Les ondes de choc des résultats du 1er tour des élections régionales, et des scores réalisés par le Front National, ne finissent pas d’agiter le microcosme politique. La décision du Bureau Politique du P« S » de retirer ses listes là où le Front National est en position remporter le 2ème tour apparaît comme une décision de l’exécutif qui a été imposée au parti[1]. Cette décision n’est pas sans soulever des oppositions et des rancoeures dans les rangs même des « socialistes ». Ainsi, Jean-Pierre Masseret, le responsable « socialiste » dans la région du Grand-Est se fait-il tirer l’oreille[2]. Car, s’il y a un vainqueur à ce premier tour, il y a aussi très clairement un perdant : le P« S ». Cette défaite est historique, si on la remet en perspective. Elle signe l’accélération de la transformation de ce parti en un instrument politique de la bourgeoisie mondialisée et de la petite-bourgeoisie associée. Telle est la première leçon qu’il convient de retenir. Mais, la victoire du Front National, que traduit son extension à des zones géographiquement nouvelles pour lui, le confronte à un nouveau problème : passer du statut de « parti de 1er tour » à celui de « parti de 2ème tour ». Il n’est pas dit qu’il le puisse, et pour des raisons de fond et non de simple tactique. Telle est la seconde leçon de ce premier tour.
Défaite du Parti dit « socialiste » et conséquences
Il est ici important de constater que la défaite du P « S » ne vient pas que de son score. Celui-ci est faible, et le met dans nombre de régions en troisième place derrière le Front National et les « Républicains ». En fait, c’est la transformation géographiques et sociologique de ce parti qui est encore plus intéressante. De ce point de vue, il faut regarder avec attention les cartes des votes du 1er tour.
Une première estimation montre que le vote pour le Front National est concentré à l’est de la fameuse ligne Le Havre – Marseille qui fut utilisée pendant des générations par les géographes pour distinguer une France de la Grande Industrie (et urbaine) d’une France agricole et rurale. Dans cette France de l’Est, le Front National arrive en tête dans 4 régions et les « Républicains » dans 2 seulement. Le P « S » n’est nulle part en tête. Cette typologie est confirmée par l’ordre donné aux préoccupations des français lors de ce vote[3] :
1 Le Chômage
2 La Sécurité
3 La Délinquance
4 L’Immigration
Or ces régions sont, à l’exception de la région parisienne, des régions à fort taux de chômage. Mais, cette typologie est incomplète. On discerne des différences, qu’il faudra affiner, entre le vote en région PACA, où la candidate du Front National a mené une campagne sur les thèmes traditionnels de l’extrême-droite, et celui qui s’est manifesté dans le Nord et dans l’Est.
Extension du domaine de la lutte
Encore plus intéressant est le fait que le vote Front National dépasse cette ligne. Il ne correspond plus aux terres traditionnelles de la grande industrie, mais il touche aussi celles de la petite et moyenne industrie, composée d’entreprises soient liées aux activités agricoles soient liées aux activités de sous-traitance ou à des productions spécifiques. La carte du vote pour le Front National correspond largement à celle de la France de l’industrie dans toutes ses dimensions, une industrie qui a payé un prix disproportionné à la mondialisation et à l’Euro. De ce point de vue, il est clair que le vote Front National dans la région PACA à un caractère anecdotique du point de vue de la sociologie de ce parti.
De ce point de vue, il est intéressant de comparer ce vote à celui pour les listes « socialistes ».
Ces dernières, qui disparaissent des anciennes zones ouvrières (et la déroute dans le Nord comme dans le Grand-Est est symptomatique) ne connaissent des succès que dans des régions où se développent une industrie liée aux loisirs (sur la côte atlantique) et des activités de service. Ceci est parfaitement cohérent avec les choix de politique économique qui ont été fait ces dernières années et qui ont visé à « adapter » le tissu industriel et social aux conséquences de la mondialisation et de l’Euro. Les résultats que le P « S » enregistre dans Paris (à la différence de l’Île de France) confirment que ce parti a bien changé de nature et qu’il est devenu le parti des élites mondialisées et des couches sociales qui sont tributaires de ces dites élites. La répartition des votes lors du 1er tour des élection régionales ne fait que rendre visible cette transformation, que l’on peut considérer comme achevée. Cette transformation est le véritable sujet de ce 1er tour des élections régionales. C’est ce qui explique la décision imposée par le gouvernement au parti de procéder à un retrait des listes car ce gouvernement est clairement entièrement composé de partisans de la mondialisation et de l’Euro.
Le dilemme du Front National
Si ce parti est indiscutablement le vainqueur du 1er tour, il n’est cependant pas dit qu’il puisse confirmer au second. Le problème est moins le « TSF » (ou « Tout Sauf le Front ») qui est mis en place par François Hollande et Manuel Valls, que dans la capacité de la direction du Front National à choisir entre deux lignes, celle qui le porte dans les régions de l’industrie en péril et celle qui le porte en PACA. Car, et il ne faut pas se le cacher, on a vu dans la campagne qu’a mené le Front National en PACA ressurgir des thèmes qui sont ceux classiques de l’extrême-droite. L’alliance de l’ultra-catholicisme qui conteste la laïcité et des thématiques des « identitaires », si elle est localement porteuse et pourrait même être localement victorieuse, condamne à terme le Front National à se marginaliser à l’échelle nationale, ou plus précisément à s’enkyster dans le tissu social français sans pouvoir se poser la question du pouvoir.
Cette dernière impose tout d’abord à tout parti de réunir au-delà des questions religieuses et non de diviser. De ce point de vue, on ne peut se référer au principe de laïcité à Hénin-Beaumont pour l’oublier au Pontet. L’absence, remarquée, de Marine le Pen dans les manifestations de 2013 était le signe que la direction du Front National avait compris cela. Mais, cette direction a voulu cultiver l’ambiguïté sur sa ligne politique pour en tirer le maximum de bénéfices politiques. Elle risque de se rendre compte que c’est un calcul à très court terme. Il faudra aussi qu’elle se pose la question fondamentale de la division des travailleurs sur leur lieu de travail au travers de la nationalité. Cette question non seulement compromet à terme le niveau de salaire des travailleurs français, mais elle rompt les solidarités naturelles qui existent, en particulier dans le mouvement syndical, entre français et étrangers. Or, cette rupture des solidarités, face à un patronat qui est aujourd’hui à l’offensive du fait de l’ampleur du chômage, aura des conséquences catastrophiques pour les travailleurs français.
On pourrait continuer la liste. Elle montre qu’après avoir retardé le temps des clarifications, le Front National y est aujourd’hui confronté sans détour possible. Et ceci constitue aussi l’une des leçons de ce 1et tour.
Jacques Sapir
Notes :
[1] http://www.francetvinfo.fr/elections/regionales/regionales-comment-manuel-valls-et-francois-hollande-ont-decide-le-retrait-des-listes-socialistes_1210545.html
[2] http://www.leparisien.fr/elections-regionales/regions-france/region/Masseret(PS)/refuse-la-consigne-de-retrait-de-cambadelis-07-12-2015-5347747.php
[3] Sondage IPSOS de sortie des urnes