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Primaires : l'élection confisquée par l'oligarchie

Importé des États-Unis et adaptée au bipartisme, la primaire, en France, conforte l’emprise de l’oligarchie partisane sur le jeu de dupes démocratique.

Sous-présidentielle dans la présidentielle, les « primaires » sont une nouveauté chez nous, importée des États-Unis. Significativement, c'est le parti socialiste, qui est aussi celui où Ton trouve le plus grand nombre de membres de la Fondation France-Amérique, qui est à l'origine de cette importation. La droite "classique" s'est alignée pour ne pas louper le train de la modernité et organise pour la première fois une primaire en son sein. Il faut vivre avec son temps...

Cette imitation des États-Unis s'imposait-elle vraiment ? Outre-Atlantique, les primaires s'insèrent dans le cadre du bipartisme. Rien de tel chez nous, le bipartisme n'appartenant pas à notre tradition politique. L'organisation de primaires contrevient au contraire à l'esprit des institutions de la Ve République, dont le fondateur se méfiait de la démocratie en général - dont il avait lui-même utilisé les faiblesses - et particulièrement des partis politiques. Or les primaires confisquent un peu plus la démocratie au bénéfice de l'oligarchie partisane.

Désormais, l'on ne verra plus qu'une tète, officiellement choisie par le parti lui-même. Principe démocratique oblige, officiellement tous les électeurs sont invités à participer à la primaire, moyennant le paiement d'une somme modique, ce qui pourrait avoir de fâcheuses conséquences si une coterie adverse s'organisait pour perturber l'élection du candidat à la présidentielle. En réalité, le parti peut espérer que seuls ses sympathisants, sinon ses adhérents, se déplaceront pour voter : vu le pourcentage des abstentionnistes à la présidentielle elle-même, imaginerait-on les électeurs se ruer vers les urnes pour départager Sarkozy et Juppé ?

La combine des parrainages

Par sécurité, et pour limiter les conséquences des candidatures multiples en leur propre sein, les partis ont toutefois imaginé de recourir au jeu des parrainages, qui leur permettait déjà d'établir leur mainmise sur le système lors de la présidentielle en empêchant les candidatures-Coluche : on reste entre soi. En outre, le procédé a longtemps permis de handicaper les candidats "hors système", en particulier le Front national, en les contraignant à consacrer une grande partie de leurs efforts à courir après les parrainages d'élus, tandis que les candidats des partis établis se concentraient entièrement sur leur campagne.

Appliquée au parti lui-même, la combine des parrainages permet de limiter le nombre des candidats en lice et d'éliminer ceux dont la présence pourrait nuire aux principales têtes d'affiche, à commencer par le président du parti, qui dispose du grand avantage de tenir l'appareil. Ainsi Nadine Morano, Henri Guaino, Frédéric Lefebvre et Geoffroy Didier ont-ils été prématurément écartés de la compétition. La candidature de Nathalie Kosciusko-Morizet a au contraire été retenue, Juppé, Sarkozy et Fillon ayant officiellement incité leurs soutiens à lui accorder leurs parrainages. Il fallait qu'une femme soit sur les rangs, pour éviter au parti une accusation de machisme qui se dessinait déjà.

Guaino a immédiatement annoncé qu'il ne s'en présenterait pas moins à l'élection présidentielle. Mais s'il « y va », il « ira » sans le parti et contre le parti, avec la contrainte de réunir les parrainages nécessaires. Les élus qui oseront les lui apporter encourront la vengeance du parti, qui dispensera en temps voulu, c'est-à-dire lors des prochaines élections locales, les précieuses accréditations qui sont au politicien ce que l’incardination est au curé. Privé d'accréditation, un élu ne pèse pas lourd, surtout si le parti envoie contre lui un rival revêtu de sa livrée ; les exemples de Jérôme Rivière à Nice aux législatives de 2007, ou de Christian Vanneste dans le Nord en 2012, exécuté par Nicolas Sarkozy parce qu'il déplaisait au lobby « gay » de l’UMP, sont là pour le rappeler à ceux qui l'oublieraient. Forte du manque d'intérêt, de la bêtise ou du caractère moutonnier de l'électorat, l'oligarchie partisane gouverne la démocratie.

Des coups dans les tibias, sans direct au menton

La primaire a toutefois deux inconvénients. En premier lieu, jusqu'à la désignation du candidat officiel, elle oblige les participants à la course à l'échalote à mener de front deux campagnes à la fois, l'une, déclarée et frontale, contre les adversaires politiques appartenant aux camps d'en face et l'autre, plus insidieuse, contre les camarades du parti, auxquels il convient en quelque sorte de décocher des coups dans les tibias sans porter de direct au menton, d'une part parce que l'électeur, présumé naïf, ne le comprendrait pas, et d'autre part, parce que l'on compte sur le ralliement du rival sitôt la primaire soldée. Or, le souvenir du duel Balladur-Chirac et de ses séquelles au sein du RPR, où il sema des rancunes durables, laisse présumer de ce qui se produirait si les couteaux étaient trop visiblement tirés. L'attitude d'Alain Juppé illustre bien cette lutte sur plusieurs fronts. Sur le front du centre gauche, le maire de Bordeaux attaque sans ménagement Emmanuel Macron, auquel, s'il est choisi au terme de la primaire, il disputera le même électorat ; et au sein de Les Républicains, il décoche indirectement des flèches à Nicolas Sarkozy, de préférence sans le nommer. Officiellement, à La Baule, tous les candidats Les Républicains ont promis de respecter un « gentlemen agreement », comme disent les Anglais. Mais combien de temps ce vernis résistera-t-il à la poussée brutale des ambitions et des appétits ?

Hervé Bizien monde&vie 21 septembre 2016

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