Il a un petit air de chien battu, Benoît Hamon. Et avec une bonne tête de moins que Vincent Peillon, ce Brestois socialiste tendance Montebourg, qui a fait ses premières armes à la tête de l'Economie sociale et solidaire, affiche une insignifiance qui suscite les jugements rapides : après l'idéologue, voici le technocrate chargé de lisser les dossiers, calmer les esprits, et pourquoi pas enterrer les réformes trop radicales. À croire qu'il a suffi de rimer avec Peillon pour qu'Hamon se voie confier les clefs de la rue de Grenelle. Serait-ce l'annonce d'une gestion plus terre à terre ?
Benoît Hamon est arrivé à la tête de l'un des ministères les plus importants de tout gouvernement socialiste, l’Éducation nationale, le 2 avril dernier. Choix en apparence étrange puisqu'il n'a aucune compétence particulière dans le domaine de l'enseignement, n'ayant derrière lui, à 46 ans, qu'une
longue carrière de militant socialiste professionnel. Et des cours de « professeur associé » à Paris Vm depuis 2009. Son CV le montre certes intéressé dès le départ par la question éducative : à 19 ans, il descendait dans les rues pour dénoncer le projet de loi Devaquet - la « sélection » à l'entrée des universités. On retrouve chez le nouveau patron de l’« EducNat » les poncifs qui gouvernaient alors la contestation estudiantine et lycéenne : c'est son souci maintes fois réaffirmé de lutter contre les « inégalités sociales ».
Patron... si tant est que l'on soit jamais patron de ce ministère. À la lourdeur commune à toutes les administrations, compliquée par son surdimensionnement - avec un effectif d'un million, l’Éducation nationale se range parmi les dix plus gros employeurs du monde -, s'ajoute une continuité qu'assure une armée d'inspecteurs, de spécialistes des sciences de l'éducation et autres tenants d'une idéologie qui sait l'importance de « tenir » la culture. Les ministres passent ; la mainmise demeure.
Un itinéraire tout tracé
Cependant certains ministres laissent leur marque, lorsqu'ils sont capables d'imprimer une nouvelle dynamique à l'œuvre commune, laïque et républicaine. C'est le cas de Vincent Peillon, pour qui la République est un absolu et la laïcité une table de la loi que l'on enseignera, tel un catéchisme, pour mieux servir ce dieu exigeant et exclusif qui cherche à chasser le vrai Dieu des cœurs et des esprits. Lorsqu'il ira, selon toute probabilité, se reposer de son travail de sape au Parlement européen - où Benoît Hamon siège d'ailleurs déjà - ce sera avec un riche bilan d'action dont les effets se déploieront dans les années à venir. Il n'y a plus désormais qu'à tenir le gouvernail - à bâbord toute. Vu l'orientation, Benoît Hamon n'a plus qu'à se laisser porter par le courant.
Lors de la passation de pouvoir, Vincent Peillon l'avait dit clairement : « Nous travaillons, nous le savons ici, dans la longue durée. » En remerciant les fonctionnaires qu'il a côtoyés rue de Grenelle, le chantre de la Foi laïque de Ferdinand Buisson l'a rappelé : « Vous n'êtes pas là pour occuper un emploi, mais vous êtes là parce que précisément vous partagez ces valeurs : l'idée que l'école, au cœur de la République, est celle qui peut assurer - elle le fait depuis deux siècles, elle doit le refaire à nouveau - la promesse républicaine. »
Rythmes scolaires
Voilà le programme imposé à Benoît Hamon. Sans doute est-il chargé de vider de sa substance la réforme des rythmes scolaires qui a rendu son prédécesseur impopulaire auprès des parents, des enseignants et surtout des communes confrontées aux casse-têtes d'organisation et de financement qu'elle crée.
Cela a été l'un de ses premiers chantiers : assouplir le système, permettre aux communes d'organiser l'enseignement de manière plus « expérimentale ». Le décret a paru le 8 mai. C'est donc ce que les médias ont retenu prioritairement de l'entrée en fonctions de Benoît Hamon. Mais on passe ainsi à côté de l'essentiel. À côté de constats justes, tels la plus grande réceptivité et la plus grande capacité d'attention le matin qui ont dicté le retour au travail cinq matinées par semaine - que des écoles hors contrat, justement, ont pris en compte depuis longtemps - la réforme du temps scolaire est avant tout un moyen de confier plus longtemps et de manière plus contrôlée les enfants à l'école de la République. Même si ici ou là le diable porte pierre : on a vu des communes passer des accords avec des patronages catholiques pour pouvoir honorer leur obligation de proposer des activités non scolaires...
Formatage continu
C'est dans le même esprit que Benoît Hamon ne changera rien au projet socialiste de scolariser les tout-petits dès deux ans : aberration sur le plan humain, pédagogique, social, c'est un sûr moyen de formater les jeunes dès le berceau, ou quasi. Rien de nouveau sous le soleil cependant : Xavier Darcos, du temps de Luc Ferry, parlait déjà de la nécessité de permettre aux enfants de s'affranchir de leurs traditions familiales.
Mais le plus important de l'héritage Peillon est ailleurs. Il est dans la mise en œuvre de la loi de Refondation de l'école, entrée en vigueur l'an dernier, avec sa « morale laïque », son insistance sur les « valeurs républicaines », la « laïcité », l'« éducation numérique » (ou comment maintenir dans le virtuel des enfants qui y sont déjà trop plongés, corps et âme), l'« éducation à la santé » et le « dépistage psychologique » obligatoire à différentes étapes de la scolarité.
Benoît Hamon n'aura plus qu'à marcher aupas de ses troupes, au service d'une stratégie quise peaufine depuis des décennies.
Agathe Basset monde & vie 21 mai 2014