Excellente réflexion de Christophe Servan sur Boulevard Voltaire :
"La diabolisation du FN est aussi forte qu’en 2002 mais le peuple ne marche plus. Je lis souvent dans la presse, à propos de Florian Philippot, qu’il a été l’artisan de la dédiabolisation du FN et c’est irritant, car la dédiabolisation du FN est un mythe.
J’en veux pour preuve que, pas plus tard qu’hier, on annonçait sur BFM TV que la chancelière allemande Angela Merkel allait rencontrer François Fillon lundi, mais refusait toute entrevue avec Marine Le Pen. Une semaine plus tôt, c’est Lord Llewellyn, l’ambassadeur du Royaume-Uni en France, qui déclarait que son gouvernement ne souhaitait pas « tisser des liens » (sic) avec la candidate de l’extrême droite française.
Chez nous, en France, c’est un secret de polichinelle que les banques se sont passé le mot pour boycotter le FN ; une décision stupide puisque ces prêts-relais aux partis politiques sont très bien rémunérés et sans risque avec les partis majeurs. Enfin, sur les plateaux de télé, les téléspectateurs sont témoins que les représentants du FN continuent d’être traités différemment des autres invités et, dans les débats entre observateurs supposés neutres du type « C dans l’air », faire obstacle au FN est présenté comme un objectif normal, presque scientifiquement rationnel, comme si le FN était la peste. Si vous croyez que le processus de dédiabolisation est en cours, vous vous trompez : il n’a jamais vraiment commencé.
Faut-il en conclure que la dédiabolisation est hors d’atteinte et qu’il est vain de courir après ? Vers la fin des années 70 (...) la lutte contre l’antisémitisme et la lutte contre le racisme ont été portées au pinacle des valeurs de la République. Ces deux péchés originels, il fallait leur trouver une réalité visible pour que la manœuvre soit crédible ; c’est Jean-Marie Le Pen qui en fit les frais. Aussi, l’anti-lepénisme est-il devenu, chez nombre de personnes particulièrement soucieuses de leur image de marque (artistes, journalistes, politiques, champions sportifs, etc.) une religion et, comme toute religion, un marqueur identitaire si puissant qu’il transcende la raison. Par mimétisme, nombre de Français ordinaires y sont venus et l’entre-deux-tours des élections présidentielles de l’année 2002 en marqua l’apogée.
La percée électorale récente du FN ne doit donc rien à une prétendue dédiabolisation, mais à l’incroyable faiblesse des partis de gouvernement et surtout aux faits (la crise économique et l’immigration) qui lui ont donné raison.
Petit à petit, l’électorat traditionnel du parti s’est enrichi des électeurs les plus exposés aux difficultés de la vie, ceux qui ont pris la mondialisation comme une gifle et qui sont devenus imperméables aux beaux discours moralisateurs des élites parisiennes (...) Certains, à droite, estiment que l’on peut faire du lepénisme en dehors du FN. Si c’est pour conserver une liberté de parole incompatible avec la discipline du parti, la démarche est sensée. Si c’est dans l’espoir de créer des passerelles avec l’aile droite des Républicains, elle est vaine. Nicolas Dupont-Aignan avait un jour dit qu’il se rapprocherait de Marine Le Pen le jour où celle-ci couperait avec son père. Elle l’a fait mais lui n’a pas changé d’un iota. C’est dire la puissance du politiquement correct.
La conclusion est que la dédiabolisation comme stratégie électorale est vouée à l’échec. Pis : elle peut se retourner contre ses auteurs si ceux-ci en viennent à perdre leur âme. La crise, qui ne peut que s’aggraver, et le remplacement des générations fortement imprégnées d’idéologie politiquement correcte par de nouvelles, plus pragmatiques et plus méfiantes, feront le travail, lentement mais sûrement."