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Les dérives du traitement de l’émotion populaire par la Loi

Le non lieu prononcé fin mai 2014 dans l’affaire du naufrage du Bugaled Breizh, exacerbe les tensions.  Après dix années de procédure, les circonstances de la disparition des cinq membres d’équipage du chalutier breton restent une énigme. Mais ce qui provoque l’étonnement, c’est le combat  porté par  l’association «SOS Bugaled Breizh » créée par Jacques Losay en novembre 2013. En effet au-delà du soutien aux proches des marins disparus, l’objectif est « de promouvoir la réforme de nos Constitutions en vue d’assurer une meilleure protection des citoyens dans les procès impliquant des agents des forces armées ou de l’Administration… » . Et cette demande a trouvé un écho auprès de la sénatrice Leila Aichi  qui précise qu’une réflexion sur la levée « du secret défense » doit être engagée. Pour elle, « la transparence doit aujourd’hui prévaloir sur la raison d’Etat » avec par exemple la mise en place d’une responsabilité sans faute de l’Etat.
Comment peut-on passer d’un accident de pêche, aussi terrible soit il, à une demande de réforme de nos constitutions et institutions ? Ce n’est pas la première fois que cela se produit. Cette affaire illustre parfaitement une tendance apparue depuis une vingtaine d’années qui veut qu’à chaque drame médiatisé, une réponse législative est proposée suivant le modèle : « un drame, une Loi ». Après le Bugaled Breizh, nous verrons que trois autres exemples permettent de mieux comprendre ce type de mécanique.  

 

La polémique sur le naufrage du chalutier Bugaled Breizh
Dès le 16 janvier 2004, lendemain du naufrage du Bugaled Breizh, la Préfecture maritime de l’atlantique indique qu’un exercice sous marin de l’Otan est en cours, mais qu’il a débuté le matin même, donc un jour après la perte du chalutier. De plus aucun des sous marins en plongée et participant n’était à moins de 60 kms du lieu du drame, ce que confirmeront les cartes fournies par les différentes autorités maritimes sollicitées. Le « Bureau Enquêtes après Accident de Mer » (organisme public) ouvre une enquête dès le 17 janvier et une inspection sous marine de l’épave est diligentée le 18 janvier. La thèse d’une collision avec le porte-containeurs Seattle Trader est alors présentée comme la plus probable par les juges d’instruction  nommés et le secrétaire d’Etat aux transports et à la mer, M Dominique Bussereau. Tout semble donc avoir été mis en œuvre très rapidement afin de comprendre les circonstances du naufrage. Six mois plus tard la piste duporte-containeurs, à laquelle les familles n’ont pas vraiment cru, se révèle fausse. Dès lors, l’affaire va prendre une tournure désastreuse. Des journalistes révèlentque le jour du naufrage et dans sa zone se déroulait, comme chaque semaine, un  «Thursday War », exercice britannique de sous marins. Les autorités françaises sont accusées par les familles d’avoir tu cette information capitale et de refuser de communiquer les journaux de bords des sous marins, alors même qu’elles se sont engagées à collaborer. Dans le milieu des marins, dès le départ,  la thèse d’un accrochage avec un sous marin apparait comme la plus vraisemblable. Entre 1987 et 1991, le ministère de la défense a répertorié quatre accrochages entre chalutiers et sous marins français, onze depuis 1971. Pourtant le BEA mer conclut en novembre 2006 à un accident de pêche dû à « une croche molle ». L’exaspération et les soupçons grandissent chez les familles des marins, tandis que l’Ifremer réfute cette théorie en décembre 2007 et que les juges concluent, contre l’avis du Parquet,  que la croche avec un sous marin est « l’hypothèse la plus sérieuse en l’état du dossier ».  Les médias se sont emparés de l’affaire et pointent, y compris dans un livre (« Le Bugaled Breizh : secrets d’états autour d’un naufrage », de Laurent Richard et Sébastien Turay), les incohérences du dossier, laissant planer la théorie du complot. Certains, comme le journaliste Daniel Schneidermann fustige la manière dont JT et télévisions ont soutenu « les délires de persécution des familles ». Pourtant  l’émoi des familles, relayé par l’écrivain Yann Queffelec, gagne progressivement la classe politique alertée sur ce combat pour la vérité du faible contre le fort. En cause, la « Grande Muette » et le ministère des Armées qui s’abriteraient derrière la séparation des pouvoirs et le « secret défense » y compris étranger pour justifier leurs réserves quant au dossier. La résistance s’organise avec des projections régulières,  notamment au Sénat, du film « The Silent Killer » réalisé par Jacques Losay, le beau père du fils de l’un des marins naufragés, Georges Lemetayer. Le Ministre des Armées, M Le Drian est plusieurs fois interpellépar des députés et sénateurs. Il faudra attendre août 2013 pour qu’une clarificationsoit faite par son ministère révélant que les journaux de bords des sous marins nucléaires français ont été donnés aux juges d’instruction dès novembre 2005. Les avocats des familles qui les réclamaient depuis plusieurs années ne le savaient pas et la seconde équipe de juges d’instruction ignorait leur présence dans le volumineux dossier.  Incompréhension mutuelle qu’une simple communication aurait pu éviter ? Mais il est trop tard pour gommer l’impression de mépris  produit par le mutisme des autorités, d’autant plus que la procureure, Brigitte Lamy, relayant les conclusions de deux nouvelles expertises écarte l’hypothèse d’une croche avec un sous marin, a fortiori avec le sous marin britannique suspecté, le Turbulent. Les familles sont dès lors persuadées que la révélation de la vérité est entravée par «  le secret défense » et le souci diplomatique d’épargner notre allié.  Face aux menaces de clôture de l’instruction qui ressurgissent, Jacques Losay crée en juin 2013 le site officiel du Bugaled Breizh, puis en novembre 2013  l’association « SOS Bugaled Breizh ». Au-delà du soutien aux proches des marins disparus, l’objectif est « de promouvoir la réforme de nos Constitutions en vue d’assurer une meilleure protection des citoyens dans les procès impliquant des agents des forces armées ou de l’Administration… » . Et la demande, relayée par la sénatrice Leila Aichi, d’une réflexion sur la levée « du secret défense » et la mise en place d’une responsabilité sans faute de l’Etat a officiellement été exprimée lorsque M Le Drian a reçu les familles en mars 2014. La députée Annick Le Loch à l’initiative de cette rencontre, retient la clarté de  l’action du Ministre et sa volonté que la lumière soit faite.

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