou turques.
Il est impossible d’évaluer exactement les dimensions des premiers établissements cosaques. Les fluctuations de leur population furent sans doute importantes, en raison de la mortalité consécutive aux combats contre les Tatars et du taux irrégulier de l’immigration en provenance de la Moscovie et de la Pologne. Les membres permanents de la Sitch zaporogue, le seul établissement cosaque d’où les femmes étaient exclues, ne furent jamais plus de 3.000 avant le XVIIe siècle, bien que de nombreux autres Cosaques de l’Ukraine se joignissent volontiers à eux lorsqu’une razzia laissait espérer des profits (24). Ailleurs, l’accroissement naturel fut négligeable au moins jusqu’au XVIIe siècle, mais le rythme se modifia avec le développement progressif de la vie familiale. En 1614, il devait y avoir 6.500 Cosaques guerriers du Don et, au cours du demi-siècle suivant, leur nombre s’était élevé à 10.000 ; ils vivaient dans une cinquantaine de villages au bord du fleuve (25). Ils constituaient cependant un petit groupe, mais les communautés du Yaïk et du Terek étaient encore plus faibles. Tout de même on dénombra, en 1776, 60.000 Cosaques du Don, 10.000 Cosaques du Yaïk et près de 3.000 Cosaques du Terek aptes à porter les armes. Si l’on tient compte des femmes et des enfants, on peut avancer que ces trois communautés avaient une population supérieure à 300.000 âmes (26), alors que la population totale de la Russie se chiffrait à 22 millions d’habitants.
Les premiers colons cosaques vécurent surtout de la pêche et des combats. L’exploitation agricole était incompatible avec l’existence en pays sauvage. Un homme pouvait travailler à défricher une parcelle de terrain, labourer, semer et récolter, puis il voyait les fruits de son labeur incendiés ou emportés par les Tatars, les Kalmouks ou d’autres pillards nomades. Une fois que le danger s’était éloigné, les Cosaques ne se sentaient guère d’humeur à reprendre la charrue. Dans leur esprit, l’agriculture était synonyme d’esclavage. Les colons indépendants savaient que partout où les Cosaques étaient devenus des fermiers — notamment en Ukraine — ils étaient rapidement tombés sous la coupe des seigneurs. Nombre d’entre eux avaient pour ancêtres des paysans fugitifs, et un flot constant de nouveaux arrivants leur rappelait la tyrannie que subissait quiconque s’était attaché à la terre. Des immigrants affamés dans le Don, au XVIIe siècle, furent finalement obligés de devenir agriculteurs pour pouvoir se nourrir, mais même dans ce cas l’opinion des Cosaques établis leur était défavorable, et les chefs du Don ordonnèrent que fût « battu à mort »quiconque « commencerait à labourer et à semer ». Ceux qui voulaient labourer n’avaient qu’à « retourner là d’où ils venaient », car des pratiques aussi serviles et si peu militaires « apporteraient honte et déshonneur aux atamans et aux Cosaques » de toute la communauté du Don (27). Ce fut seulement vers la fin du XVIIe siècle que l’agriculture fut acceptée en tant que travail respectable pour un Cosaque du Don, et elle ne joua pas de rôle important dans la vie des Cosaques du Yaïk avant le XVIIIe siècle (28). L’exploitation des terres arables était en général la dernière occupation à laquelle se résignaient les Cosaques.
Bien que l’élevage encourût moins de critiques, il connut des débuts difficiles à cause des raids des pillards. Si l’on avait besoin d’un cheval, il était tellement plus simple d’en voler un aux nomades que de l’élever ! Mais la passion du cheval fit au XVIIIe siècle de nombreux adeptes, notamment au bord du Don, et les Cosaques zaporogues comme ceux du Yaïk finirent par pratiquer sur une grande échelle l’élevage du mouton dans les pâturages riverains.
C’est le poisson qui constitua l’aliment essentiel des Cosaques, ainsi que la principale source de leurs revenus dans les premières années de leur existence. De temps à autre ils pouvaient manger de la viande, du pain de seigle quand il y avait du grain pour le confectionner, mais presque toujours c’était du poisson, frais ou fumé. Au XIXe siècle encore, les Cosaques du Kouban se nourrissaient surtout de poissons séchés ou salés, et la pêche demeura la principale industrie des Cosaques du Yaïk jusque vers 1760 (29). Elle était aussi très importante sur le Don et, si la glace d’hiver sur le fleuve était trop épaisse, comme cela se produisit en 1640-1641, la diminution des prises avait des conséquences fatales pour de nombreux Cosaques qui mouraient de faim (30).
Pour les premiers pêcheurs cosaques, les rivières étaient pratiquement vierges. Même le Terek, où les tribus Tchétchènes etkoumyk avaient pêché avant eux, recelait dans ses eaux des harengs géants, des carpes, des barbeaux, des saumons ; trois espèces d’esturgeons, des sterlets, des carpes et un nombre incroyable d’autres poissons demeuraient tapis dans les rivières et les lacs du Don, et l’on retira du Yak des esturgeons géants qui mesuraient dix mètres de long et pesaient 200 kilos. Les pêcheurs peuvent être enclins à l’exagération, mais un ambassadeur d’Angleterre au XVIIe nous garantit que des Cosaques zaporogues prirent dans le Dniepr des bélougas « longs de trois brasses, dont l’un pouvait à peine être porté par 30 hommes » (31).
La pêche prit progressivement le caractère d’une industrie organisée, en particulier sur le Yaïk où un ataman spécial supervisait trois grandes expéditions par an. En janvier et février, il prenait la tête d’une caravane de traîneaux portant des Cosaques bien emmitouflés contre le froid. Chaque jour, il délimitait des étendues de la rivière réservées à des équipes de quatre ou cinq hommes qui se mettaient aussitôt au travail, c’est-à-dire qu’ils creusaient des trous dans la glace et hissaient sur la rive leurs énormes prises qui se débattaient. Au printemps, l’ataman de la pêche dirigeait une campagne de trois mois : cette fois, les Cosaques partaient à bord d’embarcations, éperonnaient des esturgeons avec leurs lances, attrapaient des sterlets ; des glanes, des carpes, des brochets, des perches, des brèmes, des chevesnes et d’autres poissons dans leurs filets. Ils prenaient beaucoup plus qu’ils n’en pouvaient consommer et, pendant l’été, ils se mettaient en route avec des charrettes en direction de lacs lointains où ils allaient chercher les énormes quantités de sel qu’il leur fallait pour conserver le surplus. Enfin, en automne, il y avait une saison libre de 3 à 6 semaines, pendant laquelle les Cosaques sortaient par embarcations accouplées pour utiliser des seines pouvant atteindre trois cents mètres de long (32).
À suivre