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En Syrie, Poutine joue la carte anti-Daech

En intensifiant son soutien militaire à Bachar el-Assad, la Russie entend signer son grand retour au Moyen-Orient, mais aussi redevenir une puissance globale.

Les Russes le surnomment le «Syrie express». Dans les grands instituts de la capitale, le corridor aérien qui relie Moscou à Damas est presque aussi connu que la ligne ferroviaire qui rejoint Saint-Pétersbourg. Aujourd'hui les Russes l'utilisent pour envoyer des chars et de l'artillerie, mais aussi des conseillers à leur allié Bachar el-Assad. Une action offensive qui vise à imposer aux puissances régionales et aux Occidentaux une grande coalition anti-Daech. Un coup tactique destiné à pousser même les plus réticents, comme la France, à désigner les djihadistes de l'État islamique comme leur principal ennemi.

De Catherine la Grande qui voulait étendre son influence au Moyen-Orient à la guerre froide, qui attira dans son orbite plusieurs pays arabes, la Russie a toujours été présente en Syrie. Dans les années 1950, l'URSS a fourni plus de 200 millions de dollars d'aide militaire à Damas. L'arrivée au pouvoir d'Hafez el-Assad, un officier formé à Moscou, a consolidé l'alliance dans les années 1970 et permis à l'Union soviétique de faire de la Syrie baasiste et socialiste l'un de ses principaux clients militaires. Missiles sol-air, roquettes antichar, système de défense antiaérienne: l'armée syrienne a été équipée par le grand frère soviétique, puis russe. Les livraisons d'armes au régime de Damas se poursuivent depuis la chute du mur de Berlin. Environ 25.000 Russes vivent encore dans ce pays.

Le nouveau renforcement militaire de Moscou en Syrie s'insère donc dans une stratégie de longue date. Il s'appuie sur des réseaux puissants et fidèles en partie installés pour contrer l'influence occidentale. «C'est le retour d'une diplomatie néo-primakovienne consistant à replacer la Russie au cœur du Moyen-Orient avec des cartes limitées mais utilisées sans état d'âme», décrypte Camille Grand, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Spécialiste du Moyen-Orient, ministre des Affaires étrangères de Boris Eltsine, Evgueni Primakov fut l'artisan du retour de la Russie sur la scène internationale ainsi qu'un âpre défenseur des intérêts de la puissance russe face à Washington.

Un partenaire indispensable

Le «retour» de la Russie au Moyen-Orient s'effectue parallèlement au «retrait» des États-Unis dans la région. Élu pour ramener les troupes américaines d'Irak et d'Afghanistan, hostile à l'idée d'ouvrir un nouveau front au Moyen-Orient, tenté par un pivot vers l'Asie, Barack Obama a créé un vide que la Russie veut aujourd'hui combler. Elle le fait d'autant plus facilement que vis-à-vis de la Syrie, sa politique n'a jamais changé depuis le début de la guerre. Contrairement aux Occidentaux et à leurs alliances hésitantes, les Russes ont toujours soutenu le régime de Damas et leur allié Bachar el-Assad, même dans les périodes les plus difficiles.

La Russie ne voit que des avantages à ce retour précipité en Syrie. Elle sécurise sa présence dans le port de Tartous, qui lui offre son seul accès à la Méditerranée. Marginalisé après l'effondrement de l'URSS, isolé par son coup de force en Ukraine et les sanctions internationales, Moscou veut revenir au cœur du jeu moyen-oriental. Affirmer ses intérêts de puissance et contrer l'influence occidentale en imposant sa propre voie. Redevenir une puissance globale. En soutenant le régime syrien, Vladimir Poutine prévient aussi qu'il n'acceptera pas pour Bachar el-Assad le destin qui fut réservé à Kadhafi en 2011 après l'intervention franco-britannique en Libye. Le retrait d'un homme fort, selon Moscou, entraîne toujours plus d'instabilité. «Et les Russes n'aiment pas l'instabilité quand ce n'est pas eux qui la provoquent», commente ironiquement un diplomate français.

11 septembre 2001, lorsqu'il était critiqué par les Occidentaux pour sa brutalité en Tchétchénie, en offrant son soutien à la coalition antitalibans, le Kremlin se présente aujourd'hui comme un partenaire indispensable pour combattre les djihadistes, devenus l'ennemi commun. Pour les Russes, qui s'inquiètent des turbulences dans leurs Républiques musulmanes et du nombre croissant de djihadistes qui partent combattre en Syrie, la lutte contre le terrorisme est une question de sécurité nationale. Elle est aussi un moyen de se réhabiliter aux yeux de la communauté internationale. «Les Russes préfèrent ne combatte qu'un ennemi à la fois. Ils pensent en outre que l'idée d'une coalition anti-Daech peut réconcilier tout le monde», poursuit le diplomate.

Car le «retour» militaire des Russes au Moyen-Orient se double d'une initiative diplomatique. Vladimir Poutine pourrait rencontrer Barack Obama en marge de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, où il se rendra le 28 septembre pour la première fois depuis dix ans. La stratégie occidentale en Syrie ayant conduit à l'impasse, la Russie devient maître du jeu. Pour mettre fin à la guerre en Syrie, Poutine propose de créer une grande coalition internationale contre les djihadistes, incluant l'armée syrienne, sous parapluie onusien. À charge pour le Kremlin de mener ensuite Bachar el-Assad à la table des négociations et d'imposer à tous une formule de transition politique qui préserverait le régime. Le projet russe assure à Moscou une place de choix à la table des futures négociations. En quelques mois, le Kremlin a réussi à imposer sa vision du futur syrien et à convaincre les Occidentaux, notamment la France, que le départ de Bachar ne devait plus être une condition préalable à des pourparlers mais l'aboutissement d'un processus de transition.

Le plan russe, qui se nourrit du manque de vision et des incertitudes de l'Occident, a cependant des failles et des faiblesses. «Les Russes ont-ils les moyens de leur politique en Syrie ?» s'interroge Camille Grand, le directeur de la FRS. Comment convaincre, après quatre ans et demi de guerre, les opposants syriens de s'asseoir à la même table que leur bourreau? Comment garantir la survie du régime sans Bachar el-Assad? Autant de questions auxquelles l'initiative russe n'a pas encore répondu.

Intenses négociations

Sur la route de Vladimir Poutine en Syrie se lève aussi l'Iran, beaucoup plus impliqué que Moscou auprès du régime de Damas. Le renforcement militaire russe a sans doute été orchestré à l'occasion d'une visite fin août à Moscou de Qassem Soleimani, le général iranien commandant al-Qods, les forces spéciales des gardiens de la révolution. Mais si les Russes ont confié aux Occidentaux qu'ils n'étaient pas mariés avec Bachar el-Assad, aucun signe de cette nature n'est venu de Téhéran.

Le président russe pourrait aussi trouver sur son chemin les États-Unis. L'Administration Obama acceptera-t-elle l'intervention russe comme un fait accompli, alors que la Syrie est utilisée par Vladimir Poutine comme un nouveau terrain de confrontation entre l'Est et l'Ouest? Elle n'a pas encore répondu à l'offre russe d'ouvrir un dialogue «entre militaires» sur le conflit en Syrie. Tout en estimant qu'une «coopération est possible», le département d'État redoute «que le soutien continu de la Russie à Assad intensifie le conflit et sape (notre) objectif commun de lutte contre l'extrémisme». La communauté internationale est toujours en panne de stratégie face à Daech, qui ne cesse de gagner du terrain, comme l'a confirmé cette semaine le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian.

Les intenses négociations autour de la Syrie ont en outre relégué le conflit ukrainien en seconde position. «Grâce à la Crimée, la Russie est parvenue à renforcer sa stratégie d'accès, sa présence en Méditerranée et son ombre portée au Moyen-Orient… Il s'agit désormais de modifier l'ordre de sécurité post-1991, en profitant du retrait américain d'Europe et du Moyen-Orient», écrit le directeur de l'Ifri Thomas Gomart dans Politique étrangère.

Isabelle Lasserre

source : Le Figaro ::lien

http://www.voxnr.com/cc/etranger/EuukVFkFFASJHKMpQe.shtml

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