Gallimard jeunesse vient de publier une nouvelle édition de l'ouvrage d'Erik l'Homme, Des pas dans la neige. L'occasion de se replonger dans ce roman d'aventure qui détonne dans la bibliographie de son auteur.
Erik L'Homme s'est spécialisé dans la littérature jeunesse et a publié en particulier Le livre des étoiles, un succès de librairie vendu à plus de 600000 exemplaires, primé au Festival de géographie de Saint-Dié-les-Vosges et traduit en plusieurs langues. Son récit au Pakistan n'est pas, à l'inverse de ses autres publications, à classer dans le fantastique, bien que le moteur de l'histoire mobilise une créature imaginaire : l'homme sauvage.
Erik, son frère Yannick, photographe, et leur ami Jordi Magraner (aujourd'hui décédé), s'envolent il y a une vingtaine d'années à la recherche de l'homme sauvage. Celui-ci serait un hominidé autre que Sapiens et qui n'aurait pas connu notre évolution. On le retrouve dans le mythe du Yéti ou en Amérique du nord de « Big foot » mais il ne faut pas confondre le Yéti de Tintin et l'homme sauvage dont il est question ici, appelé barmanou par les Chitrali, une population du Pakistan avec laquelle l'auteur et ses acolytes vont nouer de nombreux contacts.
Le livre se dévore tellement il est passionnant. Je ne sais pas pour autant si il est tellement adapté aux jeunes lecteurs étant donné qu'Erik L'Homme décrit des territoires inconnus et s'autorise des digressions un peu complexes autant sur la géopolitique, la décroissance ou notre regard occidental sur le monde. Il sera assez adapté à des lycéens ou à des collégiens déjà éveillés. Les adultes ne s'ennuieront pas bien que certains critiques semblent trouver le récit un peu trop descriptif.
L'ouvrage nous rappelle d'emblée que « […] tout est affaire de regard, du regard qu'on porte sur le monde. » et c'est de cela dont il est question ici. D'une aventure qui peut paraître assez folle mais qui va pourtant permettre à nos trois protagonistes de découvrir qui ils sont. Ces trois Occidentaux, isolés dans des territoires hostiles, souvent à une haute altitude, à l'écart du confort moderne et confrontés à des populations aux langues, aux traditions et donc aux représentations très différentes nous adressent une leçon d'humilité. Loin de vanter un monde gris et sans âme, Des pas dans la neige nous narre un monde fragile où la diversité des cultures enracinées fait la richesse de notre planète. Une diversité souvent fragile et conflictuelle, en particulier en raison de l'islam. La survie du peuple Kalash par exemple, auquel Jordi Magraner va ensuite dédier sa vie avant d'être tué le 2 août 2002 par les talibans, se pose clairement dans l'ouvrage.
L'esprit qui anime les trois protagonistes nous rappellera Sylvain Tesson, c'est à dire ce type d'hommes qui vivent en marge de l'aventure. Comme l'écrit Erik L'Homme, « c'est aujourd'hui dans les marges, j'en suis persuadé, que se dissimulent les derniers hommes libres. ». Les chemins noirs de Tesson dans notre hexagone vont dans le même sens que les pas dans la neige d'Erik L'Homme.
Que sont ces pas ? Ceux d'un « homme sauvage » insaisissable, nous rappelant qu'au final, l'homme n'a pas simplement domestiqué la faune et la flore depuis le néolithique mais qu'il s'est domestiqué lui-même. Le barmanou, si il existe, mais les témoignages récoltés plaident en faveur de cette thèse un peu loufoque, incarne cette liberté sauvage des premiers hominidés. Nos plus lointaines origines, bien avant les impôts ou le recensement et plus encore avant les supermarchés et les bouchons sur les autoroutes. Cette quête est celle d'une liberté retrouvée, mais cette liberté a un prix : la fragilité de l'existence. Les conditions de vie difficile, l'absence de la médecine, se font ressentir et nos amis en sauront quelque chose.
L'ouvrage d'Erik L'Homme nous prouve qu'il est encore possible de faire des choix, de vivre une autre existence, une existence qui n'est accessible qu'à quelques uns. Mais l'ouvrage ne saurait se résumer à cela et il s'agit d'une enquête menée avec sérieux, notamment par Jordi Magraner. Ce dernier va d'ailleurs publier un mémoire, Les hominidés reliques d'Asie centrale (http://daruc.pagesperso-orange.fr/hominidesreliquesasiece...). Certains de ses croquis représentant le barmanou sont dans l'ouvrage. Le livre peut sonner comme un hommage à ce grand défenseur du peuple Kalash. Un peuple qui n'intéresse pas grand monde dans notre Occident pourtant si plein de bonnes âmes, toujours promptes à verser une larme pour les malheureux du « tiers-monde »...
On n'a pas de mal à deviner qu'il n'a pas du être facile pour Erik L'Homme de recomposer le puzzle de sa mémoire et de faire remonter à la surface les souvenirs enfouis, les bons comme les mauvais. Le récit est en tous les cas d'une grande cohérence, sans longueurs inutiles, sans apitoiement, sans moraline et avec une vraie dose de lucidité. La vie, la vraie, se forge dans l'épreuve, et dans toutes les aventures que nous pouvons traverser. Celles-ci démarrent souvent par un pas de côté et sont une affaire de regard. Il n'est peut-être pas nécessaire de partir au Pakistan pour vivre des aventures et être libre, mais il n'est pas possible de vivre des aventures et d'être libre si on regarde le monde en captif.
Jean/ C.N.C.
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