La justice sociale est une formule qui n'a plus guère d'écho dans notre société libérale-libertaire, semble-t-il, et c'est plutôt la démesure qui domine, au nom d'une liberté économique qui, de plus en plus aujourd'hui, peut se définir par la fameuse formule : « le renard libre dans le poulailler libre ». La question du travail dominical en est un exemple parmi d'autres, trop souvent imposé aux salariés sans grande contrepartie si ce n'est celle de ne pas être licenciés : quelques cas récents peuvent nous alerter là-dessus comme la volonté forte et insistante des grands magasins de la région rennaise de ne plus respecter les règles locales jusque là observées pour préserver les commerces de proximité et de centre-bourgs. Mais sans doute faut-il aussi évoquer l'ouverture désormais systématique des grandes surfaces les jours fériés, 14 juillet compris comme c'est le cas depuis moins de dix ans à Parly2, aux portes de Versailles, et dans la plupart des enseignes de la Grande Distribution, malgré les réticences d'un personnel qui, en définitive, n'a plus vraiment son mot à dire. Et les consommateurs valident, en grande partie, ces ouvertures tandis que les opposants sont rabroués comme « mauvais coucheurs » ou « réactionnaires », voire « fainéants », et qu'est toujours mis en avant « le choix » qui, pourtant, n'en est plus un pour la grande majorité des salariés, si l'on excepte les étudiants qui peuvent voir en ces ouvertures dominicales une occasion de payer leurs études, et ce qui nous renvoie à ce souci, qui grandit parmi les préoccupations des parents et de leurs enfants, du financement des études, le système des bourses arrivant à épuisement...
Pendant ce temps, comme le rapporte Marianne dans son édition du 2 novembre 2018, « les PDG du CAC 40 ont touché en moyenne 5,1 millions d'euros annuels (+14 % en un an), soit environ 14.000 euros par jour ». En fait, ce n'est pas l'importance du revenu journalier ou annuel de ce petit nombre de grands patrons qui choque mais bien plutôt les 14 % supplémentaires en un an quand, dans le même temps, les salariés des magasins ou les ouvriers d'usine, parfois leurs propres employés, mais aussi les retraités, voient leurs revenus, sinon diminuer, du moins progresser de façon beaucoup plus modeste alors que les efforts demandés par l’État, à travers les taxes diverses et les prix des carburants, par exemple, ne cessent d'augmenter et d'agacer nos compatriotes. N'est-ce pas au risque de nourrir des colères peut-être difficiles à maîtriser, que cela soit dans la rue ou dans les urnes, nouveaux pavés des contribuables-électeurs ?
Soyons clair : les 14 % supplémentaires en un an, c'est bien cela qui ne passe pas, surtout quand l'on entend les justifications de certaines élites et que l'on constate le mépris de ces catégories dites supérieures qui, de plus, ont cessé d'abonder les caisses des associations caritatives le jour où les hauts revenus ont été exemptés de certains impôts qui pesaient sur eux, en particulier de l'ISF sur les revenus d'actions boursières ! Preuve que leur générosité n'était pas vraiment sincère, ce qui peut nous alerter sur leur égoïsme profond et leur absence de solidarité civique et financière avec le pays qui les accueille et, souvent, leur a permis, par l'éducation financée par tous, d'accéder aux responsabilités ou d'en hériter sans déchoir. Comme le souligne ironiquement Marianne, dans le cas de ces revenus si élevés en comparaison de ceux des Français communs, « nul ne crie au « coût du travail » excessif. L'expression est réservée à ceux qui sont en bas de l'échelle salariale et qui se heurtent à un ascenseur social bloqué au sous-sol », preuve supplémentaire s'il en faut que ce n'est pas l'intérêt de l'économie nationale qui importe mais « leurs intérêts » avant ceux des autres, avant ceux de la majeure partie des Français qui n'en peuvent plus du nouveau choc fiscal et des inégalités si énormes qu'elles en deviennent des injustices sociales, à ce titre éminemment condamnables, autant sur le plan économique que sur le simple plan de la décence commune.
C'est bien la démesure, la fameuse hubris dont se méfiaient les Grecs anciens, qui appelle une réaction politique, non pour empêcher la libre initiative ou instaurer une quelconque dictature collectiviste, mais pour remettre un peu de justice sociale dans une économie devenue parfois trop sauvage pour que les hommes puissent s'en accommoder. En cela, la revendication d'une Monarchie sociale et son instauration, souhaitable dans les meilleurs délais possibles, ne sont pas de simples facilités de plume et de papier (qui souffre tout, dit-on), mais une nécessité institutionnelle pour rendre à l’État l'autorité nécessaire et crédible pour imposer ce qui n'est que justice sociale aux féodalités contemporaines : des revenus décents pour les salariés et une limitation des excès du petit monde de la Finance et de la Grande Industrie.