Tous les observateurs de la vie politique française se focalisent désormais sur l'idée que les élections régionales de décembre préfigurent l'élection présidentielle prévue pour 2017.
Or, la Ve république avait réussi à fonctionner, de 1958 à 2012, sur un affrontement principalement binaire. Divers mécanismes avaient largement éliminé le "Centre", le MRP, les radicaux, les indépendants, qui avaient dominé la vie politique de la IVe république.(1)⇓ Mais, comme dans de nombreux pays, d'autres forces sont apparues, qui mettent à mal le train des alternances. Et l'on ne peut plus tabler sur un simple jeu entre droite et gauche.
En effet, les projections de sondages prévoient, à plus ou moins juste titre, une répartition des régions métropolitaines, qui étaient toutes de gauche à l'exception de l'Alsace, et qui deviendraient à hauteur de 7 pour la droite, 3 pour la gauche et 2 pour le front.
Ouest-France, le 23 octobre, affinait ce pronostic en pronostiquant que "la gauche ne garderait que 3 à 5 régions" et en l'assortissant d'une carte coloriée, persistant à qualifier le FN "d'extrême droite".(2)⇓
Cette appellation se veut éliminatoire, mais elle ne veut plus rien dire.
On se trouve, à vrai dire, en présence d'un parti dont le même journal indique que sa poussée se confirme : "28 % d’intentions de vote (niveau national), plus de 30 % dans 6 régions (Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, Bourgogne-Franche-Comté, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Normandie, PACA, Nord-Pas-de-Calais-Picardie)."
Rappelons aussi qu'il s'agit désormais d'un parti au programme économique largement démagogique, très proche de celui de la gauche la plus dure. Il désigne pour cible, constamment la droite institutionnelle, sur la base d'une trouvaille de propagande fort efficace : la convergence, véritable ou supposée, entre celle-ci et le parti socialiste sous le sigle UMPS. Pourquoi continuer par conséquent à raisonner comme s'il s'agissait d'une "extrême droite" ?
On devrait plutôt s'interroger sur la portée et les conséquences de l'actuel jeu politique.
Il n'est plus partagé en deux blocs principaux, mais pour une période indéterminée, entre trois. La Théorie des jeux, initiée par le mathématicien américain John Nash, fort prisée par certains économistes, a ses adeptes. Ils prétendent et croient pouvoir énoncer sous forme de théorème qu'un jeu à trois se résout nécessairement à deux.
Or, curieusement l'évolution du jeu politique depuis 30 ans a plutôt démontré, en France et pas seulement, le contraire.
Je me permets donc d'en déduire que les brillants schémas de cette Théorie ne s'appliquent pas à court terme. Les trois camps s'inscrivent dans leurs périmètres respectifs et ne s'apprêtent à aucune véritable concession.
Plus précisément, pour l'instant nous avons affaire à trois "galaxies", de structures différentes, où, au sein du camp "droite" par ex., le rapport LR/UDI reste fort différent de celui du PS et de ses partenaires écolos ou d'extrême gauche, et où les clivages internes du FN ne jouent pas de la même manière que ceux des appareils partisans classiques, etc.
Les trois interlocuteurs étant inégalement friables, et tout le monde le sachant, le jeu du président de la république reste celui de l'affrontement triangulaire permanent.
Et en même temps, il mise sur un éclatement entre, d'une part, le "centre", mou et changeant, aujourd'hui représenté par Juppé, derrière lequel se profile Bayrou – et une "droite" plus dure. Et cette distorsion reste la seule hypothèse lui permettant d'être lui-même présent au second tour. Dans une telle perspective tout deviendrait possible, y compris la victoire d'une candidate qui, jusque-là, n'était conçue par ses adversaires que comme une sorte de "sparring-partner", pour match de box truqué.
Ce développement autorise, notamment, à se poser des questions quant aux "merveilleuses institutions" mises en place par Michel Debré en 1958. Elles étaient conçues comme taillées sur mesure pour le général De Gaulle. Or, si l’on n'en finit plus de chercher à réincarner, ou d'évoquer ce personnage atypique, on devrait au moins constater, à l'instar des musulmans chiites, à propos de leur imam "caché" depuis mille ans, sa "Grande Occultation".
De Gaulle en janvier 1946 avait claqué la porte d'une Quatrième république naissante, déjà infestée par le tripartisme, et qui allait mourir, mais hélas seulement 12 ans plus tard, après Dien Bien-Phu en 1954, Suez en 1956, etc. Incapable de résoudre les grandes divisions du pays, elle mourut faute d'en avoir exorcisé les nuisances.
Revanche malsaine de la Quatrième : le jeu tripartite étant revenu, la Cinquième république pourrait bien se voir à son tour menacée. Je ne la regretterais guère, pas plus que dans ma jeunesse on ne souhaitait le retour aux pratiques de la constitution précédente.
Dussé-je surprendre, je ne vois pas d'autre issue préférable, en effet, pour les pays en proie à la crise des systèmes bi-partisans, au recours à ce qui marche, dans les nations européennes ou extrême-orientales qui ont le bonheur d'en bénéficier, en Suède comme en Angleterre, aux Pays-Bas comme en Espagne, etc. : la monarchie constitutionnelle, où l'existence une personnalité au-dessus des partis, symboliquement issue de la tradition historique assure au pays un ciment civique.
Qu'une telle conclusion fasse hurler, en attendant qu'ils se calment, les adorateurs de la révolution française, les intégristes du laïcisme et les coupeurs de têtes de l'égalitarisme, me rend par ailleurs cette hypothèse sympathique. Il est vrai cependant que le principal bienfait de la royauté tient en principe à son caractère autant rassembleur que réparateur.(3)⇓
JG Malliarakis
À lire en relation avec cette chronique : Les "Considérations" de Mallet du Pan… "sur la nature de la révolution française et sur les causes qui en prolongent la durée" à commander aux Éditions du Trident, sur la page catalogue ou par correspondance en adressant un chèque de 15 euros aux Éditions du Trident, 39 rue du Cherche-Midi 75006 Paris.
Apostilles
- Seuls Giscard d'Estaing et Raymond Barre avaient semblé vouloir incarner le centrisme et, ainsi, exorciser en partie, de 1976 à 1981, cette bipolarisation : dès 1985 ils s'y étaient à nouveau enchaînés ⇑
- cf. "Élections régionales. Sondage : la gauche ne garderait que 3 à 5 régions".⇑
- Cette solution n'entre pas dans le champ des conceptions maurrassiennes qui ont tant marqué la droite française. Cette école de pensée a toujours esquivé, en effet, pour des raisons historiques, de répondre à la question de la Constitution qui serait celle d'une monarchie "restaurée". Le "Dictionnaire politique et critique" rassemblé en 1932 sous le pseudonyme de Pierre Chardon, reste sur ce sujet étonnamment elliptique [une colonne et demie sur un total de plus de 4 000]. Son indispensable "Complément" publié à partir de 1960 par Jean Pélissier se révèle plus riche, tout en refusant de trancher. La nostalgie de Louis XIV y ouvre la voie à une indulgence pour l'étatisme bonapartiste, officiellement abhorré par la Vieux Maître du nationalisme intégral, mais non par ses épigones, et encore moins par son public.⇑
http://www.insolent.fr/2015/11/laffrontement-triangulaire-devient-permanent.html