Le premier tour des régionales permettra de mesurer les équilibres entre le PS à la peine, la droite qui rêve de revanche et le FN en conquête. Un test majeur à 16 mois de l'élection présidentielle.
Aucune campagne électorale ne ressemble jamais trait pour trait aux précédentes ; la campagne des régionales 2015 ne fera pas exception à la règle. À l'issue des scrutins des 6 et 13 décembre, une nouvelle carte politique de France sortira des urnes. Nouvelle carte, bien sûr, car les vingt-deux régions métropolitaines dessinées il y a soixante ans s'effaceront derrière les treize nouvelles régions issues de la réforme territoriale initiée par François Hollande. Nouvelle carte, également, car la «France rose» des élections de 2004 et 2010 devrait présenter un visage beaucoup plus contrasté.
Mais cette nouvelle carte sera le produit de l'une des campagnes les plus perturbées depuis vingt ans. Le choix de décaler en décembre une élection prévue initialement au printemps n'a contribué ni à la publicité sur ce scrutin ni à la mobilisation des électeurs. Les indices d'intérêt et de participation au scrutin produits par les instituts d'opinion laissent imaginer que moins d'un électeur sur deux se rendra aux urnes. Les attentats de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre, à moins d'un mois du premier tour, ont également bouleversé une campagne à peine naissante.
L'intérêt des états-majors parisiens pour ce scrutin semble pourtant inversement proportionnel à celui que lui portent les Français. Il s'agit de la dernière photographie électorale complète, seize mois avant l'élection présidentielle. La gauche au pouvoir espère limiter la casse après les défaites des municipales, des européennes, des sénatoriales et des départementales et inverser la courbe de la désaffection électorale. La droite souhaite pour sa part qu'une vague bleue vienne non seulement faire oublier le souvenir cuisant des déroutes aux régionales précédentes mais aussi préparer les esprits à une nouvelle alternance en 2017. Pour Nicolas Sarkozy, qui a pris la tête de l'UMP il y a un an tout juste, il s'agit singulièrement de prouver que son nouveau parti, les Républicains, a définitivement tourné la page des errements et constitue la seule alternative à la majorité actuelle.
Le Front national vient fortement perturber ce classique jeu de balancier et pourrait détromper gauche et droite dans leurs espoirs. Le parti de Marine Le Pen est en progression quasi constante depuis 2007: 4,9 % aux cantonales de 2008, 6,3 % aux européennes de 2009, 11,4 % aux régionales de 2010, 15,1 % aux cantonales de 2011, 17,9 % à la présidentielle de 2012, 24,9 % aux européennes de 2014 et enfin 25,2 % aux départementales de mars. Les dernières études publiées cette semaine estiment entre 28 et 30 % la moyenne nationale des intentions de vote en faveur de la formation d'extrême droite. Si ce score se réalisait dimanche, le FN s'imposerait à nouveau comme le premier parti de France et pourrait virer en tête dans près de la moitié des régions de métropole. Dans les mêmes études, la coalition formée par les candidats les Républicains, UDI, MoDem et divers droite est mesurée entre 27 et 29 %, loin devant les listes de gauche qui partent, elles, en ordre dispersé. Les candidats du PS sont crédités de 22 à 24 % des intentions de vote, les listes d'Europe Écologie-Les Verts autour de 6 %, celles du Front de gauche aux environs de 5 %. Aucune des autres étiquettes testées ne passe la barre des 5 % des suffrages.
Ce score national constitue la première grille de lecture des résultats de dimanche. Il est à comparer avec le classement de 2010 où les listes PS et alliés étaient arrivées en tête du premier tour avec 29,1 % des suffrages, celles de la droite et du centre avaient recueilli 30,2 % (26 % pour l'UMP et le Nouveau Centre, 4,2 % pour le MoDem) et le FN 11,4 %. Le vote de dimanche pourra également être comparé avec celui des départementales de mars où l'UMP et le centre avaient recueilli 28,7 % des suffrages, le FN 25,2 % et le PS 21,8 %.
Jérôme Fourquet estime que le Front national est le parti qui dispose de la plus forte «dynamique» dans cette campagne. «Le FN, qui partait déjà d'un niveau très élevé - de l'ordre de 25-26 % aux européennes et aux départementales -, s'est vu renforcer encore par la crise des migrants cet été puis par les attentats», a expliqué le directeur du pôle opinion de l'Ifop sur le plateau du «Talk Le Figaro». Deux régions focaliseront notamment l'attention dimanche soir: le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, où la présidente du FN est elle-même tête de liste, et Provence-Alpes-Côte d'Azur, où Marion Maréchal-Le Pen est candidate. Avec 38 à 40 % d'intentions de vote dès le premier tour, il s'agit des meilleurs espoirs de conquête du Front national.
Face à Marine Le Pen, le pôle de droite et celui de gauche suivent deux chemins différents. La droite et le centre ont fait le pari de l'union dès le premier tour. «Dans un contexte de tripartition de la vie politique, il est important de faire bloc pour essayer de faire jeu égal avec le FN», souligne Fourquet. D'autant que les listes arrivées en tête bénéficieraient, selon le vocable des experts électoraux, d'une «dynamique de premier tour» qui permet la victoire au second, malgré l'absence de réserves de voix conséquentes. La stratégie ne serait pourtant pas payante à coup sûr: selon l'étude Ifop-Cevipof-Le Monde, les listes LR-UDI-MoDem pourraient ne virer en tête que dans quatre ou cinq régions métropolitaines.
À gauche, la multiplication des listes pourrait reléguer le PS en troisième position dans au moins sept régions. «C'est la place la moins confortable», souligne Fourquet ; celle qui autorise le maintien au second tour, même quand les chances de victoire se sont évanouies. Ou impose le retrait pour mettre en échec le FN. Le PS a prévu de se réunir en bureau national dimanche soir pour déterminer quelles options s'offrent à lui région par région.
L'autre grille de lecture découle directement de l'ancienne stratégie de la «gauche plurielle» qui avait tant réussi au PS et à ses alliés jusqu'à présent. Là où l'addition des scores PS, EELV et FDG sont probants, le maintien devrait être la règle et les espoirs de victoire permis. Les dernières études d'intention de vote indiquent que ces additions placeraient le bloc de gauche en bonne position dans au moins six régions, avec de sérieux espoirs de victoire dans au moins trois d'entre elles.
Jean-Baptiste Garat