Le vieux slogan de la chasse aux niches fiscales revient ces derniers temps. À l'ordre du jour, la communication officielle focalise sur la remise en cause des taux réduits de TVA. Dans un tel registre, le 7 juin, Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances, n'a fait qu'en évoquer l'hypothèse. À l'entendre le gouvernement pourrait, pure éventualité par conséquent, revenir sur les taux de TVA réduits, et ceci seulement dans le cadre du plan Action publique 2022.
Entendons-nous bien : cette campagne, purement démagogique parce que dirigée contre de prétendus privilèges, tend à détourner contre des indépendants, contre des artisans, contre des restaurateurs mais aussi contre des familles, l'impopularité qui s'attache aux catégories privilégiées.
Nos technocrates font régulièrement remonter non seulement ce genre de problèmes mais aussi la questionnement par lequel ils les abordent. Cela revient donc périodiquement comme la marée, sans fatigue ni démenti.
Les journaux qui se veulent informés aiment à citer à ce sujet des chiffres très précis. Trop précis, peut-on estimer.
Depuis 2003, les institutions non élues qui régentent l'impôt en France dénombreraient plus de 400 exceptions. Chiffre énorme évidemment.
En 2005, une autre manière d'évaluer le sujet apparaît. Elle s'exprime au gré d'une affirmation du SNUI, Syndicat national unifié des impôts. Celui-ci prétend que l'addition de ces mêmes exonérations, détaxations, etc. coûterait à l'État 50 milliards d'euros. On va jusqu'à parler d'un manque à gagner.
On ne s'interroge pas, dès lors, sur l'homogénéité de ce que l'on agrège pêle-mêle. On y trouve : l'abattement spécial sur les plus-values réalisées lors de la cession d'un cheval de course ou de sport, comme l'exonération des prix littéraires, artistiques et scientifiques, ou d'autres détaxations concernant le cinéma ou la pêche. S'y ajoutent aussi, par exemple, telles déductions qui permettent de contourner la propension des particuliers à recourir au travail noir : ainsi des charges sociales afférentes à l'emploi du personnel domestique. Il en va de même pour les taux réduits de TVA, etc.
On parle de dépense fiscale. Or, là aussi, l'expression se révèle trompeuse : à une dépense fiscale ne correspond pas une dépense effective. Elle ne se traduit par aucun débours du trésor public ou des caisses sociales. Sa suppression alimente les hausses d'impôts et ne réduit nullement la dépense publique. Elle ne fait que rogner, éventuellement, le déficit.
Quelques années plus tard, en 2008, Christine Lagarde, alors ministre des Finances du gouvernement Fillon relance le sujet. La nomination de cette juriste, aujourd'hui directrice du FMI, ne devait rien au choix des électeurs. À son tour elle évalue la portée de ces exonérations et parle de plus de 359 niches fiscales.
Une évaluation de l'Assemblée nationale parle, elle aussi avec beaucoup de précision, de 486 dispositifs.
Outre de telles oscillations quantitatives, on peut s'interroger quant à la légitimité de l'intervention dans le débat fiscal des organismes purement administratifs. Aussi compétents et minutieux se révèlent-ils dans leurs études, ils ne devraient être tenus que pour des instances purement consultatives, avec la réserve fondamentale qu'ils sont composés exclusivement de hauts fonctionnaires.
Dans une démocratie, le principe fondamental devrait demeurer qu'aucune taxation ne peut être établie sans représentation du contribuable. Ce principe existait déjà sous l'Ancien régime dont la constitution historique imposait la convocation des États généraux pour adopter des impôts nouveaux. Confier au seul parti ministériel, c'est-à-dire aux héritiers politiques du brillant Calonne[1], le soin d'établir et d'évaluer le Code général des impôts reviendrait à reconnaître que le régime républicain du XXIe siècle fonctionne d'une manière moins démocratique que la monarchie absolue du XVIIIe siècle…
Pour un bonheur rare offert à l'intelligence, face à ce qui se dessinait dans les bureaux du ministère de Mme Lagarde, sis à Bercy, Pascal Salin éclairait une fois pour toutes le sujet dans Les Échos[2].
À l'époque, c’est-à-dire il y a dix ans, on bénéficiait d'une plus grande liberté d'expression et de critique. A la lecture de cet écrit critiquant les doctrines du parti ministériel, on comprenait qu'il fallait ou bien abolir toutes les exceptions, ou n'en abolir aucune.
Dans un cas comme dans l'autre, la logique, aujourd'hui encore, imposerait de diminuer à due proportion les taux d’impositions eux-mêmes. On se situerait alors dans un pouvoir rationnel.
Mais, dirait Kipling, ceci serait une autre histoire.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] Ce brillant personnage devint contrôleur général des Finances en 1785 et cessa ses fonctions en 1787.
[2] cf. Faut-il supprimer les niches fiscales ? par Pascal Salin in Les Échos du 11 juillet 2008.
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