Le roi étant la tête de l’État, il doit disposer des moyens de le gouverner, afin que cette définition ait du sens, et qu'il ne devienne pas, à terme, un personnage détaché de l’État lui-même, sorte d'institution politique à exemplaire unique, en orbite à l'écart du monde, astre vers lequel on se tourne de temps à autres pour se rassurer, mais dont on ne ressent plus véritablement le besoin politique quotidien, comme c'est le cas dans les royautés actuelles.
Le roi est donc à la fois le chef de son gouvernement et de son administration. Les règlements qui organisent celle-ci relèvent de lui. On peut dire que c'est la part propre de l’État. La question est autre pour les lois et la justice. En effet, ces deux réalités sont communes à l’État et à la nation, en ce sens que si l'administration est au service de la nation, elle est un membre de l’État, tandis que la loi n'est pas spécifiquement la chose de l’État, elle organise le fonctionnement de toutes les composantes du pays et donc concerne chacun des citoyens. C'est pourquoi il est impératif que cohabite, à la tête de la vie politique, à côté du roi, un Parlement possédant le droit de légiférer. Le roi possédant son titre de manière héréditaire, on ne peut le dire responsable devant son Parlement, à la différence du gouvernement qui, nommé par le souverain, est cependant plus éphémère. Sa fonction n'est pas héréditaire, ni même viagère, et s'il ne dépend pas des majorités parlementaires, il doit bien se présenter devant le Parlement pour lui proposer des lois, de même qu'il doit dialoguer avec celui-ci au sujet des lois qui émaneraient de lui. Ce face à face dialogué entre le Parlement et le gouvernement inclut une responsabilité de l'un envers l'autre. C'est-à-dire que le Parlement doit pouvoir rejeter les projets de loi du gouvernement.
Il n'est aucune mesure commune à toute la nation qui ne saurait échapper à cette règle du dialogue nécessaire entre le roi et son peuple par l'intermédiaire du gouvernement et du Parlement.
Pour autant, le gouvernement peut-il être renversé par le Parlement, et le roi peut-il dissoudre le Parlement ? Un conflit politique justifierait cette porte de sortie, qui donnerait l'avantage à l'une ou l'autre des parties en présence et finalement engendrerait la domination politique durable du roi ou du parlement. Ce dernier point est trop lourd de conséquences pour que l'on puisse l'envisager. Il apparaît donc que le roi ne doit pas avoir le pouvoir de dissoudre son Parlement, et que le gouvernement ne doit pas pouvoir être renversé par ce dernier, car ce serait, dans un cas comme dans l'autre, entamer une action illégitime car grignotant la souveraineté de l'une de ces deux puissances. De la même manière, le roi ne doit pas pouvoir disposer d'un veto contre les décisions du parlement et le parlement ne doit pas pouvoir bloquer les décisions du roi.
Ce respect du principe de la souveraineté, dans toute sa pureté, pourrait cependant entraîner des blocages institutionnels inextricables qui, à terme, entraîneraient l'affaiblissement de l'une des deux forces pour en sortir.
Le seul moyen d'éviter ce blocage durable est, d'une part le dialogue entre les groupes en présence, que nulle loi ne peut ni prévoir, ni interdire ; d'autre part la stricte répartition des tâches et des rôles entre les différents corps de la société.
Notamment, le rôle de l’État, sur lequel le roi a le pouvoir direct, doit être clairement défini.
Considérant que l’État, en vertu du principe de subsidiarité, assume ce que nulle autre structure intermédiaire ne pourrait mieux entreprendre que lui, son champ d'action doit avant tout être national et stratégique. L'échelon national est celui de la coordination et de la régulation des forces intermédiaires en présence, par le biais d'une administration assurant avant tout un contrôle normatif et veillant à l'indépendance du pays. En somme, l'armée, la justice, l'émission de la monnaie, la garde des frontières, la diplomatie, dépendent directement de l’État, de même que la surveillance de l'application de règles nationales dans tous les domaines, dans la limite d'une mission d'harmonisation et pas d'implication directe dans l'action des corps intermédiaires. Cet État doit disposer des moyens nécessaires à ses missions, ce qui signifie qu'une part de l'impôt, normalement voté comme toute loi par le Parlement, lui est légitimement attribuée.
Hors ces domaines d'action nécessaires à la vie du pays, ce sont les corps intermédiaires et leurs représentants qui sont légitimes.
Les deux groupes ne peuvent se court-circuiter dans leurs domaines propres, mais ils peuvent toujours discuter, dialoguer en vue d'amender le domaine l'un de l'autre, car si on n’est pas légitime à intervenir, on a toujours son bon sens pour juger du bien-fondé de l'action de l'autre.
C'est, à n'en point douter, cette stricte distinction des domaines, qui permettrait de limiter les risques de blocages institutionnels. Limiter ne veut pas dire éviter à tout prix. Le conflit politique peut toujours survenir, sur des questions de fiscalité, de choix stratégiques, de mœurs où l'une et l'autre partie aura une opinion divergente et des moyens de pression. Mais les deux structures demeurant essentiellement préservées l'une vis-à-vis de l'autre, on peut espérer que la seule voie du dialogue resterait ouverte pour dégager des solutions communes, préservant ainsi les caractères démocratiques, aristocratiques et royaux de l’État.
De tels systèmes existent déjà de par le monde, d'une manière ou d'une autre. Ainsi, aux Etats-Unis, le Président est-il le véritable maître de son administration et de son gouvernement, le chef pour les choix stratégiques de son pays, ne disposant pas du droit de dissoudre son Parlement et ce dernier ne pouvant censurer le gouvernement. En France, le Président possède ce que l'on appelle un « domaine réservé » dans les affaires stratégiques, et la Constitution en fait, théoriquement, l'arbitre de la vie institutionnelle du pays. Au Royaume-Uni le Premier Ministre, véritable chef de l'exécutif, ne peut dissoudre son Parlement, et les possibilités, pour ce dernier, de censurer le gouvernement, sont très limitées. Le Premier Ministre britannique, en tandem avec la Reine, est le véritable maître de l'administration et de la politique du pays. Ces systèmes, hérités de conceptions politiques fort anciennes, ont été construits très progressivement, dans des sociétés où la composante royale et aristocratique dominaient, au détriment de la démocratie. L'irruption de l'esprit démocratique a balayé les royautés et les aristocraties qui ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes. On ne reviendra pas sur les conséquences néfastes, pour l'homme, d'une telle prise de pouvoir. Mais on retiendra qu'à condition de rétablir progressivement une société civile cohérente et à visage pleinement humain, il est possible d'envisager donc un État tel que décrit plus haut, sur un mode apaisé, accomplissant le chemin institutionnel inachevé des nations occidentales actuelles.
Pour le bien de la personne humaine, il apparaît que cette mutation de la société est non seulement souhaitable mais surtout nécessaire.
Gabriel Privat
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