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JOHANNES ALTHUSIUS (1557-1638) Alain de Benoist

Alors même que Carl Joachim Friedrich n’a pas hésité à le décrire comme « le penseur le plus profond entre Bodin et Hobbes », on reste stupéfait de l'ignorance dans laquelle le public français n'a cessé d'être tenu de la pensée de Johannes Althusius. Au XVIIIe siècle, c'est à peine si Bayle lui consacre quelques lignes de son Dictionnaire historique et critique : « Althusius, jurisconsulte d'Allemagne, florissait vers la fin du XVIe siècle. Il a fait un livre de Politique. Quelques jurisconsultes de son païs s'emportent étrangement contre lui, parce qu'il a soutenu que la souveraineté des Etats appartient aux peuples [...] J'oubliai de dire, dans les deux premières éditions, qu'il était de la Religion protestante ; qu'après avoir été Professeur en Droit à Herborn, il eut à Brême [sic] la dignité de syndic ; et que les Jésuites, en répondant à l'Anti-Coton, le mirent dans la catégorie des Protestants qui ont mal parlé de la Puissance Roiale » 1 . En 1858, dans son Tableau historique, Edmond de Beauverger lui consacre à son tour la moitié d'un chapitre2 . Frédéric Atger, puis Victor Delbos ne l'évoquent que brièvement3 . La seule présentation substantielle de ses idées dont on dispose en France est celle qui figure dans le livre de Pierre Mesnard, L'essor de la philosophie politique au XVIe siècle, paru en 19364 . Dans la plupart des manuels d'histoire des idées édités depuis 1945, son nom brille par son absence5 . Aujourd'hui encore, aucun livre de langue française ne lui a été consacré, aucune traduction de ses œuvres, même de la plus célèbre, n'a été publiée. On ne saurait s'étonner, dans ces conditions, que peu d'auteurs semblent avoir entendu parler de cet esprit rigoureux, effectivement comparable en importance à Hobbes, Machiavel, Bodin ou Rousseau. 

Il est vrai qu'à partir de la fin du XVIIe siècle, à l'instar des monarchomaques, dont il était proche6 , Althusius a longtemps passé pour un esprit subversif, et cette réputation a probablement contribué à faire tomber son nom dans un oubli dont il n'est véritablement sorti qu'en 1880, grâce au célèbre livre qui lui fut consacré par Otto von Gierke7 . Dès lors, son influence n'a cessé de s'étendre, en Allemagne d'abord, puis aux Pays-Bas, en Angleterre et aux Etats-Unis. En 1932, Carl Joachim Friedrich a réédité le texte latin de la plus grande partie de l'édition de 1614 de la Politica, en même temps qu'il consacrait plusieurs études à son auteur, dans un esprit d'ailleurs fort différent de celui de Gierke. Depuis lors, de nombreux chercheurs ont travaillé sur l'œuvre d'Althusius, parmi lesquels il faut surtout citer Frederick S. Carney, Heinz Werner Antholz, John Neville Figgis, Erik Wolf, Ernst Reibstein, Dieter Wyduckel, Peter Jochen Winters, etc.8 Un symposium international consacré à Althusius s'est tenu à Herborn du 12 au 16 juin 1984, et une JohannesAlthusius Gesellschaft s'est également constituée dans les années quatre-vingt à l'Université de Dresde9 . En 1973, la bibliographie sur Althusius, publiée par Dieter Wyduckel, Hans Ulrich Scupin et Ulrich Scheuner, ne comptait déjà pas moins de 16 000 références10 . Et pourtant, exception faite de l'espagnol, langue dans laquelle on dispose depuis 1990 d'une traduction satisfaisante de la Politica, l'œuvre majeure d'Althusius n'a encore à ce jour jamais été publiée intégralement dans aucune langue moderne !  

Johannes Althusius (Johann Althaus) est né en 1557 à Diedenshausen, en Westphalie, à la frontière du comté de Nassau, région alors d'obédience calviniste. D'origine modeste, c'est grâce à l'aide de l'un des comtes de Nassau qu'il fait ses études de droit, de philosophie et de théologie, d'abord en 1581 à Cologne, où il se familiarise avec la pensée d'Aristote, puis à Paris et à Bâle. Dans cette dernière ville, où il apprend l'histoire et la théologie, il loge chez son ami Johann Grynaeus, avec qui il entretiendra une correspondance tout au long de sa vie, et fait la connaissance du monarchomaque protestant François Hotman. En 1586, il obtient le titre de docteur in utro jure, avec une thèse intitulée De arte jurisprudentiæ Romanæ methodice digestæ libri, qu'il publie la même année sous la forme d'un ouvrage (Juris Romani Libri Duo) qu'il remaniera à plusieurs reprises par la suite. Il séjourne ensuite à Genève, où il achève sa formation en sciences juridiques et logiques auprès de Denis Godefroy, spécialiste réputé du droit romain. Il est alors marqué par les idées de Calvin, qui séjourna dans cette ville de 1536 à 1538, puis de 1541 jusqu'à sa mort, en 1564. 

Ses études achevées, en octobre 1594, Althusius est appelé à l'Académie protestante de Herborn, fondée deux ans plus tôt par le comte Jean de Nassau, et devient membre de sa faculté de droit. Il y occupe une chaire de droit romain, qu'il conservera pendant dix-sept ans, tout en enseignant également la philosophie et la théologie. En 1597, il est nommé recteur du collège de Herborn et devient membre du conseil du comte de Nassau. Durant cette période, il séjourne également à Steinfurt, à Siegen, où il se marie, ainsi qu'à Heidelberg. En 1599 et 1600, on le retrouve comme recteur du collège de Siegen, puis en 1602 comme recteur du collège de Herford. Dans l'exercice de ses fonctions, il défend avec vigueur les libertés universitaires contre les empiètements de la noblesse et du clergé. En 1601, il publie un volume de morale, Civilis conversationis libri duo, puis deux ans plus tard son principal ouvrage, la Politica methodice digesta, qui reçoit une attention immédiate dans les milieux savants, mais lui vaut aussi certaines critiques de la part des théologiens et des jésuites.

 

C'est alors que se produit dans sa vie un événement décisif. En 1603, Althusius se voit proposer par les habitants de la cité portuaire d'Emden, en Frise orientale, de venir occuper dans cette ville un poste de syndic municipal (Ratssyndikus). Acquise au calvinisme (elle a même été, en 1526, la première cité allemande à embrasser la foi réformée), Emden joue à cette époque un rôle important. Depuis que Jean Laski a été invité en 1542 à y réorganiser la vie religieuse, la ville est devenue une sorte de Genève du Nord. Sa position stratégique, à la frontière de l'Empire et des Provinces-Unies, qui se sont constituées en 1579 en Etat indépendant tout en restant officiellement terres d'Empire11 , lui permet en outre de jouir d'une certaine liberté. Un synode protestant s'y est réuni en 1571, qui a vu les Eglises néerlandaises (belgici) se réunir aux communautés de Frise orientale et du Bas-Rhin. Un autre synode général des Eglises réformées rhénanes et westphaliennes s'y déroulera en 1610, réalisant ainsi l'union organique du calvinisme septentrional. Il semble d'ailleurs que la crainte de perdre leur autonomie n'ait pas étrangère à la décision des habitants d'Emden d'inviter Althusius à venir mettre ses idées en pratique parmi eux. A cette date, la renommée de l'auteur de la Politica est d’ailleurs bien établie, d'autant que le conseil de la ville, dit Conseil des Quarante, compte dans ses rangs le pasteur Menno Alting, dont le fils, Johann Alting, a été son élève à Herborn.

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