Un texte publié initialement en 2012 sur le site Polémia, vient d'être, à la faveur de la coupure estivale, remis en ligne opportunément à la fin du mois de juillet. Sous le titre « Ecologie : la peste verte ? », son auteur, Michel Geoffroy, lance de nombreux anathèmes qu'il nous a paru intéressant de relever tant ils nous semblent cruciaux dans le cadre d'un projet de société future.
Disons le tout de suite, nous n'adhérons en rien à l'image bien souvent caricaturale que l'auteur dresse de l'écologie. L'écologie radicale ne peut être confondue avec les slogans et les fanfaronnades des « écotartuffes », pour reprendre la belle formule du mensuel La Décroissance. Europe-écologie-les-verts et consorts plaident pour un capitalisme vert, oxymore génial. Notre écologie tient de la sacralité de la nature, comme aimait à la définir Dominique Venner, sacralité que les générations précédentes respectaient et oubliée depuis (1). La question qui se pose à nous désormais se résume dans la place que l'Homme se doit de trouver au sein d'un cosmos qu'il ne peut, et ne doit pas, dominer.
Le texte de Michel Geoffroy s'inscrit dans la ligne idéologique de cette droite ultra libérale qui ne voit en l'écologie qu'une barrière à commercer librement, à vivre égoïstement sans contrainte d'aucune sorte (2). C'est le fameux contrat social axé sur le tout liberté. Nous pensons qu'il se trompe d'époque et de combat. Pire, ce sont précisément ces raisonnements qui nous conduisent lentement vers l'abysse depuis des décennies.
Car l'ennemi principal de nos sociétés sur-modernes aujourd'hui n'est pas l'écologie mais « la mondialisation, stade suprême de l'expansion du capital » (3) et dans lequel les états ne sont devenus que de « simples assistants de l'économie globale », des fonctionnaires de firmes transnationales. Jean-Claude Michéa a très bien expliqué la nature profondément révolutionnaire du développement capitaliste et à quel point il a changé la face du monde (4). C'est désormais un phénomène total qui touche tous les secteurs de la vie publique comme privée. Il faut garder à l'esprit que l'essence du capitalisme trouve son expression dans l'accumulation de marchandises non utiles et uniquement destinées à être vendues. C'est la baisse tendancielle de la valeur d'usage qu'avait défini Guy Debord en son temps.
L'accumulation illimitée du capital se définit également sous le terme de croissance. Ce phénomène repose sur un ancrage anthropologique : l'homo économicus, où l'Homme se voit mué en consommateur illimité, dicté par ses seules envies. L'accession au crédit et la manipulation publicitaire incitent à penser qu'il existe une forme de bonheur par la marchandise. Bonheur insatiable, qu'il convient sans cesse de renouveler. Ainsi, nous entrevoyons aujourd'hui le triomphe absolu de la liberté individuelle (celle là même défendue par Michel Geoffroy), avec tous ses excès, et dans lequel le marché « devient le seul lieu de socialisation » reconnu (5).
C'est un système intrinsèquement fondé sur la démesure qui ne connaît plus aucune limite dans aucun domaine. Pour reprendre les termes de Serge Latouche, nous vivons au sein d'une société phagocytée par l'économie de croissance.
La métaphysique du progrès, dont l'idée maîtresse était que le développement devait apporter le bonheur à l'humanité, a failli. Pire, la croissance comme bienfait et espérance, s'estompe de notre horizon économique. D'après les chiffres récents de l'office européen des statistiques (Eurostat), la zone euro à vu son PIB stagner au 2e trimestre après avoir progressé seulement de 0,2% au 1er trimestre. En France, la croissance est restée à zéro au T2, l'Allemagne a subi un brutal coup de frein au T2 en reculant de 0,2%6. L'Italie est retombée en récession au 2e trimestre avec un PIB se repliant de 0,2%. L'austérité est désormais ce qui attend nos sociétés industrielles addictes à une croissance qui n'est plus là.
Parallèlement, le tout-économie que nous connaissons depuis des décennies se heurte aux limites de la finitude de la biosphère. La capacité régénératrice de la terre n'arrive plus à suivre la demande (7).
C'est ce que Michel Geoffroy semble ne pas comprendre, prisonnier d'une idéologie productiviste profondément mortifère.
Bernard Charbonneau avait reconnu cette idéologie de droite en ce qu'elle estime comme secondaire les conséquences du progrès et du délire quantitatif de la société de croissance.
A l'instar de Serge Latouche, nous pensons qu'une croissance infinie est incompatible avec un monde fini, et qu'il est plus que temps de penser à modifier nos manières de produire et de consommer sous peine de nous heurter très vite à l'iceberg écologique (J.C Michéa).
Dominique Venner, dans son ouvrage posthume, avait tenu à marquer son adhésion à l'école de pensée de la décroissance. « L'une des questions cruciales de l'avenir sera celle de l'arrêt de la croissance, et mieux encore celle d'une décroissance », écrivait-il (8).
Michel Geoffroy nous assène tous les poncifs réactionnaires récurrents de ce qu'il croit être l'écologie : l'opposition au nucléaire, l'opposition au gaz de schiste (9), et surtout la réduction de la liberté de circulation automobile, « inventée par les européens justement pour faciliter les déplacements ». C'est oublier un peu vite que la mobilité fut en France le premier impératif catégorique de l'ordre économique durant les années cinquante/soixante, comme le rappelle Jean-Claude Michéa, et que l'automobile facilita le concept de l'Homme disponible qu'elle a contribué à déraciner (10). L'hypermobilité ne sert que l'intérêt du capital.
Les « grandes opérations d'aménagement » citées par l'auteur de La peste verte ne sont rien d'autres que des écrans de fumée visant un dissimuler une inactivité chronique du secteur « travaux publics ». Elles n'ont pour but que d'occuper artificiellement des salariés sur de grands projets inutiles et destructeurs de l'environnement. L'exemple du chantier pharaonique de la Ligne à Grande Vitesse Bretagne-Pays de la Loire est symptomatique d'un saccage inutile : 182 kilomètres de lignes nouvelles, 32 kilomètres de raccordement, 2 bases de travaux 2700 hectares d'emprise, pour gagner seulement 37 minutes entre Paris et Rennes ! Les voyageurs pressés sauront apprécier !
Quant aux affirmations « écologie devenue argument publicitaire », elles rejoignent ce que nous dénoncions en ouverture : ce fameux capitalisme vert mis en avant par les « écologistes » du système, adeptes d'un développement durable et d'un écotourisme qui n'ont « pour fonction que de maintenir les profits et d'éviter le changement des habitudes en modifiant, à peine, le cap » (11). Il va sans dire que l'écologie radicale ne se reconnaît pas dans ces mystifications en phase avec l'anthropologie consumériste.
Il est plus qu'intéressant de noter que Michel Geoffroy parle de l'écologie comme d'une religion, « inaccessible à la raison scientifique » précise t-il. Si religion il y a, c'est bien celle de l'économie, du progrès et du développement. Les thèses transhumanistes qui font discrètement leur apparition ces dernières années sont là pour nous le prouver.
L'écologie n'est pas une fin en soi, comme certains voudraient le faire croire, mais l'aboutissement logique d'une critique du développement. Depuis le rapport du Club de Rome de 1972, nous savons que le développement n'est ni souhaitable ni soutenable. La publication de The Limits to growth ou « rapport Meadows », préparé par une équipe de scientifiques du Massachusetts Institute of Technology, affirme que le système planétaire va s’effondrer sous la pression de la croissance démographique et industrielle, à moins que l’humanité ne décide délibérément de stabiliser sa population et sa production.
Il est à noter que cette année, le 19 août 2014 marque la date à laquelle l'humanité a épuisé le budget écologique annuel de la planète. Chaque année, le jour de dépassement intervient de plus en plus tôt. Ce jour était tombé le 21 octobre en 1993 et le 22 septembre en 2003 (12). Chaque jour qui passe nous rapproche un peu plus du mur.
Le texte de Michel Geoffroy est à l'image d'une droite qui ne comprend pas les mutations qui sont en train de s'opérer au sein de nos sociétés sur-modernes. Les Trente Glorieuses sont derrière nous (et c'est tant mieux compte tenu de leurs effets dévastateurs irrémédiables sur le patrimoine et l'environnement). La croissance s'essouffle et le poids environnemental de notre mode de vie est sans équivalent sur la biosphère.
La vision défendue par Michel Geoffroy d'une « décadence européenne » au sein « du grand hôpital qu'est devenu l'occident » est une vision fantasmée, aveugle et irraisonnée d'un modèle qui n'a plus cours. C'est la France de Giscard d'il y a quarante ans.
Tous les régimes politiques modernes ont été productivistes, y compris le modèle soviétique qui ne fut rien d'autre qu'un capitalisme d'état axé sur le développement de l'industrie lourde.
Il nous faut inventer de nouveaux paradigmes en vue d'élaborer une troisième voie qui devra passer par une sortie du capitalisme, destructeur des cultures au nom d'une folle homogénéité planétaire.
L'objectif sera de retisser du lien social et de construire une société à dimension humaine, conviviale, autonome et économe, dans le respect de la tradition.
Il y a urgence. Car plus nous nous hâterons « et plus il restera de chances pour que le processus de sortie progressive du capitalisme ressemble à un atterrissage en douceur » nous avertit Jean-Claude Michéa.
Guillaume Le Carbonel
1) Dominique Venner, Un samouraï d'occident, Pierre Guillaume de Roux, 2013, p.66
2) Il nous suffira de relever quelques expression pour s'en convaincre : « La liberté d'initiative des Européens », augmentation de « réglementations et de normes », « difficulté croissante d'entreprendre et de conduire de grandes opérations d'aménagement » etc ...
3) Alain de Benoist, in Eléments N°150 janvier-mars 2014, p.46
4) Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche, Climat, 2013
5) Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche, Climat, 2013
6) Libération, édition du 14 août 2014
7) Serge Latouche, Petit traité de la décroissance sereine, Mille et Une Nuits, 2007, p.42
8) Dominique Venner, Un samouraï d'occident, Pierre Guillaume de Roux, 2013, p.63
9) Des chercheurs du laboratoire national Lawrence-Berkeley et de l'université du Pacifique (Californie) viennent d'alerter les Etats sur la toxicité de certains additifs utilisés lors de la fracturation hydraulique, notamment les produits biocides qui visent à tuer les bactéries. Le Monde, édition du 14 août 2014. Rappelons qu'il y a quelques mois, l'institut américain des sciences de la santé environnementale avait estimé qu'il y avait « des preuves de risques potentiels pour la santé publique dus au développement du gaz de schiste », Le Monde, édition du 17 avril 2014.
10) Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche, Climat, 2013
11) Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Le Seuil, 2007, cité par Serge Latouche, Petit traité de la décroissance sereine, p.26
12) Rapport de l'organisation Global Footprint Network, AFP du 19.08.2014