Le nombre de musulmans étrangers ayant émigré vers l’État islamique est estimé à plusieurs dizaines de milliers. Les recrues viennent de France, du Royaume-Uni, deBelgique, d’Allemagne, de Hollande, d’Autriche, d’Indonésie, des États-Unis et de bien d’autres pays. Beaucoup sont venus pour combattre, et beaucoup entendent y mourir.
Par Graeme Wood
Peter R Neumann, professeur au King’s College de Londres, m’a affirmé que les discussions en ligne jouent un rôle essentiel pour la diffusion de la propagande et pour s’assurer que les nouveaux venus savent ce qu’il faut croire.
Le recrutement par internet a également contribué à élargir la démographie de la communauté djihadiste, en permettant à des musulmanes conservatrices -ne quittant pas leur domicile- d’entrer en contact avec des recruteurs, de se radicaliser et d’organiser leur voyage en Syrie. Grâce à ces appels vers les deux sexes, l’État islamique espère construire une société à part entière.
Au mois de novembre, je me suis rendu en Australie pour rencontrer Musa Cerantonio, un homme âgé d’une trentaine d’années que Neumann et d’autres chercheurs avaient identifié comme une des deux plus importantes “autorités spirituelles” pour ce qui est d’inciter les étrangers à rejoindre l’État islamique.
Il y 3 ans, il était télévangéliste au Caire sur Iqraa TV, il a quitté la chaîne lorsque celle-ci lui a reproché ses fréquents appels à établir un califat. Il prêche désormais sur Twitter et sur Facebook.
Cerantonio – un grand gaillard avenant aux allures d’intello – m’a affirmé pâlir à la vue des vidéos de décapitation. Il déteste les scènes de violence, même si le soutien à l’État islamique exige de les endurer. (Il se prononce contre les attentats suicides, à contre-courant des autres djihadistes, au motif que Dieu interdit le suicide; il se différencie également de l’État islamique sur d’autres points).
Les cheveux en bataille à la manière de certains fans hirsutes du Seigneur des Anneaux, son obsession pour la fin des temps islamiques apparaît coutumière. Il semble surgir tout droit d’un drame qui, vue de l’extérieur, ressemble à un roman médiéval fantastique, mais où le sang coule pour de vrai.
En juin dernier, Cerantonio et sa femme ont essayé d’émigrer – il n’a pas voulu dire où (“il est illégal d’aller en Syrie“, dit-il prudemment) – mais ils ont été interceptés aux Philippines, puis son visa ayant expiré il a été reconduit en Australie. L’Australie a criminalisé le fait de vouloir rejoindre l’État islamique et il lui a confisqué son passeport.
Il est coincé à Melbourne, où il est bien connu des services de police locaux. Si Cerantonio se faisait prendre à aider des individus dans leur voyage vers l’État Islamique, il serait emprisonné. Toutefois, jusque là, il est libre – un idéologue sans affiliation technique, qui s’exprime néanmoins et dont l’opinion sur les sujets doctrinaux relatifs à l’État islamique font référence auprès des autres djihadistes.
Nous nous sommes retrouvés pour un déjeuner, à Footscray, une banlieue dense et multiculturelle de Melbourne comme le décrit le guide de voyage Lonely Planet. Cerantonio a grandi ici, dans une famille irlando-calabraise. Des rues typiques où on trouve des restaurants africains, des boutiques vietnamiennes et où de jeunes arabes vont et viennent en tenue de salafiste, la barbe étroite, la chemise longue et le pantalon sur les mollets.
Cerantonio m’a relaté toute la joie qu’il a ressentie lorsque Baghdadi a été déclaré calife le 29 juin et la soudaine attirance que la Mésopotamie a dès lors exercé sur lui et ses amis. “J’étais dans un hôtel [aux Philippines], j’ai suivi la déclaration à la télévision, j’étais vraiment épaté, à me demander pourquoi j’étais coincé ici dans cette p**** de chambre ?“.
Le dernier califat remonte à l’empire Ottoman qui a atteint son apogée au XVIe siècle avant de connaître un long déclin, jusque à ce que Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République de Turquie ne lui porte le coup de grâce en 1924.