Pour Maxime Tandonnet, la recomposition de la vie politique souhaitée après les régionales, avec les propositions d'alliance populaire, ne correspond qu'à un renforcement du poids du FN, érigé en permanence en ennemi public numéro un.
Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013. Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l'Élysée est paru en août 2014. Découvrez également ses chroniques sur son blog.
La vie politique française donne lieu, ces derniers jours, à une succession de déclarations et de prises de position troublantes. M. Christian Estrosi a ainsi affirmé, à la suite de son succès électoral dans le Midi: «Plus on va à droite, plus on fait monter le FN». Or ce propos ne correspond pas à son discours traditionnel, par exemple à sa volonté d'interdire les drapeaux étrangers en certaines occasions. Autre étrangeté: Mme Kosciusko-Morizet a déclaré, au sujet de ses partenaires des Républicains: «On ne redresse pas la France avec des réactionnaires». Elle utilise ainsi un terme qui est depuis toujours l'injure de base de la gauche envers la droite. Le mot est violent. S'est-elle, trop longtemps, fourvoyée avec la «réaction»? Un puissant courant idéologique pousse à constitution d'un regroupement central de la politique française. M. Raffarin veut «travailler» avec le Parti socialiste. Ce dernier annonce d'ailleurs son intention de se fondre dans une «alliance populaire» ouverte aux Républicains. Certains leaders socialistes déclarent ne pas «exclure une «coalition» droite/gauche. Un sondage Odoxa-Le Parisien indique que 68% des Français souhaitent un rapprochement des deux camps. Bref, la recomposition de la vie politique semble en marche. Elle se développe sur un fond de mobilisation contre le parti lepéniste qui a atteint son record de voix au second tour des régionales.
Quel est le dénominateur commun à ces mouvements de fond qui paraissent emporter la politique nationale vers un nouvel horizon. Peut-on parler d'un phénomène de nature sociologique ou historique, en train de changer radicalement la vie publique française? Assistons-nous à l'accomplissement de la prophétie de M. Giscard d'Estaing, qui voulait rassembler deux Français sur trois en 1976, dans son livre Démocratie française? La vérité est sans doute plus triviale. Nous assistons au contraire, sous le manteau de l'apaisement, non pas à une recomposition de la vie politique, à une nouvelle manifestation de la décomposition de l'esprit civique et du sens de l'intérêt général. Les soubresauts idéologiques des leaders de droite ne paraissent pas avoir d'autre motivation que la quête de la posture, du paraître, de l'image. Les basculements du discours sont trop soudains, trop spectaculaires pour être crédibles. Ils ne peuvent pas s'expliquer autrement que par l'obsession du reflet médiatique. La mode actuelle en faveur de «l'unité nationale» n'est pas non plus dépourvue d'ambiguïté. Avant les élections régionales, le parti socialiste fustigeait «le bloc réactionnaire composé de la droite et de l'extrême droite». Le scrutin de décembre a été marqué par les pires injures, touchant notamment à l'accusation de racisme. Et puis soudain, dans un bel esprit de table rase, devrait s'imposer l'effacement des clivages au profit d'un nouveau souffle unitaire.
Hélas, le mythe de la recomposition politique n'est rien d'autre que le masque d'une nouvelle vague d'hypocrisie et de calculs politiciens. Les uns s'achètent une sainteté idéologique dans l'espoir de s'attirer les faveurs du monde médiatique. Les autres veulent noyer dans un grand magma central les déceptions, les échecs, les mauvais sondages. L'obsession élyséenne est en ligne de mire de ces grandes manoeuvres souterraines. Que recèlent les annonces, coups de menton, retournement de veste? Rien: le néant d'idées, de projet, de volonté. La notion de bien commun achève de se désintégrer dans un grand courant de folie mégalomaniaque qui s'est emparée d'une partie de la classe politique nationale, de l'extrême droite à l'extrême gauche. Les questions de fond sur l'avenir de la France, en matière d'industrie, d'emploi, d'Europe, de sécurité, disparaissent dans le puits sans fond de la vague narcissique. Une immense tartufferie s'est développée autour de la poussée du parti lepéniste. Présentée comme un drame national, elle donne lieu à une extraordinaire récupération politicienne. En érigeant cette formation en ennemi public numéro un, le monde politique et médiatique ne fait que la renforcer en permanence. Il se donne un prétexte pour fuir les réalités, le chômage massif, la violence, le déclin européen et international. Avec, en toile de fond, une seule perspective, une seule ambition, un seul horizon: être le prochain à pavoiser sous les ors de l'Elysée. La politique française a basculé dans une sorte de névrose obsessionnelle, la névrose élyséenne, qui l'entraîne toujours plus loin du monde réel et des préoccupations des Français.
Maxime Tandonnet
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