Fiume, 22 septembre 1919 - Ce soir, à sept heures, dans son palais, Gabriele d’Annunzio nous a remis, à mon ami Tudesq et à moi - seuls journalistes entrés dans Fiume -, le texte du message ci-joint, afin que par nos soins, a-t-il dit, « ce message soit porté au peuple français ». Il a déposé ensuite, entre mes mains, le destinant uniquement à l’Excelsior, l’autographe de ce manifeste. (Albert Londres).
Au Peuple français,
“Frères de France, vous savez ce que nous avons fait, sous l’inspiration et la protection de notre Dieu.
La plus italienne des villes d’Italie, aujourd’hui plus italienne que Vérone ou Pise ou Pérouse ou toute autre commune insigne, était perdue pour nous, sous la menace de toutes les profanations et de toutes les violations.
J’étais malade dans mon lit. Je me suis levé pour répondre à l’appel. Les forces ne m’ont pas abandonné. Moi et mes compagnons, nous avons tous obéi à l’esprit et, par lui, nous avons surmonté tout empêchement et toute misère.
L’esprit a accompli le prodige. En quelques heures, sans coup férir, je me suis emparé de la ville, du territoire, des navires et d’une partie de la ligne d’armistice. Les soldats envoyés contre moi avec les armes passent de mon coté avec les armes. La contagion, l’ardeur et de la générosité est soudaine. Fiume n’est qu’une forge d’héroïsme, comme jadis le mont Grappa. Les héros viennent respirer ici l’élément même de leurs âmes. Les blessés, les mutilés, les aveugles accourent pour offrir tout ce qui leur reste. Tous les combattants sans reproche sont attirés par ce feu qui jamais ne faiblit. Les cicatrices flamboient. Le drapeau est hissé à la cime de la volonté humaine et surhumaine de souffrir, de lutter, de résister.
Frères de France, tout ce que je dis est attesté par tous ceux qui ont vu et entendu.
On connaît désormais la passion de Fiume. Il y a des confesseurs et des martyrs. Toute démonstration et toute récrimination seraient aujourd’hui inopportunes et vaines.
Je suis décidé à tenir et à défendre la ville jusqu’au bout, avec toutes les armes. Nous sommes prêts à mourir de faim dans ses rues, à nous ensevelir sous ses ruines, à brûler dans ses maisons incendiées, à nous moquer de toutes les menaces et à braver en riant les morts les plus cruelles.
A cette condition - les bons combattants fiançais le savent, à leur gloire-, on est invincible. D’autres, après moi, vont bondir.
Ceux qui pendant des années et des années de tristesse ont suspendu des couronnes en deuil aux statues des villes esclaves, peuvent-ils nous blâmer, nous condamner ?
Frères de France, je ne vous demande pas que vous ralliiez à notre cause qui est la plus belle du monde.
Le combattant qui se dévoua ardemment à la vôtre en août 1914, le même qui ne s’éloigna de l’Ile-de-France que pour aller prêcher la guerre en mai 1915, le même qui survola le front de l’Aisne en septembre 1918, celui-là même vous salue sans espoir ni crainte, du haut de la ville assiégée”. (22 septembre 1919, Gabriele d’Annunzio)
Extrait de l’Equipée de Gabriele d’Annunzio, Albert Londres, Arléa poche, 2010.
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