Dans son essai remarquable et qui a secoué l’oligarchie parce qu’il y défend le peuple avec insolence et brio contre une gauche cynique et désemparée, Éric Zemmour donne du déclin et du suicide français une percutante analyse dans les domaines métapolitiques et culturels. Son diagnostic est d’une lucidité impeccable,sauf sur un point majeur : il incrimine comme une des causes de la décadence le libéralisme, le consumérisme individualiste, la société marchande, la mondialisation économique…. Bref, l’argent, le capitalisme, la fonction marchande etc. seraient sources d’occultation de la nation et de son histoire. Cette position, qui fut aussi longtemps la mienne, doit être sérieusement amendée. D’autre part, sur son analyse de Mai 68, E. Zemmour néglige certains points. Voici pourquoi. En dix arguments.
1) Cette erreur de jugement a été partagée aux Etats-Unis en leur temps par Christopher Lasch et Thorstein Veblen, acerbes critiques du consumérisme et de la marchandisation de la société. Elle est au fond d’origine épistémologique marxiste (Diamat, ”matérialisme dialectique”, dogme central marxiste) : l’économie serait l’infrastructure des comportements culturels. Ce qui est faux, c’est l’inverse. En réalité, le déclin des valeurs d’identité ethno-nationale, familiales, éducatives, etc. n’est pas corrélé à un régime économique ni à un niveau matériel de vie ; mais à un socle idéologique et culturel qui joue comme une infection virale à long terme. L’infrastructure des sociétés est mentale et non pas matérielle et économique.
2) Mai 68 qui a joué comme un accélérateur de tendances plus anciennes fut, certes, un mouvement libertaire, mais pas du tout ”libéral”. Je l’ai vécu de l’intérieur, je peux en parler. L’idéologie dominante de Mai 68 était néo-marxiste, adepte de l’École de Francfort, violemment anti-capitaliste, anti-marchande, anti entrepreneurs privés, pseudo prolétarienne, maoïste, léniniste et trotskiste dans ses fondamentaux culturels. Les deux piliers idéologiques de Mai 68 étaient : a) internationalisme et cosmopolitisme à tendances libertaires ”sociétales” et égalitaristes anti-sélectives ; b) idéologie socio-économique néo-marxiste avec modèle communiste dominant.
3) La France d’aujourd’hui est bien l’héritière de ces deux piliers de Mai 68 : a) cosmopolitisme déraciné ; b) socialisme étatisé avec puissantes corporations protégées. Le ”suicide français” provient du mélange des deux. Le ”bobo” (bourgeois bohème) est à la fois urbain cosmopolite déraciné libertaire et fonctionnarisé, apparatchik, privilégié. Le soixante-huitard n’a pas majoritairement, contrairement aux clichés, donné lieu à la figure du ”faiseur d’argent”, du money maker, mais plutôt à celle du petit bourgeois fonctionnaire de gauche, attaché à ses privilèges et adepte des idées de Terra Nova.
4) C’est une plaisanterie que de prétendre que la France est un pays rongé par le libéralisme et le capitalisme marchand. Zemmour est tenté par cette analyse. Tout au contraire, nous vivons dans un système économique socialisé et étatisé où plus de 50% de la richesse est accaparé et redistribué (mal) par un système bureaucratique qui détient le record de l’OCDE de la faiblesse du secteur marchand. Le déclin français ne provient pas du capitalisme (anémique) ou du consumérisme individualiste débridé, mais, au contraire, de l’égalitarisme, du réglementarisme, du fiscalisme, de la fuite des entrepreneurs, de la sclérose de l’État Providence pachydermique.
5) L’égalitarisme anti-sélectif qui ronge la société française, de l’Éducation nationale à la législation économique (discriminations positives, etc), est totalement incompatible avec toutes les valeurs du capitalisme libéral (je préférerais le terme ”entrepreneurial”) fondé sur les valeurs de méritocratie sélective, de hiérarchie naturelle, de compétition, de circulation des élites. Donc, de ”darwinisme social”, ce concept abhorré par tous les héritiers de Mai 68. On est loin des idées de Schumpeter.
6) La ”société marchande”, la ”marchandisation du monde ” (ou des rapports sociaux) sont des concepts intellectualistes hors sol. Ils ne correspondent à aucune réalité dans une société française fondée sur l’assistanat et les privilèges corporatistes ; non pas sur la recherche de l’enrichissement et du profit individuels, lourdement punis. Dans l’histoire comme sur la planète d’aujourd’hui, des sociétés et des États ont cultivé les valeurs marchandes sans oublier les autres. Et sans nullement entrer en décadence, comme nous. Diaboliser la performance économique, financière et marchande relève de l’hypocrisie.
7) L’esprit de Mai 68, égalitariste et néo-marxiste, déteste l’idée de concurrence, qui est, à l’inverse, le pilier de la vision ”libérale” de la société. Cette détestation produit un anti-élitisme, ou plus exactement l’instauration d’une oligarchie incompétente, sélectionnée selon des critères qui ne sont plus la réussite objective ou la méritocratie mais le système des castes, des communautés et des corporations privilégiées. Sans oublier une vision égalitariste et contre productive de la ”justice sociale” qui fait, par exemple, supprimer les bourses au mérite au profit des bourses de classe – et d’origine.
8) Les maux que dénonce avec justesse Éric Zemmour, comme l’immigration-colonisation incontrôlée, le laxisme judiciaire et policier face à la criminalité, l’abandon de l’enseignement de l’identité française (et européenne), l’idéologie androgyne du ”genre” et les délires du féminisme anti féminin, le torpillage de la famille, la xénophilie de l’idéologie dominante, l’oubli de la nation au profit d’une vision idéologique de la ”république”, etc. proviennent exclusivement d’un virus culturel et métapolitique. Une infection mentale qui n’a rien à voir avec le libéralisme, le capitalisme, le mondialisme, le consumérisme, etc.
9) Cette infection mentale, ce virus idéologique découlent en réalité de l’influence de l’École de Francfort néo-marxiste sur l’idéologie de Mai 68, actuellement au pouvoir (W.Reich, Th.Adorno, W. Benjamin, etc.) ainsi que de l’influence de la French Theoryde la ”déconstruction”, elle aussi néo-marxiste : Althusser, Lacan, Foucault, Deleuze, Derrida, etc. Sartre et Beauvoir, compagnons de route du communisme, doivent aussi être cités. (1) Tout ce bourgeoisisme marxisé est la racine du suicide français, ou plutôt de la tentative de meurtre de la France par une idéologie minoritaire mais despotique. Cette guérilla culturelle fut autrement plus meurtrière que les manœuvres des banquiers mythiques à gros cigares.
10) Ce que déteste cette planète idéologique, qui a objectivement pris le pouvoir sur les esprits de l’oligarchie, c’est la notion d’identité française et européenne et donc tout ce qui fonde son ordre naturel social, familial, sexuel. Elle est animée par une sorte de post-trotskisme qui vise, avec haine, à détruire (”déconstruire”) l’idée de nation et ses fondements. Sans s’embarrasser de la terrifiante contradiction de son soutien objectif à l’islam dans nos murs, qui ne partage pourtant pas ses valeurs. Mais peu importe : le but obsessionnel de l’idéologie à l’œuvre dans le ”suicide français”, c’est (ethnomasochisme) la fin de nos traditions, de nos cultures et de notre civilisation. ”Du passé faisons table rase…afin que nous n’ayons plus d’avenir.”
Conclusion
Les idées mènent le monde plus que les infrastructures économiques. Ce qui a provoqué la maladie, ce ne sont pas, comme le suggère Zemmour, le libéralisme, la société marchande, l’individualisme consumériste, l’argent, les banques, la finance, le capitalisme, les spéculateurs (qu’il faut se garder d’encenser, évidemment) mais plutôt cette conjonction dramatique : un virus mental et idéologique qui atteint le cerveau de la France (le gauchisme) et une paralysie nerveuse et musculaire (le socialisme) qui atteint son corps. La guérison, nécessairement révolutionnaire, devra donc porter sur ces deux aspects.
(1) Simone de Beauvoir fut une des inspiratrices de la ”gender theory”. Son ami, J-P Sartre, devenu marxiste au moment de Mai 68, exemple même du pseudo-philosophe oublié, a commencé sa carrière à Paris, comme auteur dramatique, sous l’occupation allemande, sans se signaler par sa ”résistance“.
Guillaume Faye
Source : le blog de Guillaume Faye.