Parmi les inversions accusatoires habituelles de la soi-disant gauche radicale [1], l’accusation de confusionnisme est très utilisée contre les patriotes, sous-entendant sans jamais le démontrer, que le camp national mélange tout, pour créer une confusion chez celui qui écoute son discours. Mais cette même extrême gauche ne s’embarrasse jamais de subtilités lorsqu’il s’agit de qualifier ses adversaires, qui sont nécessairement d’extrême droite et fascistes.
Les communistes, dès avant la Seconde Guerre mondiale, ont accusé tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec eux de fascisme, y compris, par exemple, le Général De Gaulle. L’extrême gauche a conservé cette habitude.
Mais lorsqu’on est sérieux, on sait que le nationalisme au singulier n’existe pas, et qu’il existe de nombreux courants, souvent très différents d’un pays à un autre. En France il y a essentiellement ainsi diverses tendances, très différentes.
Les Contre-révolutionnaires
Il existe tout d’abord les Contre-révolutionnaires, autour de Joseph de Maistre et de Louis de Bonald, dont l’objet principal est la critique de la révolution de 1789 comme destruction des solidarités historiques que sont la corporation (loi Le Chapelier, fondement historique de l’interdiction des syndicats ouvriers), la paroisse, la province, et la monarchie, protectrice des corporations et stabilisatrice du prix des matières premières, contre la spéculation défendue par les libéraux. Globalement cette tendance n’existe plus qu’à titre de témoignage culturel et a été phagocytée par la suivante.
L’Action française
L’Action française est le second grand mouvement de la droite nationale française. Elle se structure autour de Maurice Pujo et de Henri Vaugeois, qui sont plutôt des républicains de gauche, mais qui formulent une critique de la IIIème république, en tant que traîtresse à ses promesses [2]. Il y a aussi durant cette période de nombreux scandales financiers, et la critique de l’anglophilie des milieux d’affaires perçue comme une trahison de l’intérêt national. Ce à quoi Charles Maurras, dans Enquête sur la monarchie, va répondre que la défense des intérêts de la nation [3], passe par le rétablissement de la royauté qui avait défendu les intérêts de la France, au moins jusqu’à Louis XIV [4]. C’est aussi un mouvement très régionaliste [5], décentralisateur. D’ailleurs, l’un des axes de pensée de Maurras est son fameux « l’autorité en haut, les libertés en bas », ce qui explique sa critique de la politique centralisatrice menée par les Jacobins. Avant la guerre de 14, c’est un mouvement très porté sur la question sociale, qui un temps entretiendra des relations avec le milieu syndicaliste révolutionnaire [6] d’Édouard Berth [7] et Georges Sorel [8], au sein du Cercle Proudhon [9].
Le troisième grand courant de la droite nationale française naît dans les années 60, d’abord autour de Dominique Venner et de son Pour une critique positive10. Il lancera une revue, Europe-Action, qui veut surtout rompre avec les traditions de la droite nationale classique. C’est un mouvement européiste, non francocentré, païen, anti-catholique, rejetant la thématique de l’Algérie française, et plutôt raciste à ses débuts.
Les nationalistes révolutionnaires
A partir de là se formeront deux tendances, les nationalistes révolutionnaires, autour de François Duprat surtout, dont Christian Bouchet fut longtemps un représentant. Très vite ce mouvement rompt avec le racisme pour passer à l’ethno-différentialisme, c’est à dire l’idée d’une nécessité de la préservation de tous les peuples, à égalité de dignité, ce qui s’oppose évidemment au racisme qui hiérarchise les races. C’est aussi en France la naissance d’une droite nationale anti-sioniste11, et tiers-mondiste, défendant par exemple le nationalisme arabe ba’assiste ou nasserien.
Le GRECE
L’autre mouvement qui découlera d’Europe action est moins politique, plus métapolitique, c’est le GRECE12. C’est un mouvement païen, euro-fédéraliste, ethno-différentialiste, tiers-mondiste13, anti-libéral et anti-communiste, assez anti-américain, très inspiré de Nietzsche, de la Révolution Conservatrice Allemande14, la figure centrale de ce mouvement étant Alain de Benoist. C’est aussi un mouvement qui défend particulièrement la démocratie directe. D’ailleurs son ethno-différentialisme est très teinté de culturalisme. L’intégration à une nation passe pour lui plus par l’adhésion à une culture qu’à une appartenance biologique. De Benoist a d’ailleurs écrit trois livres contre le racisme, et même appelé l’un d’eux, tout simplement « contre le racisme ».
Le poujadisme
Entre temps, il y avait eu le poujadisme, qui est avant tout une contestation du système fiscal en défaveur de la libre entreprise, et une lutte contre la IVème république. Son principal défaut était que Pierre Poujade n’a jamais voulu de théorisation. Alors qu’en Allemagne, l’Ordoliberalismus15 porté par l’aile sociale de la CDU-CSU et le droite agrarienne scandinave ou suisse en est un équivalent tout à fait sérieux.
La droite bonapartiste
Il y a aussi en France la droite bonapartiste telle que définie par René Rémond, qui se définit surtout par son caractère plébiscitaire, sa méfiance envers les parlementaires qui privent le peuple de la parole politique. On retrouve cette mouvance autour du Général Boulanger, de certaines ligues des années 30 comme les Croix de feu16, ou plus tard De Gaulle, dont les dernières incarnations ont pu être Philippe Seguin, Jacques Chaban-Delmas ou d’une certaine façon Chevènement prolongeant la synthèse des gaullistes sociaux de l’UDT17. Actuellement, c’est surtout représenté par ce qu’on appelle les souverainistes.
L’absence de fascisme français
Depuis Zeev Sternhell18, traîne l’idée approximative de l’origine française du fascisme. Or, en y regardant de près, la définition du fascisme de Sternhell est qu’il s’agit de toute idéologie n’étant ni libérale, ni marxiste, et que le point central du fascisme, est le rejet de l’héritage philosophiques des Lumières. Évidemment, avec une définition si large, à peu près tout en dehors du libéralisme et du marxisme y rentre.
Si on veut faire une définition rigoureuse du fascisme, c’est un mouvement centralisateur19 anti-marxiste, certes capitaliste, mais contre l’usure20 21 et anti-électoraliste22 23. En dehors de très éphémères expériences dans l’entre-deux-guerres24 ou durant la seconde guerre mondiale, le bref panorama dressé plus haut montre qu’aucun mouvement significatif en terme de membres, peut à proprement parler être qualifié de fasciste au sein de la droite nationale française.
Toute qualification de fascisme d’un mouvement patriotique français est avant tout une stratégie de reduction ad mussolinium et donc ad hitlerum, mais ne répond à aucun souci de rigueur ou d’honnêteté intellectuelle.Notes
[1] Il s’agit ici essentiellement de la gauche sociétale, issue de la deuxième gauche, née autour de la revue Telos aux États-Unis.
[2] Le fameux liberté, égalité, fraternité.
[3] Sur une définition assez proche d’Ernest Renan et de son « Qu’est-ce qu’une nation ? », et certainement pas « völkisch », ce qui s’explique, vu la germanophobie de Maurras.
[4] Marion Sigaut explique très bien comment les expériences économiques des physiocrates, ancêtres des libéraux, sont une explication à la chute de la monarchie. http://www.dailymotion.com/video/xy17ze_alain-soral-marion-sigaut-comprendre-les-lumieres-1-2_news
[5] Maurras était proche d’Alphonse Daudet dans sa jeunesse.
[6] Le syndicalisme révolutionnaire est un courant du socialisme, s’opposant au marxisme sur la question du sens de l’histoire. Si Marx croit en un sens de l’histoire, Sorel, en héritier de Nietzsche, a plutôt une vision cyclique du temps, et rejette les visions téléologiques de l’histoire.
[7] Cf. Les Méfaits des intellectuels, éditions Kontre Kulture. Berth souhaitait faire une synthèse entre les pensées de Maurras et de Sorel suivant le schéma Apollon et Dionysos, Apollon étant Maurras, le grand classique et Dionysos, Sorel, le romantique. Cf Édouard Berth ou le socialisme héroïque (Sorel – Maurras – Lénine), Alain de Benoist, édition Pardès. Après une brouille avec Valois vers 1917, il se rapprocha de Henri Barbusse et de la revue Clarté, avant de revenir au syndicalisme-révolutionnaire, par déception de l’expérience soviétique, ayant déjà perçu ses dérives autoritaires. De même il fut toujours très hostile à Mussolini pour excès d’étatisme.
[8] Cf. Textes choisis, réunissant Réflexions sur la violence, Les Illusions du progrès et La Décomposition du marxisme, éditions Kontre Kulture. L’une des idées centrale de son œuvre est la défense d’un mythe mobilisateur, celui de la grève générale, opposant la mauvaise force de l’État à la bonne violence de la révolte prolétarienne.
[9] Cf. Les Cahiers du Cercle Proudhon, éditions Kontre Kulture.