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Racines jacobines des crimes turcs


Traditionnellement, et même désormais légalement en France, la journée du 24 avril commémore le massacre génocidaire des Arméniens en 1915. Mais on pourrait commencer par évoquer le centenaire d'un événement dont découla ce crime de masse. 

Ce que les historiens considèrent comme la seconde étape de la révolution jeune-turque se déroula, en effet, le 24 avril 1909. Et elle fut accompagnée d'un début d'extermination oubliée, visant les chrétiens de Cilicie et qui fit 30 000 victimes. Les événements troubles de cet épisode virent d'abord une tentative du dernier [véritable] sultan de ressaisir le pouvoir qui lui avait été ôté l'année précédente. 

L'année 1876, 30 ans auparavant, avait été marquée par une crise dynastique. Le sultan Abdül-Aziz avait été destitué (30 mai) puis assassiné (4 juin). Un intermède donna le pouvoir au malheureux réformateur Mourad V. Il sera destitué comme dément le 31 août, au profit de son frère Abdül-Hamid II. Solennellement enfin le 13 décembre, la Constitution avait été adoptée. Elle était préparée depuis 1847 par une concertation entre représentant des chrétiens et des musulmans des différentes provinces. Aboutissant au programme de l'ottomanisme, elle accordait l'égalité politique aux sujets de l'Empire des différentes religions. Leur égalité avait instituée au plan civil par le rescrit impérial de 1856. règne ne fonctionna que deux ans. En 1877 le vizir libéral Midhat pacha était chassé par le sultan. En 1878 la constitution était suspendue.

En août 1908, le fameux "renard rouge" Abdül-Hamid II avait fait mine d'accepter le retour à un gouvernement constitutionnel et à des élections libres. Or, celles-ci avaient donné au parti jeune-turc une majorité dont il allait abuser. 

La petite organisation militaire, elle aussi opposée à l'ottomanisme qui prit le pouvoir en 1908-1909 était dirigée par 3 hommes, Enver Pacha, Talaat Pacha et Djemal Pacha (1). Elle avait été fondée à Paris le 14 juillet 1889 en l'honneur du centenaire de la Révolution française. Elle avait été organisée sous le nom de comité Union et Progrès, mais, comme le grand orient de France sous la forme et l'apparence rituelle d'une loge maçonnique (2). Elle ne comptait guère, 20 ans plus tard, en 1908 que 300 membres. Mais par comparaison avec les autres "partis" concurrents, ceux-ci ne faisaient figure que de petites coteries surtout actives à Constantinople.

Or le malheur des Turcs, et de leurs victimes, aura été, il y a exactement un siècle, après une dernière année de règne ambigu d'Abdül-Hamid II, la victoire de ces habiles révolutionnaires. Ils admiraient la révolution jacobine française. Leur chef Enver pacha devint alors ce 24 avril 1909 le maître véritable du pouvoir. Un nouveau sultan, le fantoche Rechad Effendi allait régner nominalement sous le nom de Mehmed V jusqu'à sa mort en juillet 1918. Le grand vizir, et le parti de l'Union libérale, en même temps que les alliés de l'Ancien régime furent peu à peu éliminés, au fur et à mesure des désastres rencontrés lors des deux guerres italo-turque de 1911-1912 puis balkaniques de 1912-1913 qui avaient pratiquement mis un terme à la présence turque en Europe.

En France, on se gargarise de la francophilie du parti Union et Progrès "Ittihad". En fait ils admiraient les germes du futur totalitarisme moderniste, et laïciste, dont, à l'époque, Paris symbolisait, annonçait le modèle. Et, sous les gouvernements radicaux-socialistes, la bienveillante Ville Lumière offrait aussi un foyer pour toutes sortes de révolutionnaires. Rappelons-nous qu'en 1917, quand Lénine revient d'exil, à la gare de Petrograd on l'accueille au chant de La Marseillaise, alors qu'il se propose de trahir l'alliance franco-russe. Ce que ces gens considèrent de la France ne tient aucun compte de l'identité, ni même de la culture de celle-ci, mais de sa référence idéologique. On doit cependant noter que les socialistes allemands, les "socialistes du Kaiser" avaient pris fort honorablement le relais. À partir de 1913, ayant définitivement éliminé les libéraux constitutionnalistes représentés par le grand vizir, ils se rapprocheront des Empires centraux dont ils deviendront les alliés pendant la première guerre mondiale. Leur défaite militaire de 1918 conduira au traité de Sèvres de 1920.

Au moment des débats, d'ailleurs difficiles, sur la reconnaissance, et le statut, du génocide arménien on a curieusement peu évoqué le procès qui avait effectivement condamné à Constantinople en 1919 les dirigeants jeunes-turcs. Ainsi cette appellation est supposée aujourd'hui encore "sympathique", et même "politiquement correcte". De la sorte, dans le vocabulaire courant, elle est passée en français, quoique moins à la mode, pour désigner un gentil réformateur de bon aloi. Jacques Fauvet dans son "Histoire de la Quatrième république" parle ainsi des "jeunes-turcs du radicalisme". Et les exemples abondent, sans qu'on semble se rendre compte qu'un "jeune-turc", c'est très proche d'un "nazi", terme [légèrement] plus péjoratif. On se reportera, ou on revisitera au besoin, les talentueux écrits de Benoist-Méchin à la gloire de Kemal. Ils ont intoxiqué, et désinformé, le public français pendant des années. Et cela permet de comprendre l'évolution de cette turcophilie française. Elle est parfois présentée pour "traditionnelle depuis François Ier." L'auteur de ces lignes reconnaît lui-même s'être longtemps contenté de telles sources et références illusoires.

On doit comprendre également qu'il n'existe guère de différence entre l'appareil et l'idéologie du régime jeune-turc et le système kémaliste. À plus de 90 % on a pu établir qu'il s'agit exactement des mêmes cadres.

Le jacobinisme jeune-turc s'oppose aux constitutionnels libéraux et autres "jeunes ottomans" sur le droit des minorités. Ce point décisif conduira au génocide arménien de 1915-1917, et plus généralement à la destruction de la plus ancienne des chrétientés, celle d'Asie mineure. Les chrétiens représentaient 30 % des habitants de l'Anatolie au début du XXe siècle, ils ne comptent plus aujourd'hui que pour 1 %.

Ce que nous tenons anachroniquement pour des nationalités se trouve représenté dans le système ottoman par divers "millet". Ceux-ci sont exclusivement déterminés par les juridictions religieuses. Celui des Romains, en turc "rum", ne désigne pas les Grecs au sens ethnique du terme. En turc Grec se dit "yunan", "Ionien". Le Rum millet-i englobe tous les ressortissants du patriarcat œcuménique de Constantinople. À un moment donné, pour soustraire les Bulgares à la tutelle jugée pesante de la hiérarchie de langue grecque on organise un petit schisme etc. Les Arméniens, ressortissant du catholicos de cette très ancienne nation chrétienne, séparée de l'orthodoxie byzantine depuis le Ve siècle, ont été longtemps considérés comme le "millet fidèle" (millet-i sadika). Leur ont été rattachés dès le XVe siècle des communautés chrétiennes avec lesquelles ils forment la même communion comme les Syriaques et les Coptes, et même les catholiques, jusqu'en 1829. Mais à mesure de la poussée russe on les soupçonne d'entretenir des relations avec l'ennemi moscovite, lui-même allié des Bulgares, comme on suspecte tels autres d'agir sous l'influence des petits États balkaniques apparus au cours du XIXe siècle et de leurs protecteurs, réels ou imaginaires.

Ces inquiétudes obsidionales créeront le mécanisme cynique de l'enfermement géopolitique totalitaire. Cela conduira au décret de Talaat du 24 avril 1915, qui organise le massacre abominable, le plus connu, le plus massif, mais hélas ni le premier, ni le dernier : celui des Arméniens.

Teinté des saveurs et des couleurs de l'orient, on retrouve les logiques du génocide vendéen, celles aussi des famines organisées en Ukraine ou de la répression des koulaks, car ne l'oublions pas tous les Arméniens sont supposés riches même le plus modeste des tailleurs, des boutiquiers, des cordonniers. Relisons les discours de Robespierre et de Saint-Just, préfigurant Hitler et Staline, Pol Pot et Mao Tsé-toung. La racine jacobine semble indiscutable comme paraît oublié, le tout petit massacre génocidaire des pauvres chrétiens de Cilicie en avril 1909, hors d'œuvre jeune-turc des gros bains de sang du XXe siècle.

JG Malliarakis

Apostilles

  1. L'actuelle graphie "Cemal" ne restitue pas en français la prononciation approchée, du "dj" et de plus elle introduit une fâcheuse confusion avec Mustapha Kémal qui apparaîtra quelques années plus tard.
  2. Faut-il rappeler ici que cette organisation athée n'applique plus les fameuses Constitutions d'Anderson remontant au XVIIIe siècle et d'inspiration déiste. Elle se veut elle aussi obédience maçonnique mais elle avait rompu depuis 1877 tout lien avec la Grande Loge Unie d'Angleterre, et n'en entretient aucune avec la franc-maçonnerie américaine, etc.
  3. Les "amis de la Turquie" citent ainsi : "Si les chiffres donnés par Marcel Léart dans son célèbre ouvrage sur la question arménienne sont exacts, l’Anatolie comptait vers le milieu du XIXe siècle, sur un total de 166 importateurs, 141 Arméniens, 12 appartenant à diverses autres communautés et seulement 13 Turcs. De même, sur 9 800 boutiquiers et artisans, 6 800 étaient arméniens et 2 550 turcs. Les Arméniens prédominaient aussi dans les secteurs de l’exportation (où ils étaient au nombre de 127, contre 23 Turcs), de l’industrie (sur un total de 153 industriels, il y en avait 130 d’origine arménienne) et de la banque (32 sur un total de 37). Dans la région désignée par certains sous le nom d’Arménie turque, les Arméniens disposaient de 803 écoles, fréquentées par 81 226 élèves et comptant au total 2 088 enseignants." Cf. le site des Amis de la Turquie http://www.tetedeturc.com/home/spip.php?article28

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