Les départements n'arrivent plus à équilibrer leur budget à cause de l'explosion de l'ex-RMI. Ils réclament une recentralisation de l'aide sociale.
« Aujourd'hui, la politique sociale de la France n'est plus financée. » L'affirmation de l'Association des départements de France (ADF), vendredi dans un communiqué, fait froid dans le dos. Mais elle n'est pas totalement infondée.
Lorsqu'il a transféré le RSA aux départements en 2004, pour gérer les programmes d'insertion des bénéficiaires au plus près des réalités de terrain, l'État leur a alloué parallèlement une fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Une recette a priori dynamique. De 2004 à 2008, le taux de couverture des dépenses du RSA par cette recette (et par le modeste Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion) a augmenté de 92,2 % à 95,2 %, selon les chiffres de l'Observatoire national de l'action sociale. Mais il s'est ensuite effondré à 71,3 % en 2013, avec la crise et l'explosion de bénéficiaires du RSA que cette dernière a entraînée. Depuis, la situation continue de se dégrader. Selon le dernier rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques locales publié mardi, les dépenses de RSA ont encore explosé de 9,2 % l'année dernière !
Des augmentations de RSA pas totalement financées
La crise n'est pas la seule responsable de cette situation devenue intenable. L'État a encore aggravé le problème lorsqu'il a décidé, avec les meilleures intentions du monde, de revaloriser le RSA de 10 % au-dessus de l'inflation en cinq ans, de 2013 à 2017, dans le cadre de son plan de lutte contre la pauvreté.
Conscient qu'une telle largesse avec l'argent des autres allait faire passer les départements dans le rouge, l'État a en partie financé cet effort par anticipation du coût total de la mesure dès 2014. Il l'a fait grâce au transfert aux départements des frais de gestion qu'il facturait sur la gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties, soit 800 millions d'euros. Il a aussi autorisé les départements à augmenter leurs droits de mutation à titre onéreux (une partie des fameux « frais de notaire ») de 3,8 à 4,5 %. Il a enfin créé un fonds de solidarité entre les départements. Autant de mesures qui doivent permettre de récolter, au total, près d'un milliard d'euros, d'ici fin 2016, selon le chiffrage d'un responsable administratif. Mais cela ne suffit pas. Car la revalorisation de 2 % par an devrait coûter, de l'aveu même de l'administration, environ 250 millions d'euros par an aux départements, soit 1,25 milliard à terme.
En septembre, le président du Conseil national d'évaluations des normes (Cnen), Alain Lambert, s'était d'ailleurs ému du fait que la dernière revalorisation de 2 % au-dessus de l'inflation du RSA, intervenue en septembre, n'ait pas été prise en charge par l'État. Le président du conseil général de l'Orne (UDI) avait ironisé sur la « générosité » de l'État qui « autorise les départements à lever de l'argent sur les contribuables » en guise de financement.
Une baisse douloureuse des dotations
D'autant qu'au même moment, il impose aux départements une baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) qu'il leur alloue chaque année (3,49 milliards en 3 ans). Si cette cure de rigueur est sans doute supportable pour les plus riches d'entre eux, elle s'avère difficilement absorbable pour ceux dont les réserves financières sont déjà affaiblies, souvent parce qu'ils font face à un nombre important d'allocataires (du RSA, mais aussi des autres aides sociales, comme l'allocation personnalisée d'autonomie, et la prestation de compensation du handicap…).
« D'ici 2017, à législation constante, de nombreux départements pourraient être dans l'incapacité d'équilibrer leur budget. En effet, la baisse de la DGF devrait représenter environ 6 % de leurs recettes réelles de fonctionnement entre 2015 et 2017 », s'alarme la Cour des comptes. La Guyane, la Creuse, le Gard, la Martinique, le Nord ou encore le Pas-de-Calais, La Réunion, la Seine-Saint-Denis et l'Yonne n'auraient ainsi pas assez d'excédents pour couvrir la baisse à venir de la DGF, alors qu'ils sont « déjà très fragilisés par le fort dynamisme de leurs dépenses sociales », et « exposés à la volatilité de leurs produits fiscaux (cotisation sur la valeur ajoutée, droits de mutation à titre onéreux) », explique la Cour. L'Association des départements de France (ADF) et le gouvernement chiffrent même le nombre de départements en difficulté pour boucler leur budget 2016 à une quarantaine !
Une aide d'urgence encore non chiffrée
Jeudi, la ministre de la Fonction publique et de la Décentralisation a donc promis une aide financière pour les collectivités les plus fragilisées, mais sans en chiffrer le montant. Marylise Lebranchu a d'ailleurs conditionné cette aide aux efforts de gestion entrepris jusqu'à présent par les départements pour contenir leurs dépenses.
Une solution d'urgence qui ne réglera pas le problème. L'ADF réclame d'ores et déjà la recentralisation de la gestion du RSA au niveau national. Une hypothèse à laquelle l'État ne ferme pas la porte, même s'il prévient que cela doit s'accompagner d'une recentralisation d'une recette correspondante. Sauf que les départements, eux, veulent conserver des recettes propres « dynamiques »...
Marc Vignaud
source : Le Point :: lien