Le socialisme vu par Berdiaev
♦ Ivan Blot, homme politique, essayiste, écrivain…
Nicolas Berdiaev serait, avec Ivan Iline, le philosophe russe préféré de Poutine. Dans son livre Le Nouveau Moyen Age, au chapitre intitulé « Démocratie, socialisme et théocratie », il présente une analyse du socialisme particulièrement profonde. Pour lui, le socialisme est à l’opposé de la démocratie, car il a ses projets a priori qu’il veut imposer au peuple. « D’après son type psychologique, le socialisme n’est pas sceptique, il est la foi, il prétend être une nouvelle foi pour l’humanité. » Son laïcisme de façade est mensonger. « Le socialisme utopique de Saint-Simon et le socialisme « scientifique » de Karl Marx se présentent avec les mêmes prétentions que la religion : ils veulent avoir un rapport intégral envers la vie, résoudre toutes les questions de la vie ».
Pour Berdiaev, « le socialisme a un caractère messianique » (*).
Le socialisme est oligarchique et non démocratique
La domination du monde doit revenir à l’idée de prolétariat et non au prolétariat réel. « Sous ce rapport, le socialisme n’est pas un réalisme empirique mais un idéalisme. C’est une minorité élue, la poignée la plus consciente, qui s’avère porteuse de l’idée et connaître la vérité. La plénitude du pouvoir doit appartenir à cette minorité élue. Sous ce rapport, le socialisme est oligarchique et non démocratique. »
Au nom de l’idée, on peut exercer la violence contre le peuple empirique de fait. On peut et doit forcer le peuple à réaliser l’idée socialiste.
Selon Berdiaev, « le socialisme nie en principe la souveraineté du peuple, la libre manifestation de la volonté du peuple et le droit de chaque citoyen à prendre part à la manifestation de sa volonté. Il est en cela essentiellement opposé à la démocratie. » Pour les socialistes, on peut brutaliser la majorité dite réactionnaire car on considère qu’elle est dans les ténèbres. (…) Le socialisme est fondamentalement intolérant et exclusif, il ne peut pas selon son idée, laisser la liberté à ses adversaires, à ceux qui ne pensent pas comme lui. Il est obligé de nier la liberté de conscience. Il est le système du Grand Inquisiteur dont parle Dostoïevski. » Il veut faire le bien des hommes et décider de la destinée des sociétés humaines en niant la liberté de l’esprit.
Berdiaev va au cœur philosophique du socialisme : « Une société et un Etat socialistes sont de type confessionnel et sacral, et non laïc et séculier. Dans un Etat socialiste, il y a une confession dominante et ceux qui appartiennent à
cette confession dominante doivent avoir des droits privilégiés. Cet Etat n’est pas insensible à la foi, il n’y est pas indifférent comme un Etat libéral démocrate et républicain, il décrète sa vérité et contraint à la suivre. Ceux qui ne reconnaissent pas la foi socialiste doivent être mis dans une situation analogue à celle des Juifs dans les sociétés chrétiennes théocratiques anciennes. (…) En cela réside l’opposition essentielle entre un Etat socialiste et un Etat démocratique de droit », un Etat républicain. Ce dernier ne prétend jamais au pouvoir sur les âmes humaines, il connaît ses limites. Le socialisme veut dresser mécaniquement les âmes humaines. Il aspire pour cette raison au monopole de l‘éducation.
Le socialisme, un nouveau Moyen Age
Selon Berdiaev, « la démocratie est humaniste. Le socialisme est déjà de l’autre côté de l’humanisme. Le socialisme est une réaction contre l’histoire moderne et un retour au Moyen Age, mais au nom d’un autre Dieu. Le nouveau Moyen Age doit être semblable à l’ancien, il aura sa propre théocratie à l’envers. Mais quand prend fin le royaume humaniste, le royaume de l’humanité séculière, alors se dévoilent des abîmes opposés. L’Etat socialiste marche vers la théocratie et a des prétentions théocratiques. (…) La société, la collectivité sociale devenue une nouvelle idole devient un despote sans limites ». La liberté est gravement menacée.
Ivan Blot, 6/06/2015
Note :
(*) Nicolas Berdiaev, Le Nouveau Moyen Age, L’Age d’homme, 1985, p. 119.
Nicolas Berdiaev Le Nouveau Moyen Age. Réflexions sur les destinées de la Russie et de l’Europe (Novoe Srednevekov’e, 1924), éd. L’Age d’homme, 1986.
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