Le dernier article de Philippe Bilger m’a un peu étonné. Il y regrette la relation que Marion Maréchal-Le Pen entretiendrait (entretient, disons-le, car les clichés sont explicites) avec un jeune militant frontiste. Il dit également avoir éprouvé « une légère déception » devant cette « banalisation estivale ».
Outre que Marion n’a sans doute pas convoqué elle-même les photographes, et ne mérite donc pas qu’on lui reproche cette exposition, je vois surtout dans cet aveu de regret le danger manifeste d’aborder la politique en esthète. Maladie bien typique de l’esprit de l’homme réactionnaire, maladie douce et fatale comme le poison des Lotophages. La déception de Philippe Bilger est celle de ne pas vivre en Utopie, dans un monde où la vie serait belle.
On peut croire, avec Dostoïevski, que la Beauté sauvera le monde ; on peut espérer qu’un jour la première dame de France ressemblera à Natalie Portman, Calais à un village du Jura suisse et le Conseil des ministres à l’assemblée des chefs de l’Iliade. Dans un tel monde, le facteur serait alors venu de bon matin, en décapotable anglaise, sur un air de Miles Davis, tendre à monsieur Bilger, son exemplaire de Closer, sur la couverture duquel on aurait vu Marion, habillée par Givenchy période 65-66, sur le point de se fiancer avec un prince européen. (« La pasionaria de la droite traditionnelle nous reçoit en toute simplicité dans son boudoir. “J’avais envie de grandeur et de dévouement à des causes nobles, nous confie-t-elle dans un sourire. Je suis lasse de toutes ces querelles électoralistes.” » Etc.) Mais la vie moderne n’a pas été scénarisée par Roger Nimier.
Qu’une jeune femme surexposée aux médias depuis sa naissance, et dont la beauté, l’intelligence, le charme et la puissance de conviction ne sont pas à prouver, ait choisi, même temporairement, un homme ordinaire peut rendre jaloux un autre homme. Que cette jeune femme soit photographiée par un tabloïd vulgaire dans une situation somme toute peu choquante peut ternir l’œil de l’esthète.
Mais nous sommes dans un monde laid et médiocre : la première dame de France parraine des pandas, les rues de Nice ressemblent à celles de Bamako, la photo du gouvernement à celle d’un rectorat de province, et Marion n’est pas un fantasme athénéen à la blondeur insolente, elle n’est pas Antigone ou Brunehilde, mais une créature de chair, âgée de 27 ans.
Beaucoup de ceux qui ont tant misé sur elle, et qui ont projeté sur son destin la réalisation de leurs propres espoirs réactionnaires, sont ceux-là mêmes qui lui reprochent amèrement son départ, avec la rage des soupirants éconduits. Monsieur Bilger est, semble-t-il, de ceux-là.
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