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Le monde selon Karl Marx

Sociologue, philosophe, historien et journaliste, Karl Marx se considérait d’abord comme un économiste lors de l’écriture du Capital (1867-1894), son œuvre la plus marquante bien qu’inachevée. Bourgeois allemand, contemporain des « jeunes hégéliens », du Printemps des peuples, du socialisme utopique et de la Commune de Paris, il est l’auteur de Sur la Question Juive (1844), de Les Luttes de classes en France (1850), Contribution à la critique de l’économie politique (1859), Critique du programme de Gotha (1875).

Penseur prolifique, ayant étudié l’Allemagne et la France, sa trajectoire intellectuelle est sans l’ombre d’un doute l’une de celle ayant le plus influencé l’humanité. Hâtivement, il est associé aujourd’hui au communisme totalitaire soviétique, chinois ou encore chilien, trois pays qui ne furent pas en proie à l’industrialisation. Cependant, aurait-t-il cédé à l’idolâtrie d’un régime se réclamant de lui ? L’anticonformiste, le libre-penseur qu’il fut laisse supposer qu’il ne se serait pas laisser aller à un tel exercice. Étudions ensemble, avec sincérité, la lutte idéologique anti-capitaliste de Karl Marx, puis dans quelle mesure nous pouvons en partie la faire notre.

Le rejet du profit

Karl Marx est d’abord l’homme qui s’inscrivit dans l’opposition au socialisme utopique. Proudhon fut le père de Philosophie de la misère, à qui Marx répliqua par Misère de la philosophie. Ayant rompu avec Hegel, pour qui il n’y a pas de réalités mais seulement des représentations, il affirme à l’inverse : c’est la réalité qui précède l’idée. Proche de Engels, il est hostile aux socialistes bourgeois qui ne remettent pas en cause la question essentielle à ses yeux, la question matérielle, qui est celle de la propriété. En réalité, pour lui, ils ne font que se donner bonne conscience en prônant l’idéal, sans jamais remettre en cause l’existence du système capitaliste.

Aussi, Marx parle non pas de vol – l’ouvrier étant payé la plupart du temps à la hauteur de sa tâche sur le marché du travail –, mais d’exploitation : la force de travail crée plus de marchandises qu’elle n’en a, supplément que le patronat obtient sous forme de plus-value, fruit du sur-travail effectué. En résumé, une marchandise doit son prix à ses matières premières et au salaire de l’ouvrier qui a travaillé dessus, mais aussi au capitaliste qui s’accapare ainsi le travail d’autrui. Ce prélèvement lui apparaît des plus illégitimes. Marx est ainsi dans la lignée de « l’opposition aux économistes sur la base de la théorie Ricardienne ».

Mais précisément, comment concevoir une activité économique dans laquelle nul n’a d’intérêt à fonder une entreprise ? Au nom de quoi diriger une production si celle-ci ne rapporte pas ? Il nous semble que le problème est d’avantage celui de l’augmentation démesurée et assassine de la plus-value. Non de l’existence du marché lui-même.

Marx, tombant contre son gré dans l’utopisme qu’il dénonçait, conçut une société égalitaire où chacun travaillerait selon ses besoins. Mais comme l’a montré brillamment Raymond Aron dans son monument Les Étapes de la pensée sociologiques, dans tout système économique, une organisation de la production est nécessaire. Les marxistes énumèrent le modèle esclavagiste, servile, capitaliste et asiatique. Ce dernier étant hyper-centralisé, la propriété est dans une seule main. À l’aube de l’URSS, Lénine a craint avec raison que l’on ne se dirige vers celui-ci plutôt que vers le communisme idéalisé par Marx. On ne s’est donc pas dirigé en terre communiste – comme il l’avait prophétisé – vers la mort de l’État, mais vers sa toute puissance. Vers une dictature bureaucratique au nom des travailleurs. Au contraire, l’ultra-libéralisme tend peu à peu à nier les États. Là est le paradoxe de toute la pensée marxiste. Sa « fin de l’Histoire » n’a pas lieu.

L’État et la religion

Le mérite de l’intellectuel allemand fut d’observer, froidement, matériellement, les rapports de force entre les entités sociales. En sa typologie, l’État et la religion font partie de la superstructure qui légitime la structure capitaliste, autrement dit la propriété et la répartition des revenus. Voyons à présent en quoi pareille vision nous semble faussée. À ce niveau là, notre analyse est totalement discordante.

Concernant l’État, il est au contraire un contrepoids majeur contre le capitalisme sauvage. Celui-ci abouti, il ne connaît ni frontières ni lois. Il marche de ville en ville tel Gargantua cherchant sur le globe les travailleurs les plus pauvres pour assouvir ses « besoins ». Le sans-frontiérisme, le mal de ce XXIe siècle, est bel et bien la consécration de la victoire du capitalisme. Aujourd’hui, l’ogre ne s’appuie pas sur l’État, bien au contraire. il le démantèle car il entrave un profit augmenté (quasiment) sans limite. Il dépouille les nations de perspectives économiques sans aucun scrupule. Il est désormais prêt à l’assigner en justice, bafouant de fait la volonté du peuple (voir TTCA). Le patronat internationaliste ne connaît ni patrie ni compromission, il ne se concentre que sur le travail abstrait, quantifiable. Qu’il soit effectué ici ou là-bas, par l’un ou par l’autre, cela lui est égal. Et à la limite, ce qu’on y produit lui est tout aussi égal. L’État permet dans une économie de marché de défendre les intérêts d’une population. Louons Jean Jaurès pour avoir affirmé : « la nation est le seul bien des pauvres. » Il est une réponse à opposer à ce fanatisme du libre-échange dérégulé.

Venons en à la religion. L’« opium du peuple » serait l’allié objectif du Grand Capital en endormant fatalement les consciences. Il prône l’« émancipation humaine universelle ». À ceux qui avancent une telle chose, on se doit de répondre que la foi libère. Elle tisse le lien entre soi et autrui, entre soi et les anciens. Elle libère des passions égoïstes, de la dictature des plaisirs, offre d’autres aspirations que la simple avidité et l’amour monomaniaque de la toute dernière marchandise à la mode. Si c’est un « opium », c’est un opium salvateur. Sans un père, un être supérieur, on se laisse aller au grand n’importe quoi, au grand bonheur du capitalisme. On doit regretter a contrario le « désenchantement du monde », tel que l’a nommé Max Weber. La religion est un culte de la vie face à la pulsion de mort qu’incarne le capitalisme, préférant le travail mort sur le travail vivant. En particulier, l’éthique chrétienne a lutté pendant ses années de prospérité contre la pratique de l’intérêt outrancier et a organisé une politique sociale d’aide aux plus démunis.

C’est pour cela que seuls les Juifs au Moyen Âge possédaient les banques, leur éthique ne s’y opposant pas. Mais celle-ci juge blasphématoire la substitution de Dieu par l’argent, bien que l’argent soit un moyen d’adorer Dieu. Le Talmud contient le soucis du juste prix. Pour le protestantisme, il a pour fonction sociale le maintien de circuit court et la pratique de la charité, bien que quelque peu démagogique. Autant dire que la religion œuvre en faveur de tous les délaissés de la société : elle ne saurait abandonner ses fidèles en un système inique. La logique capitaliste l’attaque, n’ayant aucune notion du sacré : elle défigure peu à peu les paysages traditionnels, jusqu’à l’uniformisation, prend en charge l’ensemble de la vie, de la conception aux sacrements. Jusqu’à créer des villes-mondes, un modèle universel niant les spécificités des peuples. Reprenons ainsi la plainte du regretté Bernanos : « Je plains ceux qui ne sentent pas jusqu’à l’angoisse, jusqu’à la sensation du désespoir, la solitude croissante de leur race. L’activité bestiale dont l’Amérique nous fournit le modèle, et qui tend déjà si grossièrement à uniformiser les mœurs, aura pour conséquence dernière de tenir chaque génération en haleine au point de rendre impossible toute espèce de tradition. » Une espèce d’homme sans convictions qui régale le capitalisme.

« D’où parles-tu ? »

Vindicte marxiste, ôtant l’objectivité supposée du contradicteur, elle peut servir à démontrer que celui-ci a un intérêt à défendre une pensée. Confronté à des économistes libéraux – qu’il nommait « économistes vulgaires » – avocats des grands patrons, prônant la possibilité de baisse des salaires, en un mot d’avantage de flexibilité, il mit en avant leur hypocrisie. Les Mill, Malthus, Say et autres ne posaient jamais la question essentielle de la « répartition des revenus », ou du moins n’y répondaient jamais en mettant en avant le mécanisme réel de la formation d’inégalités sociales. Ils disaient des choses sans démonstrations valables, comme par exemple : « toute offre crée sa propre demande » (loi de Say), qui a pour postulat que l’épargne est un choix, celui de consommer à l’avenir. Tout phénomène de surproduction générale serait impossible. Mais justement, Marx et plus tard Keynes ont souligné la fausseté de cette formule. Elle se base sur une mauvaise conception de la monnaie, uniquement comme valeur d’échange et non tout aussi comme réserve de valeur, le troisième élément de la définition aristotélicienne. La monnaie peut être gardée pour elle-même, car elle est un instrument de pouvoir, pouvoir d’achat que l’on distingue du vouloir d’achat. Nous ne sommes pas à notre ère exempts de pareilles erreurs de perspectives.

Par les temps qui courent, ne peut-on pas développer un raisonnement analogue concernant ces mêmes « économistes » à qui l’on ouvre de nombreux plateaux et journaux pour vanter l’euro ou pour déclarer que l’on doit travailler plus pour payer la dette, concernant les artistes qui déplorent le vote populaire qui ne leur correspond pas, concernant les journalistes qui écrivent en reprenant l’idéologie du système qui les emploie ? Ils sont ces gens qui vantent la diversité tout en mettant leurs enfants dans les écoles les plus ethniquement et culturellement homogènes, qui profitent de la préférence nationale mais crient à la bête noire quand on discute de la pratiquer en faveur des petites gens, qui vantent l’euro mais qui sont à l’abri de la totalité de ses conséquences, achetant à foison durant les voyages. Ils parlent au nom de la mondialisation rose, bienheureuse, qu’une portion de la population connaît par ses privilèges.

Si la dichotomie bourgeois/prolétaire de la pensée marxiste et son déterminisme mérite nuances, la vision de classe est une bonne arme pour dénoncer l’hypocrisie des plus grands moralistes de notre ère.

L’armée de réserve

Autre concept qui nous semble pertinent est celui d’armée de réserve du capitalisme. La surpopulation satisfait l’intérêt de la bourgeoisie, car cela lui permet de maintenir des salaires plus faibles, se garantissant une demande forte constante. Ainsi les salaires ne grandissent pas ou peu alors que la productivité grimpe. Pour toujours plus d’aliénation au travail en outre.

Le capitalisme, afin de réviser les salaires par le bas, utilise l’immigration, le travail féminin et (anciennement ?) les enfants pour utiliser la concurrence en défaveur du prolétaire. Dans la mesure où Marx combattait le capitalisme, il souhaitait abattre ce processus. Comme nous actons la non-destruction du capitalisme, nous voulons l’atrophier et faire avec ses lois : nous pensons notamment qu’il relève du délire absolu d’accueillir l’immigration des Trente Glorieuses en période de creux économique, et d’ouvrir les frontières économiques qui permettent de quérir une armée toujours plus grande pour le grand Capital, qui a au fond un certain intérêt à la crise.

Conclusion

Le parti communiste d’aujourd’hui a remplacé l’ouvrier par l’immigré en œuvrant toujours contre l’assimilation. Georges Marchais ne s’adonnait pas à pareil exercice lorsqu’il en avait la direction (jusqu’en 1994), lui qui a défendu les travailleurs en vitupérant contre l’immigration et le non-respect de la laïcité. Par ailleurs, on peut douter que Marx aurait apprécié le statut de l’Islam en France – bien qu’il s’agisse d’une religion à valeur universaliste et ne connaissant pas la papauté – lui qui s’est plaint jadis de l’« opium du peuple ».

On songe qu’il a fait erreur en pensant la fin de l’Histoire, mais reconnaissons le fin critique qu’il fut de l’impérialisme capitaliste. Si les nouveaux communistes ont délaissé le peuple, celui-ci les délaisse en faveur d’un certain étatisme républicain. La révolution à produire, l’économie de marché étant un mal nécessaire, s’apparente bien plus à la réaction en marche. On réclame une sécurité que seul l’État qu’on a démantelé peut nous fournir. Au nom des concepts tels l’intérêt de classe et l’armée de réserve, nous ne fermons ainsi pas nos portes à Marx.

Anthony La Rocca

http://www.lebreviairedespatriotes.fr/10/06/2014/economie/le-monde-selon-karl-marx/

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