Ivan Blot, homme politique, écrivain, essayiste. Membre du conseil des experts de « Rethinking Russia ».
Docteur de l’Institut d’études politiques de Paris.
♦ Le couple Russie et démocratie ne semble pas très naturel et rien, apparemment aujourd’hui, n’incite le public occidental à reconnaître chez les Russes une propension à l’usage du vote libre, une acceptation d’une opposition politique ou, plus simplement, un rapprochement entre l’Etat et le peuple ; et pourtant… Ivan Blot livre ici une sorte d’inventaire au terme duquel on devrait créditer à la présidence Poutine une volonté d’ouverture dans ce sens. Voyons.
Polémia
De 2011 à 2016, sous la présidence de Vladimir Poutine, la démocratie russe a beaucoup progressé avec d’importantes réformes pour rapprocher le peuple et la classe politique. Le think tank « Rethinking Russia » vient de publier un bilan significatif.
1/ Le nombre de partis politiques autorisés à participer aux élections est passé de 7 à 74. Il suffit maintenant d’avoir 500 membres contre 40.000 auparavant pour être enregistré et admis à présenter des candidats.
2/ Les élections législatives étaient à la proportionnelle intégrale entre les listes, ce qui donne un pouvoir considérable aux états-majors partisans. Désormais, la moitié des députés sont élus sur liste et l’autre moitié au scrutin uninominal de circonscription, un peu comme en Allemagne.
3/ Le seuil à atteindre pour avoir des députés au Parlement (Douma) est passé de 7 à 5%.
4/ Le nombre de partis à présenter des candidats aux élections régionales et locales est passé de 7 à 55.
5/ Selon les 85 régions, 4 ou 5 partis se présentaient. Aujourd’hui le chiffre est de 5 à 18 partis, avec les chiffres les plus élevés au Daghestan, à Moscou et dans la région de Sverdlovsk (Oural).
6/ Pour ce qui concerne les signatures requises pour présenter des listes ou des candidats de circonscription : il fallait 2% du corps électoral pour une liste et 0,5% à présent. Pour les candidats, il faut 5% ; pour les élections à l’exécutif local, aucune signature n’est nécessaire.
7/ La participation électorale fut de 50,9% des voix au niveau régional il y a 5 ans et de 41,8% à présent. La présidence voudrait inverser cette tendance due à la fermeture des partis dans le passé (phénomène bien connu en France).
8/ Le parti du président Russie Unie est passé en 5 ans de 48,97% des voix à 55,09%.
9/ Afin de rapprocher les électeurs des élus, il faut désormais 5 ans de résidence pour être candidat au conseil de la Fédération (Sénat). C’est une disposition antiparachutage.
10/ Une réforme très populaire en Russie : les gouverneurs (préfets) étaient ratifiés par le conseil local et présentés par le président. Aujourd’hui, ils sont directement élus par les citoyens sur 75 régions. Dans dix autres, ils sont élus par les conseils locaux à partir d’une liste de trois candidats présentée par le président. 48% des gouverneurs avaient été élus à un moment ou à un autre dans leur carrière. Désormais, c’est 79%.
11/ Cinq sortes de collectivités locales existaient ; 7 types différents existent désormais.
12/ L’exécutif local pouvait être élu, ou bien se composer d’un élu et d’un fonctionnaire nommé ou bien d’un élu et d’un fonctionnaire tous deux nommés. Aujourd’hui, il y a 5 systèmes différents allant de l’élection pure à la nomination pure en passant par des directions à deux têtes, une élue et une nommée.
13/ Une seule région avait un gouverneur d’opposition (communiste). A présent, il y a des gouverneurs communistes mais aussi de Russie juste et du parti libéral démocratique, soit 4 gouverneurs d’opposition au total (rappelons qu’en France, tous les préfets sont nommés par le gouvernement, donc il n’y a pas de préfets appartenant à l’opposition).
14/ L’opposition présidait 6 des 32 commissions ; aujourd’hui, l’opposition préside 15 commissions sur 30.
15/ Il n’y avait aucun sénateur d’opposition autrefois ; aujourd’hui, les trois partis d’opposition de la Douma sont représentés.
16/ Les partis non enregistrés sont autorisés à présenter des candidats et à faire des manifestations.
17/ Une nouveauté est le Front national pan-russe (ONF) qui est un regroupement d’organisations (dont 20 partis politiques) et de membres de toute la société civile chargés de contrôler si la politique du président est bien appliquée sur le terrain (mécanisme antitechnocratique).
18/ Au sein du parti « Russie Unie », on est passé des primaires fermées aux primaires ouvertes (à tous les citoyens) pour désigner les candidats aux élections.
19/ Le président est désormais au-dessus des partis tout en présidant Russie Unie. Le premier ministre dirige effectivement le parti Russie Unie.
20/ La chambre civique nommée par le président comporte des représentants des régions et des professions. Désormais les régions sont obligatoirement représentées dans cette sorte de conseil économique et social.
21/ Le site d’initiatives publiques russes enregistre et sélectionne en fonction de leur succès à la base les initiatives populaires que doivent prendre en compte les autorités.
22/ Un poste de ministre pour les affaires gouvernementales ouvert à tous est créé. Des ombudsmenspécialisés sont créés (pour les enfants, pour les entreprises).
23/ Le conseil fédéral des droits de l’homme était nommé ; il est désormais nommé en fonction du résultat d’élections faites sur Internet et passe de 40 à 63 membres.
Conclusion : toutes les grandes tendances de l’opinion, communistes, sociaux-démocrates, libéraux et nationaux-patriotes sont représentés soit au Parlement soit dans d’autres organismes ou collectivités locales.
On a voulu ouvrir le système politique à des personnes et des talents nouveaux. Pour cela, il a fallu casser le monopole des grands partis en permettant des élections par circonscription, en libéralisant la création des partis politiques, en permettant un contrôle au quotidien des administrations (Front national pan-russe) et en permettant aux citoyens de présenter des initiatives sur Internet. Il s’agit progressivement de se rapprocher d’une démocratie directe (dixit Rethinking Russia) afin d’augmenter la motivation électorale des citoyens. 44% des citoyens ont une bonne opinion des partis contre 30% il y a deux ans. En France, 20% à peine des citoyens font confiance aux partis politiques.
Sur certains points, comme l’élection des préfets, ou bien l’existence du Front national pan-russe pour contrôler l’administration à la base (dispositif antitechnocratique), la Russie est très en avance démocratiquement par rapport à un pays comme la France. La présidence russe s’intéresse de près aux institutions de démocratie directe alors qu’en France les principaux leaders politiques montrent une certaine méfiance.
Le fort soutien du peuple au président (plus de 80%) montre que la politique présidentielle est bien conçue « pour le peuple » comme il doit être de mise dans une vraie démocratie et non en faveur des groupes de pression les plus puissants (oligarchie).
Ivan Blot, 8/01/2016