Nous avons inauguré – avec ce discours d’Alexandre Soljenitsyne – une catégorie de notes que nous avons nommées « Grands textes » parce qu'elles ouvrent la réflexion sur les perspectives de l’essentiel.
Dans ce discours, Soljenitsyne dit le mal qu'il faut penser de toute révolution. De la nôtre en particulier. Il critique ses racines idéologiques elles-mêmes, les illusions des Lumières, la devise de notre République, les « organisateurs rationalistes du bonheur du peuple ».
On notera que tel est l'objet profond de nos analyses, sur ce quotidien lafautearousseau.
Sur la réalité des révolutions, sur les horreurs qu'elles engendrent, sa pensée se « dédouble » dans une vision grandiose et universelle des maux que le monde a connus de leur fait, aux XIXe et XXe siècles. Il appelle de ses voeux le temps où seront érigés, en Russie, des monuments pour témoigner de cette barbarie et souhaite que les Français en fassent autant, non seulement comme objet de mémoire, mais aussi, mais surtout, comme condition d'une renaissance.
Soljénitsyne ouvre à notre réflexion de multiples « pistes » avec, à l'instar du pape Jean-Paul II, la force et l'autorité d'un témoin, d'une victime, en définitive victorieuse. Lafautearousseau
Texte intégral du discours prononcé par Alexandre Soljenitsyne, le samedi 25 septembre 1993, aux Lucs-sur-Boulogne, pour l'inauguration de l'Historial de Vendée .
Monsieur le président du Conseil général de la Vendée, chers Vendéens,
Il y a deux tiers de siècle, l'enfant que j’étais lisait déjà avec admiration dans les livres les récits évoquant le soulèvement de la Vendée, si courageux, si désespéré. Mais jamais je n'aurais pu imaginer, fût-ce en rêve, que, sur mes vieux jours, j'aurais l'honneur d’inaugurer le monument en l'honneur des héros et des victimes de ce soulèvement.
Vingt décennies se sont écoulées depuis : des décennies diverses selon les divers pays. Et non seulement en France, mais aussi ailleurs, le soulèvement vendéen et sa répression sanglante ont reçu des éclairages constamment renouvelés. Car les événements historiques ne sont jamais compris pleinement dans l'incandescence des passions qui les accompagnent, mais à bonne distance, une fois refroidis par le temps.
Longtemps, on a refusé d'entendre et d'accepter ce qui avait été crié par la bouche de ceux qui périssaient, de ceux que l'on brûlait vifs, des paysans d'une contrée laborieuse pour lesquels la Révolution semblait avoir été faite et que cette même révolution opprima et humilia jusqu'à la dernière extrémité.
Eh bien oui, ces paysans se révoltèrent contre la Révolution. C’est que toute révolution déchaîne chez les hommes, les instincts de la plus élémentaire barbarie, les forces opaques de l'envie, de la rapacité et de la haine, cela, les contemporains l'avaient trop bien perçu. Ils payèrent un lourd tribut à la psychose générale lorsque le fait de se comporter en homme politiquement modéré - ou même seulement de le paraître - passait déjà pour un crime.
C'est le XXème siècle qui a considérablement terni, aux yeux de l'humanité, l'auréole romantique qui entourait la révolution au XVIIIème. De demi-siècles en siècles, les hommes ont fini par se convaincre, à partir de leur propre malheur, de ce que les révolutions détruisent le caractère organique de la société, qu'elles ruinent le cours naturel de la vie, qu'elles annihilent les meilleurs éléments de la population, en donnant libre champ aux pires. Aucune révolution ne peut enrichir un pays, tout juste quelques débrouillards sans scrupules sont causes de mort innombrables, d'une paupérisation étendue et, dans les cas les plus graves, d'une dégradation durable de la population.