L’analyse d'Hilaire de Crémiers dans le numéro de septembre de Politique Magazine.
La route de l’histoire tourne sous nos yeux. Les dirigeants français ne voient pas ce virage, aveuglés qu’ils sont par leurs certitudes. Leur conduite finira dans le fossé. Peut-être plus vite qu’on ne le pense.
L’État de l’Europe et du monde dans les quelques années à venir sera tout autre que ce que les dirigeants français imaginent encore aujourd’hui. Ils continuent à se réciter entre eux et à débiter en public les cours qu’ils apprenaient, il y a vingt et trente ans, dans leurs écoles et leurs facultés. L’intégration européenne était l’avenir radieux et obligé. Le « toujours plus gros », « toujours plus unifié », « toujours plus riche » étaient la loi d’une évidence qui ne pouvait être contestée.
Il fallait les écouter : l’industrie française devait profiter de l’expansion des marchés et de la libéralisation, de toute façon obligatoire (!), des procédures dans le cadre d’une concurrence ouverte et sévèrement surveillée (!). Personne ne songeait aux retournements possibles, aux terribles déconvenues pour les PMI comme pour les entreprises liées par nature à leur destin français.
Quant à l’agriculture française, à les entendre, elle serait la grande gagnante en raison de sa position dominante, la politique agricole commune ayant été conçue pour elle ; il suffisait de la mettre aux normes et d’en réduire drastiquement les effectifs, selon le schéma en vogue. D’ailleurs, électoralement, qu’est-ce que ça compte ? Impossible, il y a encore cinq ans, de faire comprendre que cette politique jetait l’agriculture française dans la double impasse de la guerre des prix et de la subvention mortifère. On sait ce qu’il en est maintenant ; l’agriculture française ne cesse de dégringoler, dépassée par l’Allemagne entre autres. Les paysans n’ont plus qu’à se tuer, ce qui laisse indifférent le politicien, surtout de gauche ; son cœur est ailleurs.
Le commerce, d’après ces mêmes prophètes, suivrait la même voie, la France et l’Europe devant ressembler de plus en plus aux vastes marchés de l’Amérique du Nord avec laquelle elles étaient vouées à s’unir au bénéfice de multinationales puissantes et donc efficientes, comme le prévoit le traité transatlantique en cours. Il était pourtant prévisible que la loi du plus fort et du moins scrupuleux serait alors la règle, destructrice pour tout le reste.