Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Économie réelle, économie légale

Souvent attaquées, ajuste titre, pour leur rôle insuffisant dans l'économie réelle, les banques consacrent la majeure partie de leurs liquidités aux activités financières, celles d'une "économie légale".

Investissez dans l'économie réelle ! C'est le dernier slogan à la mode, qui vous promet de bénéficier de taux d'intérêts convenables tout en épargnant votre conscience des remords de la spéculation. On parle d'économie réelle par opposition à l'économie financière, parfois appelée également spéculative. C'est celle qui concerne la production de biens et de services, à l'exception donc des échanges de titres financiers. Concrètement, plutôt qu'être placé dans des valeurs boursières, l'argent ainsi collecté servira, par exemple, à la production de crédit automobile et permettra à Mme Michu d'acquérir un véhicule neuf, ou sera prêté à une entreprise pour acquérir ou rénover son outil de production.

Qui ne risque rien...

Pour les banques, c'est une mission quasi sacrée, mais surtout un sacré argument de communication : « la première responsabilité d'une banque est de financer l'économie, investir dans les projets des particuliers et des entreprises pour soutenir la croissance » (BNP Paribas). De là à déclarer les banques organismes d'utilité publique... Mais trêve d'ironie. Il y a une part de vérité dans les assertions bancaires. D'abord, le financement de l'économie est bien du ressort des banques. Ensuite, celles-ci remplissent effectivement ce rôle ; très insuffisamment, certes, mais réellement. Enfin, elles sont bien souvent confrontées à une quadrature du cercle, déjà évoquée dans ces colonnes : on exige d'elles un engagement plus vigoureux dans l'économie réelle, ce qui impose une prise de risque (le financement des PME, en création ou non, est une activité intrinsèquement risquée), mais on n'accepte pas qu'elles en prennent, ce qui fait qu'elles préfèrent financer à moindre risque. En pratique, un investisseur suffisamment solide n'aura aucun mal à faire financer une acquisition immobilière, quand un créateur d'entreprise ou un industriel résolu aura toutes les peines du monde à obtenir un crédit sans y intégrer des garanties personnelles - quand il en a.

Derrière les chiffres

La réalité, précisément, est toutefois moins reluisante pour les banques. En 2014 (chiffres de l'ACPR), moins de 30 % de l'actif des banques, qui s'élevait à 8 400 milliards d'euros, étaient constitués de crédits à la clientèle (particuliers et entreprises). 10 % de ces 2 400 milliards étaient destinés aux administrations publiques et 50 % aux ménages (habitat et consommation). Au total, seuls 580 milliards finançaient les investissements des entreprises, chiffre dont il faudrait retraiter les investissements improductifs. Il ne suffit pas, en effet, que l'argent n'aille pas directement sur les marchés financiers pour financer l'économie réelle. Une part difficile à estimer, mais non négligeable, de ces crédits est destinée à financer des activités qui n'ont qu'un impact très limité sur l'économie réelle. Citons, par exemple, l’immobilier d'investissement (dans l'ancien), qui absorbe une grosse part de la production de crédit sans impact direct sur l'économie réelle. Citons encore les opérations à effet de levier, qui sont davantage destinées à améliorer le rendement des capitaux engagés qu'à permettre des opérations que les seuls capitaux propres rendraient impossibles. Citons enfin le cas, un peu différent, des émissions obligataires, qui permettent aux entreprises (y compris les PME) de se financer mais aboutissent concomitamment à créer des instruments financiers qui viendront accroître la prégnance de l'économie spéculative. Quant aux crédits à la consommation (actuellement près de 150 milliards d'euros d'encours), ils contribuent certes au dynamisme économique, mais ne constituent pas en tant que tels des investissements productifs.

Création monétaire

C'est tout le problème posé par le processus de création monétaire depuis que celui-ci a été abandonné par l'État au profit de la BCE, et plus particulièrement par le déferlement de liquidités que Francfort a récemment octroyées (assouplissement monétaire plus connu sous le nom de quantitative easing). Quel sera leur usage ? La théorie néoclassique de la monnaie explique que la création monétaire par les banques centrales se transforme en crédits par l'entremise des banques privées. Or (cf. supra), les chiffres parlent d'eux-mêmes : la majeure partie de ces liquidités reste dans le système financier. Toujours en 2014, les crédits octroyés à la clientèle représentaient un montant équivalent aux dépôts des clients, ce qui signifie que le reste des liquidités (70 %) n'était pas injecté dans l'économie réelle (ou alors de manière très indirecte et surtout marginale). Aussi les institutions se targuant de financer l'économie réelle ont-elles raison de s'attacher à ce parti pris. Mais l'émergence d'institutions alternatives (La Nef, Terres de liens, etc.) et le développement du crowdfunding (financement participatif) s'avèrent toutefois des intermédiaires plus sûrs d'une utilisation directe des ressources financières au profit de l'économie réelle, contre ce que nous proposons désormais de qualifier d'économie légale, où, comme disait Maurras, « les profiteurs sont les maîtres » (1).

Pierre Marchand Action Française 2000 du 19 novembre 2015 au 2 décembre 2015

(1) « Il faut reprendre tout ou presque tout par le fond, depuis le moral du pays légal où les profiteurs sont les maîtres. » (L'Action Française, 1er octobre 1938)

Les commentaires sont fermés.