Entre les promesses non tenues qui s’accumulent et les concessions bien réelles à la Turquie, le dernier sommet de l’Union européenne consacré à la crise migratoire ressemble fort à un nouveau marché de dupes.
Les hotspots destinés à canaliser et comptabiliser les « migrants » ? Promis et pas tenus, sauf deux en sous-effectif flagrant, à Lampedusa (Italie) et Lesbos (Grèce). La zone tampon « démilitarisée » le long de la frontière turco-syrienne afin d’accueillir les réfugiés ? Aux oubliettes. Les renforts pour Frontex et l’EAS0, le bureau européen d’appui à l’asile, l’agence chargée d’aider les pays européens à gérer les frontières extérieures de l’UE ? On les attend encore. Les assauts de fermeté des dirigeants allemands ou français, expliquant que seuls les « vrais » réfugiés seraient accueillis et les migrants économiques refoulés ? Des ronds dans l’eau du marécage médiatique. Sommet après sommet, l’Union européenne accumule les promesses de fermeté non tenues et les renoncements bien réels.
Rien de surprenant donc à la lecture du bilan de celui qui s’est clos hier. Côté nouvelles promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, la création d’un corps de garde-frontière européen… Ce pas acté, mais pour Hollande, « l’idée a progressé »… c’est dire si le projet a peu de chance de voir le jour avant la fin des temps. Afin de soigner l’image humanitaire de tout le monde, l’Union européenne ouvrira six camps d’accueil pour réfugiés dans le sud de la Turquie et pour rassurer la Grèce et la Bulgarie il est prévu une fois de plus un renforcement de la coopération entre Frontex, les garde-côtes grecs et les garde-côtes turcs.
La Turquie puisqu’on en parle, qui est la principale bénéficiaire des renoncements de l’UE. Le pays, qui accueille plus de deux millions de Syriens, est en effet en position de force face à l’UE. C’est lui qui est en mesure d’ouvrir ou de fermer (du moins partiellement) les vannes des flots de « réfugiés » qui déferlent sur l’Europe.
Renoncement financier, tout d’abord, puisque Bruxelles, qui envisageait de payer un milliard d’euros à Ankara pour l’aider à garder ses « réfugiés » sur son sol, va finalement en débourser trois. Trois milliards pour avoir l’illusion que la Turquie nous aide à contenir l’invasion migratoire, c’est cher.
Illusion, car quand bien même le pays en aurait la volonté politique (ce qui reste à démontrer, le contraire étant même assez solidement étayé), l’état de corruption endémique dans lequel il baigne garantit aux « passeurs » la complaisance nécessaire à tous les échelons de l’administration turque pour accomplir leur besogne.
En tout état de cause, les détails de ce financement, qui est sur la table depuis le 5 octobre, seront discutés par Jean-Claude Junker, qui a carte blanche, et ses homologues turcs. La seule nouveauté du sommet d’hier, c’est que ce sera finalement Angela Merkel qui ira à Ankara dimanche 18 cueillir les lauriers de l’accord, raffermir ainsi la traditionnelle alliance turco-allemande, et confirmer son image de conductrice de l’Union européenne.
Car c’est évidemment Merkel qui a pesé de tout son poids auprès de ses « partenaires » (vassaux ?) européens pour obtenir cet accord. La chancelière semble enfin avoir réalisé qu’elle a ouvert avec ses promesses d’accueil de « réfugiés » une véritable boîte de Pandore, cherche maintenant à limiter la casse.
Aussi l’Europe de Bruxelles a-t-elle cédé sur tous les points d’achoppement avec la Turquie. De manière relativement symbolique à ce stade – et en tout cas très floue —, Merkel a annoncé que les Européens avaient convenu de relancer le processus d’adhésion de la Turquie et d’ouvrir de nouveaux chapitres de discussions. Lesquels ? mystère.
Bien plus concrète en revanche est l’avancée de l’ex-Sublime Porte vers l’intégration dans l’espace Schengen. Première étape, la Turquie sera inscrite sur la liste européenne des « pays sûrs », probablement dès le 18 novembre. Cette liste permettrait de renvoyer plus rapidement certains migrants vers leur pays d’origine au motif qu’il respecte les droits de l’homme et que les migrants qui y seraient renvoyés ne risquent rien à retourner dans leur pays. Plus qu’un outil de régulation des flux migratoires, cette liste valide en fait la conformité du pays en question avec les critères idéologiques européens. elle permet au pays en question d’assister à des sommets européens (quelle veine !) et constitue un préalable aux négociations les plus sensibles…
Deuxième étape, l’exemption de visas pour les 78 millions de Turcs soit l’entrée de facto dans l’espace Schengen. De nombreux pays européens y rechignent encore, cela se fera donc par étapes, dans l’immédiat par une libéralisation de l’octroi de visas pour les hommes d’affaires et les étudiants turcs.
François Hollande a cependant dit avoir « insisté pour que, si libéralisation des visas il doit y avoir, avec la Turquie, ce soit sur des bases extrêmement précises et contrôlées ». Une libéralisation des visas sur des critères très souples semble donc à l’ordre du jour.
Le quotidien turc Cumhuriyet a publié le 29 mai dernier des images d'obus de mortier, dissimulés sous des médicaments dans des camions, officiellement affrétés par une organisation humanitaire pour la Syrie. Selon des documents officiels, les camions seraient en réalité propriété des services de renseignements turcs. L'interception des armes date de janvier 2014 et a été menée par la gendarmerie turque.
Le quotidien turc Cumhuriyet a publié le 29 mai dernier des images d’obus de mortier, dissimulés sous des médicaments dans des camions, officiellement affrétés par une organisation humanitaire pour la Syrie. Selon des documents officiels, les camions seraient en réalité propriété des services de renseignements turcs. L’interception des armes date de janvier 2014 et a été menée par la gendarmerie turque.
Enfin, signalons pour la bonne bouche que rien évidemment n’a été dit au sujet de Chypre, membre de l’UE occupé par la Turquie ni sur le non-respect par la Turquie de la Convention de 1951 sur les réfugiés, qu’elle a signée et ratifiée, mais dont elle refuse de faire bénéficier les millions de Syriens, Irakiens et autres présents sur son sol. Les droits de l’homme régulièrement bafoués sont balayés sous le tapis, les craintes de dérive autoritaire du président islamo-conservateur Erdogan passées par pertes et profits… Quant au soutien passif (refus pendant longtemps de mettre à disposition de l’OTAN ses bases aériennes pour les frappes anti-EI…) ou actif (fournitures d’armes, libre-circulation des djihadistes étrangers vers la Syrie, attaques coordonnées contre les Kurdes…) de la Turquie à l’État islamique, il faudrait perte bien malpoli pour évoquer de telles inconvenances…
Bref, tout va bien dans le meilleur des mondes possibles, l’Union européenne, pour régler la crise migratoire est en train d’accorder un brevet de bonne conduite à l’un des boutefeux qui a embrasé la Syrie… et favorisé par tous les moyens ladite crise.
Charles Dewotine