Nous avons tous lu dans la presse que lors des dernières élections régionales, le Front national avait totalisé 6,82 millions de voix au second tour, un score non seulement supérieur à celui obtenu au premier tour (6,01 millions de suffrages) mais aussi supérieur à son record du premier tour de la présidentielle de 2012 (6,42 millions). Nous en avons conclu un peu hâtivement qu’un peu plus de huit cent mille abstentionnistes du premier tour s’étaient déplacés pour voter en faveur de la liste du Front national au second. Eh bien, cette déduction est mathématiquement fausse. Le bon calcul devrait prendre en compte aussi les électeurs (du FN) qui avaient voté lors du premier tour et se sont abstenus ou bien ont voté pour une autre liste, le dimanche suivant. Or, cette information, par définition, est inconnue.
Trois mathématiciens français de l’université de Harvard ont voulu en savoir plus. À l’aide d’ordinateurs puissants, ils ont exploité l’immense base de données que constitue le décompte des voix au premier et au second tour, commune par commune, sur un modèle statistique complexe dans lequel il est question de statistique bayésienne, de simulation Monte-Carlo et de chaîne de Markov – les statisticiens comprendront. Leur conclusion, vous allez le voir, est particulièrement intéressante :
1) Le 6 décembre 2015, un peu plus d’un électeur sur deux s’est abstenu lors du premier tour des élections régionales. Le 13 décembre, au second tour, 55 % de ces abstentionnistes du premier tour se sont abstenus une seconde fois 1. Les 45 % restants se sont répartis de la manière suivante : 11 % auraient voté pour le FN, 15 % pour la gauche et 19 % pour la droite. Premier enseignement, donc : l’abstention du premier tour est loin d’être un réservoir de votes pour les seuls partis dits républicains.
2) 2,12 millions d’électeurs frontistes du premier tour ont préféré s’abstenir ou, plus vraisemblablement, voter pour la droite au second tour. Voilà le chiffre qui nous manquait : c’est le fameux vote utile particulièrement visible dans les six régions sur douze où le FN n’avait aucune chance de l’emporter au vu des résultats du premier tour. Deuxième enseignement, donc, qui rejoint mon précédent billet : il faudra tenir compte de l’impact du vote utile au cas où les candidats de gauche et de droite seraient donnés au coude-à-coude dans les sondages avant le premier tour de la présidentielle.
3) 2,92 millions d’électeurs qui n’avaient pas voté pour le Front national au premier tour (essentiellement des abstentionnistes, mais aussi des électeurs de droite, notamment en région Midi-Pyrénées-Languedoc) ont voté pour le Front national au second tour.
Au total, donc, ce sont 8,93 millions d’électeurs (6,01 plus 2,92) qui ont apporté leur suffrage aux listes du Front national, soit au premier tour, soit au second. Un chiffre qui ne devrait pas nous surprendre : il correspond ni plus ni moins aux estimations actuelles des sondeurs en vue du premier tour de la présidentielle (27 % des 44,6 millions d’inscrits avec un taux de participation de 75 %). Un chiffre largement suffisant pour être présent au second tour mais, n’en déplaise à certains lecteurs de Boulevard Voltaire, encore très loin des 18 millions de voix nécessaires pour l’emporter.
Christophe Servan
Note :
1 Pour retomber sur le chiffre de participation au second tour, il faut tenir compte des abstentionnistes du second tour qui avaient voté au premier, particulièrement nombreux en PACA.
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