Frédéric Rouvillois est actuellement l'un des grands spécialistes de la Constitution de la Ve République. Il vient de commettre un ouvrage sur les leçons politiques du pape François intitulé La clameur de la terre. Il montre comment l'écologie, foncièrement antiprogressiste, est une valeur de droite.
L'écologie intéresse-t-elle l'homme de droite ?
C'est un champ que la droite doit se réapproprier, qui a été abandonné à la gauche, suite à la démission intellectuelle de la droite engoncée dans le fric et dans le matérialisme bourgeois des années 70. Le premier candidat écologiste à la Présidentielle est René Dumont en 1974. Malgré des origines politiques sulfureuses, il est ancré à gauche... À l'époque la droite ne lui dispute pas cet ancrage. Est-ce par une peur viscérale de tout ce qui pouvait ressembler à de l'agrarisme et à du pétainisme ? Il faut reconnaître pourtant qu'une droite fidèle à elle-même et à ses positions du XIXe et du XXe siècle, avait toutes les raisons d'être écologiste.
En quoi consiste cette écologie de droite ?
Elle consiste en la négation de l'idée de progrès indéfini, cette idée qui effectue la summa divisio entre la droite et la gauche. C'est toute l'ambiguïté d'un écologisme de gauche qui, de facto, remet en question l'idée de progrès, qui représente pourtant le fondement irrécusable de toute pensée de gauche. Il faut bien admettre qu'à travers l'économisme débridé des 30 Glorieuses, entre 1950 et 1980, la droite de l'époque des autoroutes et du Centre Pompidou, a fait de l'idée de progrès son viatique. Ce renversement complet des logiques commence à être remis en cause aujourd'hui. Certains réalisent enfin que la place de la droite est à Notre-Dame des Landes. La défense de la paysannerie et de l'intégrité du Paysage est une valeur de droite ! Au XIXe siècle, dans la mouvance légitimiste ou royaliste, se sont multipliés les mouvements décentralisateurs et antiquisants. Je pense à Sixte de Caumont en Normandie, à Hersart de La Villemarqué en Bretagne, à Frédéric Mistral et au Félibrige en Provence. On a déjà affaire, sans le nom, à une sorte d'écologie intégrale, où ce que l'on défend, c'est non seulement le langage de la nature et l'environnement rural, mais les identités linguistiques et culturelles et toute la dimension humaine de notre environnement.
Vous êtes en train de nous dire que l'écologie est foncièrement conservatrice ?
Exactement. Les écologistes se méfient de cette idée de progrès à la Victor Hugo, un progrès qui emporte tout sur son passage et auquel il faudrait sacrifier jusqu'à la qualité de notre vie. Aujourd'hui on découvre que l'écologie de gauche est beaucoup plus de gauche qu'écologique et qu'ils avaient construit leur projet-camelote sur une aporie. Leur échec électoral vient de ce qu'ils sont empêtrés dans leurs contradictions. En réalité, on est bien obligé de sacrifier l'un ou l'autre, l'écologie ou le progrès indéfini. Il y a une réappropriation nécessaire de l'écologie par la droite. La revue Limite en a pris acte. Marion Maréchal Le Pen l'a compris. Le pape François est clairement antimoderne, lorqu'il écrit son encyclique Laudato si. Je pense aussi, en Europe, à ceux que j'appellerais volontiers les princes verts, le Prince de Galles, le Prince Jean et le Prince Albert, chacun à sa manière.
Vous avez consacré un livre à l'encyclique du pape. Pourquoi dites-vous que ce pontife, qui, du point de vue de la morale, est en train de révolutionner la Curie romaine, est par ailleurs un antimoderne ? Le pape dit très clairement dans son encyclique que la charité, vertu théologale, doit tous nous mobiliser pour préserver l'identité de chacun. Préserver l'existence d'une culture humaine particulière, c'est aussi important (plus peut-être !) que de défendre une espèce animale. On ne peut pas être écologiste et, du point de vue du langage, être un partisan acharné du volapûk anglo-saxon. L'encyclique est sortie en juin 2015, j'y avais vu quelque chose comme la déclaration d'une contre-révolution écologique, notamment à travers l'utilisation de certaines expressions extrêmement claires.
Pourriez-vous nous montrer en quoi le pape François est contre-révolutionnaire ?
Je donnerais une seule expression, au n°78 de l'encyclique Laudato si, il faudrait commenter ce passage mot par mot « En finir aujourd'hui avec le mythe moderne du progrès sans limite », voilà comment parle le pape. Chaque élément de cette phrase peut faire l'objet d'un vrai commentaire. On peut tirer énormément de choses de ce texte papal. Il s'agit d'abord, très clairement, pour François, de rompre avec un courant de l'histoire qui est mauvais et dangereux, le courant du Progrès indéfini et du progressisme, celui qui fleurit « aujourd'hui », le progrès purement matériel. On a aussi l'idée que ce progrès matériel soit sans limites, idée qui renvoie à un diagnostic de démesure c'est l’hybris qui est ici sous-jacente. L'hybris est portée par ce que le Saint Père appelle lui-même un mythe. À ce mythe, François oppose, dans le prolongement des papes qui l'ont précédé, « une écologie intégrale », non seulement un rapport de l'homme à son environnement, mais un rapport à l'autre, un rapport au temps, un rapport à la vie qui concerne l'ensemble des activités humaines. Il faut se méfier autant de la GPA que des OGM.
Propos recueillis par l'abbé Guillaume de Tanoûarn monde&vie 26 juillet 2017
Frédéric Rouvillois, La clameur de la terre, éd. Jean-Cyrille Godefroy, 15 €.