Alphonse de Châteaubriant subit, comme tant d'autres, une damnatio memoriae en raison de ses sympathies à l'égard du national-socialisme et de son activité de collaborateur sous l’Occupation. Même ses deux grands romans, Monsieur des Lourdines (1911) et La Brière (1923), ne sont plus réédités que par de petites maisons d'éditions. C'est dommage, car il est un écrivain de grande qualité. Mais la méconnaissance de Châteaubriant est regrettable aussi en raison de l'originalité de sa pensée, laquelle lui assigne une place à part dans le monde de la droite nationale.
Un singulier homme de droite
Alphonse de Châteaubriant, en effet, n'est pas un homme de droite comme les autres. Jeune, il ne connut pas la tentation nationaliste, et se montra insensible tant aux ligues turbulentes des Déroulède et Guérin, à la Ligue de la Patrie française ou à l'antisémitisme de Drumont qu'à L'Action française. Mieux, il se sentit des sympathies dreyfusardes et fut un grand ami de cet intellectuel humaniste, pacifiste et internationaliste que fut Romain Rolland. Il eut également de bonnes relations avec Aristide Briand et fut encensé par des radicaux tels que Clemenceau ou Maxime Vuillaume (ancien communard), puis par Jacques Copeau, l'un des fondateurs de la NRF, laquelle fit son éloge.
Châteaubriant n'est pas pour autant un progressiste qui aurait dévié vers la droite. Ses goûts étaient classiques et défiants envers la modernité esthétique. Il n'écrivit rien sur le sujet, mais on sait, par les témoignages de ses amis de la « Belle Epoque », qu'il condamnait sans balancer les mouvements picturaux fauve et cubiste, au nom d'un culte tout classique de la, raison, maîtresse d'équilibre, d'harmonie et de beauté, garante des trésors de la civilisaëwr contre la barbarie libérée par la déraison et le culte du moi. Du reste, jusqu'en 1914, Châteaubriant se montra un homme cultivé et ouvert dans les limites de son éducation, curieux de se connaître et de percer le secret poétique de sa Bretagne natale, plus précisément de cette Brière, terre de sa famille. Ses origines expliquent cet état d'esprit aussi intéressant qu'ambivalent et intrigant.
Le poids de l’ascendance
Alphonse de Châteaubriant voit le jour le 25 mars 1877 à Rennes. Sa famille a des origines hollandaises et protestantes. Au XVIIe siècle, ses ancêtres étaient des commerçants maritimes d'origine allemande. L'un d'eux, Gaspard Van Bredenbecq, fonda à Nantes, en 1668, une compagnie maritime et une raffinerie de sucre. Sa veuve acquit en 1690 les droits féodaux de la seigneurie de Châteaubriant, à Saint-Gemmes-sur-Loire. Elle abjura le protestantisme lors de l'Edit de Nantes, et le catholicisme devint alors la religion de la famille. Les Châteaubriant furent donc à la fois raffineurs, négociants, armateurs et propriétaires fonciers. Mais aussi officiers - noblesse oblige.
On le voit, les atavismes les plus contradictoires (morale et esprit d'entreprise protestants, noblesse française catholique, militaire et terrienne) ont façonné l'esprit de notre écrivain.
Celui-ci naquit des œuvres d'Alphonse Marie René de Châteaubriant dans des conditions régulières" puisqu'alors le père et la mère (de naissance roturière et bourgeoise) ne furent mariés qu'un an plus tard.
Les débuts littéraires d’un jeune mondain
Recalé au concours d'entrée à Saint-Cyr, au grand dam de son père, il intègre le 11e régiment de cuirassiers de Chartres, mais montre peu de goût pour Farinée, qu'il quitte rapidement. En mai 1903, il épouse la fille d'un médecin, Marguerite Bachelot-Villeneuve, qui lui donnera deux fils. Fils de famille, bientôt héritier, rente, il n'est pas tenu de gagner sa vie. La vie mondaine lui permet d'être introduit au Chroniqueur de Paris, à la Revue bleue, et lui offre l'occasion de rencontres multiples Malwida von Meysenbug, Romain Rolland, déjà cité, qui restera toute sa vie son meilleur ami, Briand, et autres personnalités connues à l'époque, presque toutes modernes, libérées et progressistes. Ses premiers écrits sont assez anodins et publiés par des éditeurs locaux Prémisses (1902), Pastels vendéens (1905). Son livre d'impressions de voyage Instantanés aux Pays-Bas (1906), paraît dans la Revue de Paris avant de sortir en livre. Deux nouvelles, Le baron de Puydreau (1908) et Monsieur de Buysse (1909) paraissent dans la Revue de Paris, puis sont éditées par « Les Ateliers Imprimeurs ». Il donne quelques articles à deux journaux républicains bon teint Le Radical et Le Rappel.
L’accès à la célèbrité
C'est avec son roman Monsieur des Lourdines, Histoire d’un gentilhomme campagnard que Châteaubriant accède à la célébrité. Le livre est publié par un tout jeune éditeur, promis à un bel avenir, Bernard Grasset, et reçoit le prix Goncourt 1911, grâce au battage organisé en sa faveur par Romain Rolland, auquel il est dédié. Le héros de l'histoire, Anthime de Lourdines, jeune noble non conformiste, mène à Paris une existence dispendieuse et vit un amour fatal avec une jeune personne qui le conduit et sa famille avec lui - à la ruine et provoque la mort de sa mère, terrassée par le chagrin, le fils indigne songe au suicide, mais en est dissuadé par la voix de la nature, traduite par les sons de son violon qui lui rappelle celui de son père ; resté au pays, il sera définitivement sauvé par l'amour de Sylvie, son amie d'enfance.
Du jour au lendemain Châteaubriant devient un écrivain fêté par le tout-Paris. Sa réputation de romancier croîtra encore avec la publication de La Brière (Grasset 1923) et La Meute (éd. du Sablier,1927).
Pour la régénération d’une Europe décadente
Mais la guerre éclate en août 1914, et notre homme est mobilisé et affecté au service ambulancier, dans l'Est. Quoique éloigné des combats, il se trouve en mesure de voir les horreurs de la guerre avec les morts et les blessés à évacuer, les entassements dans les hôpitaux, les souffrances des soldats meurtris, les mutilations, les conditions de vie dans les tranchées. Comme Romain Rolland, exilé en Suisse, il pense que cette guerre est une folie, destructrice à la fois des personnes, de l'humanité, de la civilisation, et il en veut aux élites européennes de n'avoir pas su unir les nations. Il aspire à l'édification d'une Europe unie spirituellement et diplomatiquement (même s'il reste imprécis sur ce point) sur la base de la réconciliation franco-allemande, afin d'éviter le retour de la guerre qui, autrement, est assuré. De ce point de vue, sa pensée semble beaucoup plus proche de Romain Rolland, de Paul Valéry ou d'Albert Demangeon que de celle de Barrés ou de Maurras. Cependant, il se distingue des premiers par son analyse des risques de décomposition de l'Europe. En effet, Châteaubriant constate l'expansion rapide du bolchevisme à la faveur de la crise de civilisation engendrée par la guerre. Le bolchevisme, expression la plus achevée du socialisme né de la misère d'un prolétariat que la civilisation a laissé se former en son sein, et dont la révolte, attisée par la chute des valeurs spirituelles et morales découlant de l'injustice et de la guerre, consommera la ruine de l'humanité. La Révolution russe de 1917 sonne comme un avertissement ou l'Europe s'unira pour lutter contre ce péril mortel qu'elle conjurera en apportant une solution au problème social, dont l'existence même est un scandale, ou elle périra de par ses divisions qui la voueront à un nouveau conflit et la laisseront désarmée face aux révolutionnaires communistes. Ces considérations qui vont fonder désormais la pensée politique de Châteaubriant le font échapper à l'idéalisme humanitaire de son ami Romain Rolland - dont il va de plus en plus s'éloigner - et le posent comme le tenant d'une Europe à la fois aristocratique et socialiste, unie par les œuvres de l'esprit, plus fortes que les oppositions nationales. Cet idéal sera celui d'un Pierre Benoît, d'un Abel Bonnald, d'un Chardonne, d'un Drieu la Rochelle, plus tard d'un Brasillach, entre beaucoup d'autres, auxquels Châteaubriant ouvre la voie. Dans une lettre du 28 novembre 1918, il écrit « Au lieu de partir d'une idée d'entraide et de collaboration... les gouvernements alliés ne font guère que s'inspirer d'envie, de crainte, de rancune et de haine, toute cette démence étant l'œuvre des faux nationalismes impénitents... L'heure était pourtant venue pour les nations de coopérer ensemble à la réalisation du grand organisme européen comme pour les gouvernements conservateurs de faire cause commune contre l'ennemi commun bolchevisme... La grande coopération européenne serait actuellement, pour les peuples épuisés et intérieurement détruits dans leurs hiérarchies, la seule arche de salut. »
Tout le projet politique du groupe Collaboration est contenu dans ces lignes ; le mot même de "collaboration", on le voit, y apparaît déjà. Châteaubriant va être un des initiateurs d'une droite aristocratique persuadée que le monde libéral et capitaliste moderne, amputé de ses valeurs spirituelles, court à sa perte, notamment parce qu'il secrète tout naturellement le bolchevisme. Cette droite nouvelle se démarquera du nationalisme barrésien, du nationalisme maurrassien, du patriotisme « bien français » des Croix de Feu et des Jeunesses patriotes, et même du fascisme étroitement national d'un Valois ou d'un Bucard. Châteaubriant ne se sentira aucune affinité avec ces courants.
Durant les années 1920, alors que Maurras, Bainville et toute L'Action française ne cessent de dénoncer les faiblesses de la diplomatie française à l'égard de l'Allemagne et la politique pacifiste de Briand, notamment lors de la conclusion du Pacte de Locarno (1925), Châteaubriant, lui, déplore l'échec de cette politique face aux nationalismes impénitents, celui de la France spécialement. Hostile à la gauche, il ne se reconnaît cependant ni dans la droite des "modérés", ni dans Action française ou les ligues. Le fascisme italien le laisse indifférent.
Le national-socialisme instrument de la renaissance
En revanche, il va trouver un espoir de régénération de la civilisation européenne dans le national-socialisme. Il effectue deux voyages en Allemagne : le premier, assez court, au printemps 1935, le second, beaucoup plus long et exploratoire, durant l'été et l'automne 1936, au cours duquel il prend la parole devant les jeunesses hitlériennes, enchaîne les conférences (à Francfort, Baden-Baden, Mannheim, Munich, Stuttgart), assiste à l'ouverture des Jeux Olympiques de Berlin et au grand Parteitag de Nuremberg et rencontre Goebbels et Rosenberg. Il retourne en Allemagne à l'été 1937 et est reçu par Hitler à Berchtesgaden le 10 août.
Au printemps 1937 avant d'avoir rencontré Hitler, Châteaubriant publie La Gerbe des Forces, Nouvelle Allemagne, très favorable à l'idéologie nationale-socialiste. Il ne se convertit toutefois pas au paganisme et reste clique. Il discerne dans le national-sociale ferment nécessaire à la saine réorientation du christianisme anémié et vicié par la vulgate humaniste, libérale et démocratique qui domine la France et l'Europe, et qui sont legs de la Renaissance, de la Réforme, des Lumières" du XVIIIe siècle, de la Révolution française et du capitalisme débridé. Le national-socialisme libérera le christianisme son affadissement compassionnel et misérabiliste et lui fera retrouver le sens de la grandeur, de l'héroïsme, du sacrifice, de l'existence de la foi la plus élevée et de la destinée surnaturelle de l'homme. Ainsi restauré dans authenticité, le christianisme sera en mesure de régénérer les peuples et la civilisation europénne, enlisée dans un matérialisme mortifère et promise à la déchéance ou à la révolution bolchevique. Le national-socialiste est l'instrument idéologique nécessaire cette régénération du christianisme et de la civilisation, en même temps qu'il est adapté au génie allemand. Le christianisme doit se faire national-socialiste pour se sauver et sauver les peuples. « Il est dans la nature divine du Christianisme de pouvoir se transformer à l'infini selon les besoins des êtres ». « La Révolution nationale-socialiste est une révolution de l'homme ». Hitler, lui, « est avant tout un poète... un génie de race qui incarne son peuple entier... Il est la conscience populaire élevée à son plus haut degré d'aristocratisme ».
Cette synthèse hardie du christianisme et du national-socialisme apparente Châteaubriant à Mgr Mayol de Lupé, avec cette nuance que ce dernier voit plus banalement les nationaux-socialistes et la Wehrmacht en nouveaux chevaliers teutoniques ou en croisés du XXe siècle. Du reste, on la pressent dans son roman L'appel du Seigneur (1935), et même dans son autobiographie romancée Les pas ont chanté (1939).
À cette époque, l'écrivain le plus proche de Châteaubriant est sans conteste Abel Bonnard, lui aussi admirateur de l'Allemagne nationale-socialiste et reçu par Hitler, Goebbels, Rosenberg, et qui voit dans le national-socialisme l’instrument d'une renaissance de la civilisation européenne.
Cependant, s'il parle et écrit, notre homme ne s'engage pas. Il n'adhère pas au Comité France-Allemagne, fondé en novembre 1935, et se contente de signer, avec près de soixante-dix autres plumes connues le Manifeste des intellectuels français pour la défense de l'Occident, favorable à l'Italie fasciste, en octobre 1935.
Le choix de la collaboration
1940 va le faire entrer en lice. Rallié au maréchal Pétain, Châteaubriant voit dans la défaite l'occasion de jeter les bases d'une France et d'une Europe nouvelles sous la houlette de l'Allemagne nationale-socialiste. Dès juillet, il fonde son hebdomadaire, La Gerbe, qui paraîtra jusqu'au 17 août 1944, avec une équipe composée de son amie, Gabrielle Castelot, d'André Castelot, Marc Augier et Camille Fégy. Politique et littéraire, ce journal aura pour collaborateurs un grand nombre des plus brillants intellectuels de l'époque : nous citerons, entre autres, Chardonne, Paul Morand, Georges Blond, Cocteau, Montherlant, Giono, La Varende, Céline, Drieu La Rochelle, Guitry, et des hommes de théâtre comme Gaston Baty, Charles Dullin, Jean-Louis Barrault. Il défendra jusqu'au bout l'idéal d'une Europe unie autour de l'Allemagne hitlérienne, animée d'une foi catholique retrempée au vigoureux nietzschéisme paganisant du nazisme.
Mais La Gerbe ne touche qu'une élite restreinte. Or, il s'agit de rallier le plus large public. Dans ce dessein, Châteaubriant fonde, à l'automne 1940, le groupe Collaboration, qui promeut ses idées par des brochures, des conférences, de grandes réunions publiques. Il en est le président, assisté de son cousin René Pichard du Page (vice-président) et Ernest Foumairon (secrétaire général). Le comité d'honneur compte Fernand de Brinon, Pierre Benoît, Abel Bonnard, Drieu la Rochelle, le grand chimiste Georges Claude, Abel Hermant et le cardinal Baudrillart. Très dynamique à Paris, ce groupe crée des filiales en province (33 groupes en zone sud, notamment) qui ne décolleront guère.
Châteaubriant patronne également la Légion des Volontaires français (LVF) en 1942.
Les défaites successives des troupes allemandes, les déceptions inévitables à l'égard d'un Occupant qui se révèle moins magnifique qu'il ne le rêvait, ne le font pas dévier de sa route.
L’exil
Après la Libération (août 1944), Châteaubriant se réfugie en Allemagne, puis en Autriche, où, grâce à l'aide d'amis autrichiens, il vit dans une ferme à proximité de Kitzbühel sous le nom de « Docteur Wolf », avec son amie Gabrielle Castelot. C'est là qu'il s'éteindra le 2 mai 1951. En France, la Cour de Justice de la Seine l'avait condamné à mort par contumace le 25 octobre 1948.
Alphonse de Châteaubriant a cru en la victoire finale du national-socialisme qui devait selon lui assurer le salut de la civilisation européenne. Sur ce point il s'est trompé, l'hitlérisme ayant été militairement écrasé en 1945. Néanmoins, son diagnostic sur l'état de la civilisation européenne était globalement pertinent. En cela, sa pensée politique mérite d'être méditée. Et puis, quel romancier de génie !
Paul-André Delorme Rivarol du 16 février 2017