« Allez donc visiter le Mont-Saint-Michel ou le château de Versailles, cela vous donnera un début d’idée », a rétorqué Marion Maréchal – Le Pen à Cambadélis, qui avançait que la France n’existait pas, et que, seule, la République, avait la chance d’être, à ses yeux.
Je serais quand même étonné que Cambadélis, même ancien trotskiste, même franc-maçon, ne l’eût faite, un jour, cette visite. Au moins celle du château de Versailles, où des sauteries ont parfois lieu, pour les bobos parisiens de luxe, qui se voient bien dans le costume de Marie-Antoinette ou de Louis XVI…
Je reprends au bond la déclaration de Marion Maréchal – Le Pen car elle me paraît emblématique d’un certain tour d’esprit des patriotes du moment. Il semblerait, en effet, que l’on découvrît actuellement, face à l’anxiété suscitée par notre possible disparition en tant que nation, à une sorte de « revival », comme disent nos « amis » américains (j’invoque les Yankees, car il se peut que nous soyons-là dans un mouvement de type néo-conservateur). Nous voilà donc en quête de nos racines, que l’on croyait arrachées par la pelle de la modernité. Aussi a-t-on tendance à assimiler l’« identité » à des lieux chargés d’Histoire, ou à des périodes glorieuses de notre long passé.
Or, à mon sens, c’est une erreur, et un péril.
D’abord, même s’il est fort agréable de fréquenter les hauts lieux de notre civilisation, il n’en demeure pas moins que ce sont des souvenirs momifiés, pétrifiés, transformés en musées ou en cartes postales. On se satisfait de l’écume du temps. Mais a-t-on idée de ce qu’était la vraie pâte de l’Histoire ? Ne nous faisons pas une idée erronée de sa nature ? Ne sommes-nous pas comme ces amateurs de musique classique, qui ne goûtent que Le Boléro de Ravel, Les Quatre Saisons de Vivaldi, sans connaître la véritable substance de ce continent immense qu’est la musique ? Le cliché qu’on a de notre Histoire ne saurait remplacer la vérité historique, bien plus complexe que les stéréotypes simplificateurs.
Nietzsche, souvenons-nous, avait attaqué violemment, dans ses Considérations inactuelles, l’historiographie allemande, lourde et méthodique, qui pesait sur l’instinct de vie, et l’empêchait de se manifester. Il louait ainsi l’oubli, qui débarrasse l’être des oripeaux du passé, et lui octroie l’innocence violente de l’animal, capable de se ruer sur sa cible. L’homme trop savant ploie sous la connaissance, sous les scrupules, sous les « leçons » de l’Histoire, et, lorsqu’il se mêle d’action, veut absolument imiter. Or, Marx ne disait-il pas que toute imitation, dans l’Histoire, n’est que bouffonnerie ?
Il ne s’agit pas de cet « oubli » suscité par le libéralisme, l’utilitarisme économique, mais d’une libération des forces, qui s’inspireront de l’esprit, sans pour autant singer. Le dénuement actuel que la postmodernité nous impose, comme si nous étions des orphelins sans lieu ni feu, nous oblige à saisir ce qui est vital en nous, la lumière qui fait le monde, et non les ombres évaporées qui sont les reliquats de ce qui fut. Laissons les morts enterrer les morts.
C’est le même constat pour les signes, les images, que l’on prétend être nos « racines ». Là aussi, on est dans le mythe, c’est-à-dire le conte, le « roman ». Certes, un tel imaginaire peut être efficace pour l’action. Georges Sorel y voyait le moyen de mobiliser. Toutefois, attention au jeu pervers des retours de manivelle, des ruses de l’Histoire, comme disait Hegel. On croît œuvrer dans un sens, mais on travaille dans l’autre, et, finalement, on est écrasé par les forces contraires à nos aspirations. La Révolution française se réclamait de Sparte et de Rome. On a vu le résultat, le triomphe de la bourgeoisie, du commerce, de l’économisme.
Il ne faut pas procéder par la périphérie, par ce fatras de signes, d’icônes, d’images, qui sont souvent le produit de la société du spectacle, et relèvent de fantasmes issus du ressentiment du dernier homme, qui se cherche pathétiquement des raisons d’exister. Il faut cherche le centre, le divin, et, par là, retrouver une vie authentique, qui se déploiera pour retrouver un monde où l’on soit de nouveau nous-mêmes. S’il n’y a pas conversion, transformation radicale de notre être, de nos façons intimes de voir, de sentir, et même de manger, d’être avec autrui, toute revendication devient une vaine incantation. Il s’agit de retrouver notre âme, notre cœur, au-delà des traces qu’il nous faut bien garder de suivre. L’essentiel est de capter ce que nous avons perdu, une source résurgente, si l’on veut, ou une centrale énergétique enfouie sous des couches de sédimentation.
Claude Bourrinet
• D’abord mis en ligne sur Synthèse nationale, le 23 mai 2015.