Le premier accident nucléaire de l’histoire s’est produit ici, le 29 septembre 1957, à Mayak, dans l’Oural. A la suite d’une panne du système de refroidissement, des déchets hautement radioactifs conservés dans des cuves se sont échauffés. L’évaporation de différents composés a provoqué une puissante explosion chimique – et non nucléaire – d’une énergie équivalente à 75 tonnes de « TNT ». La déflagration a projeté des produits radioactifs à plus de 1 000 m d’altitude et dispersé des radioéléments dans la nature. Combien ?L’équivalent de la moitié de ce qu’a craché Tchernobyl. Au total, 81,4x10(16) becquerels sont relâchés. Au moins 200 personnes succombent à l’explosion, 23 villages (10 000 personnes) sont évacués et 470 000 personnes sont exposées aux radiations. Le panache de particules s’étale sur 1 000 km², mais en retombant, celles-ci ont contaminé 30 000 km² de territoire. En certains points, la radioactivité atteint encore 14,8x10(13) Bq au km², là où la norme devrait se situer entre 0 et 1000. Au cours des années 1960, de nombreux employés du site sont morts des suites de leur exposition aux rayonnements ionisants.
Les services de renseignement américains ont eu vent de l’explosion très tôt. Après avoir détecté une radioactivité anormale, ils ont envoyé un avion espion qui a été abattu sans autre forme de procès. Qu’il s’agisse de l’accident nucléaire ou de l’avion, les Américains n’ont pipé mot. Ces événements, quoique malheureux, ne devaient pas contrecarrer le développement naissant du nucléaire dans le monde. En connaître les dangers aurait probablement retardé l’éveil de l’industrie civile. Le site est donc resté secret pour le commun des mortels jusqu’à la fin des années 1980.
Après des années de recherche en Union soviétique, Jaurès Medvedev, un scientifique dissident, s’installe en Angleterre en 1973. « A l’époque, j’ignorais que les experts occidentaux n’avaient pas connaissance du désastre de Mayak », nous a-t-il confié lors de notre visite à Londres en 2008. En 1976, il publie dans le New Scientist un article sur la recherche en Union soviétique, dans lequel il mentionne l’explosion. Tollé dans le landernau nucléaire. Des experts de Grande-Bretagne, des Etats-Unis, de France démentent son récit. Sir John Hill, alors président de l’Autorité de l’énergie atomique de Grande-Bretagne (United Kingdom Atomic Energy Authority) qualifie même les allégations de Medvedev de « bêtises », « d’une invention de son imagination », dans un article du Times. Medvedev ne se démonte pas. Il épluche alors toutes les publications de ses confrères soviétiques et reconstitue, par déduction, la chronologie des événements, les travaux de nettoyage effectués, et tente d’évaluer les doses reçues par les liquidateurs. Personne ne peut confirmer ou infirmer ses estimations. « Vous ne savez pas, je ne sais pas, eux seuls savent. » D’après lui, les prisonniers du goulag nucléaire ont participé à la liquidation de l’accident. Comme à Tchernobyl, il a fallu enfouir les maisons de certains villages, décaper le sol, c’est-à-dire retourner la couche supérieure de terre pour éviter les cultures sur un sol contaminé, bref, effectuer les basses besognes. « Seulement, il n’existe pas de liste de liquidateurs, ni de cahiers consignant les doses qu’ils ont reçues », précise Medvedev. Impossible dans ces conditions de faire le bilan exact de la catastrophe.
Laure Noualhat, Déchets. Le cauchemar du nucléaire